Montebourg et Batho à la vérification

Le 18 juin 2012

Soucieux de vanter leur démarche, le ministre du Redressement productif et la ministre déléguée à la Justice ont avancé quelques chiffres pour défendre leurs propositions ou leurs projets réformes... mais ont parfois négligé d’aller à la source des données en question. Un pari risqué. Owni a vérifié leurs propos chiffrés.

Owni s’est penché sur les déclarations chiffrées en cette période riche en annonces politiques. À la faveur de cette période électorale, les membres du gouvernement ont usé de statistiques pour appuyer leurs propositions. Et, s’agissant d’Arnaud Montebourg et de Delphine Batho, dans les citations que nous avons relevées dans des interviews accordées à des médias grands publics, ils s’y sont cassé les dents.

Coopératives

Invité sur RTL mardi, le ministre du Redressement productif était venu vanter l’option défendue par le gouvernement d’une reprise de SeaFrance par ses salariés. Pour souligner les mérites des Sociétés coopératives ouvrières (les Scops), Arnaud Montebourg s’est attardé sur une société bien connue ayant adopté ce modèle et sur la modération salarial qu’elle pratique :

Je voudrais signaler une grande entreprise, qui s’appelle Chèque déjeuner, qui est connue de beaucoup de salariés, c’est une Scop ! Où les écarts de salaires sont très réduits, de 1 à 3 ou 4. Où les bénéfices, considérables, sont ré-engrangés dans l’entreprise et où on se consacre à l’investissement, à l’innovation.

Non disponible sur le site de Chèque déjeuner, la rémunération de Jacques Landriot, PDG du groupe, n’est pas tenu secrète par la société. Contacté par Owni, le service de communication a répondu à nos questions sur l’écart salarial :

Nous n’avons pas son salaire au mois dernier mais il était d’environ 10 000 euros net fin 2011. Le groupe n’embauche pas en dessous de 1500 euros. Nous sommes en général dans un rapport de un à sept ou huit entre le plus bas et le plus haut salaire.

L’écart réel serait donc le double de celui avancé par Arnaud Montebourg sur RTL. Si la fédération nationale des Scops ne dispose pas de statistique sur l’écart salarial dans les sociétés coopératives ouvrières à travers la France, les services de l’Observatoire de l’économie sociale et solidaire en ÃŽle-de-France nous ont présenté une “tendance” qui se situerait dans un écart de 1 à 7. “Mais il faut pondérer ce constat, les formes de Scops diffèrent énormément entre les différents secteurs et les tailles d’entreprise : les plus hauts salaires dans des PME en Scops sont mécaniquement moins élevés”, nous a-t-on précisé.

Si elle fait partie des valeurs défendues par les Scops, la modération salariale n’est en fait que le fruit du vote des comités des rémunérations où siègent également les salariés-sociétaires. Il n’existe pas de limite légale permettant de se revendiquer Scop. Le service de communication du groupe Chèque Déjeuner nous a même confié qu’il était envisagé d’étendre l’écart salarial de 1 à 11 ou 12 pour recruter des personnes susceptibles de mener l’expansion du groupe à l’international.

Sur le point de l’écart salarial, le ministre du Redressement productif est donc incorrect. Il a en revanche raison de vanter la redistribution des bénéfices aux salariés, laquelle rapporte à chaque employé de la maison-mère de Chèque Déjeuner 20.000 euros par an, selon les chiffres du groupe.

Grâce

Mercredi, Delphine Batho passait à son tour à la question au micro de Bruce Toussaint sur Europe 1. Écartant la mise en place de la traditionnelle amnistie refusée par François Hollande, la ministre délégué à la Justice a préféré se concentrer sur la situation carcérale et les réponses pouvant y être apportées, en dehors de la grâce présidentielle :

Le contrôleur général des lieux privatifs de liberté est dans son rôle. Et d’ailleurs le gouvernement est à son écoute lorsqu’il tire le signal d’alarme sur la situation qui est celle aujourd’hui des prisons françaises, avec une surpopulation carcérale qui est catastrophique, 117%, pour 57000 places.

La ministre indique d’elle-même la source de ses chiffres : il s’agit de l’avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté, lequel a été publié le 22 mai dernier au journal officiel. Dès le troisième point de ce rapport très critique des conditions de détention en France, le contrôleur avance effectivement les chiffres de 117% de taux de sur-occupation mais le juge loin d’être pertinent, au regard des différences entre centres de détention et maisons d’arrêt :

117 % tiré du rapprochement du nombre de places et de celui des occupants n’est qu’une moyenne vide de sens, dès lors qu’existe dans les établissements pour peines un numerus clausus de fait, qui conduit à des taux d’occupation qui ne dépassent jamais 100 % mais qu’inversement, dans les maisons d’arrêt, le taux d’occupation peut être, par voie de conséquence, beaucoup plus élevé. Dans un de ces établissements qu’a visité l’an dernier le contrôle général, dans l’est de la France, vivaient 163 personnes détenues pour soixante-dix-sept places (soit un taux de sur-occupation de 212 %

Le jugement du contrôleur général des lieux de privation de liberté paraît d’autant plus pertinent à l’analyse de la cartographie pénitencière de la France, telle que l’avait réalisée OWNI.

Quant au chiffre de 57 000 places, il est également présenté dans l’avis mais largement pondéré dans sa définition :

D’autre part, le concept de « place » est d’une remarquable plasticité. Une maison d’arrêt antillaise visitée comptait ainsi cent trente places théoriques mais 244 lits (soit une surcapacité de 188 %) ; une autre dans le centre de l’Hexagone cent vingt-deux places théoriques mais 154 “pratiques” (soit un taux de surcapacité de 126 %) ; il suffit pour accroître le « théorique » de mettre par exemple deux lits superposés dans une cellule individuelle ou trois dans une cellule en comptant deux, sans d’ailleurs que le reste du mobilier soit en général accru d’autant, faute de place.

Du simple point de vue mathématique, Delphine Batho tient donc des propos corrects. Mais l’avis même qu’elle évoque, s’il reprend les mêmes statistiques, critique leur fondement, rendant un panorama résumé à deux chiffres très réducteurs de la réalité de la situation carcérale en France. Et par conséquent du travail qui attendrait la ministre déléguée pour réformer la condition carcérale dans le pays, si elle demeure à la Justice après un éventuel remaniement tirant les conséquences de ces législatives.


Photo FlickR BY-NC Western socialist.

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