Grand prix de la répression

Le 19 juin 2012

Profilage politique, arrestations préventives, interdictions arbitraires... De multiples témoignages diffusés sur les réseaux permettent de reconstituer les mesures sécuritaires mises en place par les autorités du Québec, à l'occasion du Grand prix de Formule 1 du Canada, organisé à Montréal le 10 juin dernier. L'occasion de montrer un gentil Québec pacifié.

Police montée québécoise. Photo Xddrox

Lors du Grand prix de Formule 1 qui s’est tenu dimanche 10 juin à Montréal, les dispositifs policiers ont été renforcés pour tenir les manifestants à distance du lieu de l’événement et éviter toute perturbation. Protestant contre la hausse programmée des frais de scolarité et contre la liberticide loi 78 limitant leur droit de manifester, de nombreux contestataires mais aussi citoyens lambda se sont vu interdire l’accès à certaines stations de métro ainsi qu’au parc jouxtant le circuit. En un week-end, 139 personnes ont ainsi été arrêtées, dont 34 pour la seule journée du dimanche 10 juin. Sans compter le nombre de personnes gentiment -mais fermement- reconduites au métro par une escorte policière.

Depuis l’arrêt des négociations entre le gouvernement Charest et les associations étudiantes le 31 mai, le conflit s’enlise. Certains manifestants s’étaient donné rendez-vous dimanche pour tenter de perturber le trafic en utilisant la ligne jaune du métro desservant le lieu du Grand Prix.

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Profilage politique

Une tentative de manifestation contrée par la police qui a employé les grands moyens pour évacuer les jeunes du métro et du parc Jean Drapeau. Depuis, les témoignages de cette journée circulent massivement sur internet laissant penser que les agents du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) étaient à l’affut de toute personne arborant le symbole de la contestation : un carré rouge, ou un quelconque accessoire du kit du manifestant comme des lunettes de ski (permettant de marcher incognito sans pour autant contrevenir au règlement de la ville de Montréal qui interdit de manifester le visage couvert) un sac à dos, ou même le roman 1984 de George Orwell. De nombreuses personnes dénoncent dans la méthode d’arrestation un profilage politique. Une accusation réfutée par le directeur de la police de Montréal Marc Parent lors d’une conférence de presse lundi 11 juin :

Des usagers du métro se sont fait demander qu’on puisse fouiller leurs sacs. Il y en a eu une cinquantaine. La moitié ou plus n’avait pas de carré rouge. Et certains qui avaient un carré rouge sont entrés sur le site. Il n’y avait pas de fouille et d’intervention systémique sur les gens au carré rouge.

Nous nous sommes entretenus avec Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la ville de Montréal (SPVM) qui conteste également cette version des faits :

Les personnes arrêtées de manière préventive sont des gens reconnus comme ayant participé à des manifestations violentes. Sur 180 000 personnes ce jour-là, seules 34 ont été arrêtées. Et sur les 250 000 personnes qui ont transité par le métro, seules 50 ont été dirigées vers la sortie.

Louve PB, de son vrai nom Virginie Bergeron, réfute ce motif d’arrestations. Dans un témoignage publié sur sa page Facebook, elle raconte avoir pris le métro pour se rendre au parc, sans porter de carré rouge, afin de passer inaperçue :

J’avais décidé de ne pas porter de carré rouge. Ni noir. En fait j’avais mis ce que j’avais apporté de plus candide. Une petite robe bleue et des sandales lacées. J’avais mon sac à dos rouge.

Tentative avortée, elle est arrêtée au bout de quelques minutes dans le métro. Escortée par les policiers, elle est alors obligée de prendre une rame en sens inverse pour retourner dans le centre de Montréal, où un comité d’accueil policier l’attend là aussi :

Une policière nous attend et nous dit que si on nous revoit dans une sation de métro, on va être arrêtés.

Pour la jeune femme, le profilage est donc bien réel, toute personne jeune arborant la couleur rouge et n’ayant pas de billets pour le Grand prix étant d’emblée déclarée persona non grata :

De ce que j’ai vu, les gens comme moi se faisaient arrêter à tout vent, on ne m’a jamais demandé de m’identifier. Du moment que j’ai dit que je n’avais pas mes billets je n’avais “pas d’affaire là” (rien à faire là, NDLR) et j’étais évacuée comme si j’avais commis une infraction

Deux journalistes qui étaient ce jour-là en immersion, portaient chacun une pièce de couleur rouge ainsi qu’un foulard et un sac à dos, laissant penser qu’ils étaient manifestants. À peine arrivés dans le métro, des agents demandent à fouiller leurs sacs mais les laissent monter dans la rame. Arrivés au parc du Grand prix, ils rebroussent chemin devant la forte présence policière mais se font arrêter avant de pouvoir regagner la bouche la plus proche, alors qu’ils discutent avec François Arguin, un citoyen qui filme, dit-il, toutes les manifestations. Ils racontent leur périple dans un article paru sur le devoir.com :

Deuxième fouille, donc, en moins de quinze minutes. Un groupe d’agent est formé autour de Raphaël Dallaire Ferland et Catherine Lalonde, un autre autour de François Arguin. Ils sont, en tout, seize agents pour trois individus. L’attitude, pour la même intervention, est beaucoup, beaucoup plus nerveuse que celle adoptée par les agents qui patrouillaient le métro. Les journalistes coopèrent, mais retournent une question pour chacune qu’on leur pose. Pourquoi nous fouiller? “Parce que vous arborez un signe révolutionnaire”, répondra un agent, visiblement excédé, “pis parce que je suis tanné du monde comme vous.”

Menaces fantômes

Ian Lafrenière, nous a expliqué que suite à certaines menaces et tentatives d’intimidation le SPVM avait décidé pour la sécurité de tous d’accroître la présence policière. Allusion à une phrase qui circula massivement lors des manifestations, faisant craindre un rassemblement important :

Charest tu ris mais check bien ton Grand prix.

En prévisions d’éventuelles violences, le SPVM avait donc massivement placé des agents sur la ligne jaune du métro jusqu’à l’entrée du circuit. Entre interpellations, arrestations et fouilles, 21 personnes ont même été placées en détention dans un bus, garé en plein soleil, qui les a reconduit en ville. Une arrestation dont une victime de la répression policière fait le récit :

Nous (les 21 citoyens détenus, NDLR) avons passé plus de trois heures dans le bus (un véhicule de la Société de transport de Montréal affrété pour l’occasion, NDLR), pour un total de quatre heures de détention, sans jamais avoir d’explications. J’ajoute d’autre part qu’à aucun moment nos droits ne nous ont été lus, bien que nous l’ayons réclamé à plusieurs reprises ; le seul droit qui me fut énoncé est l’absurde « droit de garder le silence » qui ressemblait davantage à un « ta gueule » à peine camouflé.

Nul n’est censé ignorer (ni bafouer) la loi

La manière dont les arrestations sont orchestrées suscite le débat. Les policiers ne semblent pas avoir de méthode précise, prenant pour cible des personnes qui leurs semblent sensibles et bafouant le code de déontologie des policiers du Québec.

Les citoyens sont bien décidés à ne pas rester muets face à une telle situation. Si bien que la police est aujourd’hui la cible d’attaques récurrentes. Anonymous a ainsi piraté les mails de 11 000 policiers la semaine dernière, publiant les listes d’adresses privées ainsi que le nom et le matricule des agents. Tandis que Moïse Marcoux-Chabot, un documentariste engagé dans le mouvement depuis ses débuts a réalisé un minutieux travail de documentation sur sa page Facebook. Il a relevé tous les articles de loi relatifs aux arrestations et s’est intéressé à la jurisprudence pour prouver que ces actions étaient illégales et abusives.

Cet intérêt pour la loi donne aussi aux citoyens les moyens de se défendre et les policiers se retrouvent bien souvent face à des personnes qui connaissent leurs droits et ne se démontent pas. Les détenus ne cessent ainsi de questionner les policiers sur leur arrestation. Le détenu du bus relate qu’il n’obtiendra aucune réponse en quatre heures de détention, si ce n’est la justification évasive de sa détention par l’article 31 du code criminel :

La seule raison légale de notre situation fut l’article 31 (1) du code criminel, sans que jamais ne soit précisé ce qui aurait pu les pousser à croire que nous allions troubler la paix.

L’alinéa 1 de l’article 31 stipule en effet qu’ « un agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ».

Que constituent des « motifs raisonnables » ? Porter un sac à dos, comme cet enfant de cinq ans qui a du tendre son sac à un policier pour qu’il le fouille ? Ou même un foulard rouge comme Raphaël Dallaire Ferland, ce journaliste parti en reportage incognito dimanche?
Mais les arrestations préventives, qui ne sont  fondées que sur la conviction qu’une personne va commettre un délit, ne s’arrêtent pas là. Les personnes arrêtées sont fouillées, et leurs effets personnels parfois confisqués et altérés comme en témoigne François Arguin. Arrêté dimanche alors qu’il discutait à la sortie du métro avec les deux journalistes, il a été menotté, questionné et s’est vu saisir ses effets personnels, dont la caméra avec laquelle il filmait, avant que les policiers le relâchent après le contrôle d’identité:

On nous annonce que nous allons être escortés en dehors du site et on me remet ma camera, après avoir effacé toute la séquence vidéo d’évènements qui ont précédé notre interpellation, le harcèlement dont j’ai été victime et de la documentation des bris de mes droits fondamentaux de citoyen. C’est a dire profiter d’une journée du samedi a me promener au Parc Jean-Drapeau et filmer sans me faire harceler, insulter, menotter et expulser du parc sans raison par des policiers.

Les policiers se sont emparés de sa caméra pour en effacer le contenu, ce qui est arrivé à de nombreuses autres personnes. Des actes rapportés à Ian Lafrenière en début de semaine et qu’il ne comprend pas :

Ça me surprend beaucoup que les images aient été effacées. puisqu’il y a des caméras partout, des citoyens avec leurs téléphones et aussi les caméras de Radio Canada.

Les images circuleraient donc quoi qu’il arrive. Et quelles images. Cette vidéo de Radio Canada montre que les policiers sont sur les dents et font parfois preuve d’une brutalité qui ne semble pas nécessaire.

Enquête et surveillance

En théorie, l’état-major doit être informé de tout ce qui se passe sur le terrain. Mais face au comportement de certains agents, le SPVM dit avoir lancé des vérifications. Une enquête nécessaire pour faire disparaitre cette impression que les agents peuvent agir en toute impunité. Ian Lafrenière, lui, nous explique que les manifestants sont les auteurs d’une véritable campagne de désinformation :

On ne se bat pas à armes égales, nous de notre coté on se bat avec des faits. Nous faisons des vérifications et des contre-vérifications. On a entendu pendant des jours qu’un homme avait été tué par le SPVM. On a envoyé une équipe à la morgue et au final c’est un journaliste qui a retrouvé la personne, chez elle, bien vivante.

Les témoignages sont parfois à prendre avec des pincettes, mais lorsque beaucoup d’entre eux concordent, y compris avec ceux de journalistes sur place, le doute n’est plus possible. Aujourd’hui, des associations de victimes sont bien décidées à ne pas en rester là. Le comité légal de la CLASSE a ainsi annoncé sur une page Facebook dédiée, être à la recherche de témoins pour un recours judiciaire. De nombreux Québecois dénoncent sur les réseaux la montée en puissance de cet État policier à l’aide de vidéos, comme MrTherio6 qui a lancé sa chaine Youtube agrégeant les vidéos montrant la brutalité policière au Québec.

Cette vigilance des citoyens -copwatching-, s’est accrue depuis la répression massive des manifestations lors du G20 de 2009 à Toronto, mais elle ne semble pas être un problème pour Ian Lafrenière :

Une surveillance est souhaitée et souhaitable donc c’est bien qu’ils nous surveillent, mais il y a une différence entre la surveillance et la désinformation. En tout cas, une cohabitation est nécessaire.

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