Le Parti pirate tunisien sort de l’ombre

Le 9 juillet 2011

Confidences du chef du Parti Pirate Tunisien (PPT) sur les évolutions de la plus innovante des formations politiques tunisiennes. À l'heure où une crise de maturité la traverse.

À Tunis nous avons rencontré Salah Eddine Kchouk, président du Parti Pirate Tunisien (PPT), la formation politique des cultures numériques, qui revendique l’héritage de la révolution de janvier. Ancien militant de l’UGET (l’organisation étudiante à l’origine de nombreuses manifestations réclamant le départ de Ben Ali), Salah Eddine Kchouk avait été arrêté le 6 janvier 2011 pour ses activités sur le net. Après ses prises de position critiques contre Slim Amamou, la semaine dernière, il dévoile la stratégie du Parti Pirate pour les prochains mois.

À quoi ressemble votre formation politique ?

Le Parti Pirate est un parti de troisième génération ayant comme but de reconstruire la société civile mais aussi d’être un vrai contrepoids au régime. En effet, après les partis classiques (fondés sur des distinctions dans les relations au travail et au patrimoine), le monde a connu une deuxième génération de partis avec les écologistes (fondés sur des distinctions dans les relations à l’environnement). Puis, dans le monde entier, des citoyens ont souhaité défendre la liberté de l’information et de la culture, provoquant l’apparition de partis pirates (fondés sur des distinctions dans les relations au patrimoine culturel).

Avec les idées que nous défendons en matière de liberté et de circulation de l’information, nous sommes là pour promouvoir les valeurs d’une nouvelle citoyenneté, avec le désir de consolider la société civile, longtemps faible en Tunisie.

Le parti pirate Tunisie a été fondé en 2010 par un ensemble de cyber-citoyens tunisiens qui ont milité contre le régime de Ben Ali. Nous avons décidé de donner à notre parti une dimension légale, qui soit en mesure de défendre les vrais intérêts du peuple.

“Le peuple, qui reconnaît déjà notre rôle dans la chute du dictateur, reconnaîtra peu à peu notre utilité”

Pensez-vous que l’opinion est vraiment sensible à cette troisième génération que vous affirmez incarner ?

Le Parti Pirate est une nouvelle expérience dans la vie politique. Je crois qu’il convaincra par ses pratiques et par les causes défendues, qui le différencient des autres partis. Nous agissons dans l’espace virtuel dans le but de divulguer plus d’informations, et dans le champ politique afin de régler des défaillances et des injustices. En d’autres termes, nous ne cherchons pas à agir en tant que parti politique mais en tant que régulateur de la vie politique. Le peuple, qui reconnaît déjà notre rôle dans la chute du dictateur, reconnaîtra peu à peu notre utilité.

Vous n’avez pas l’intention de participer au pouvoir ?

L’objectif du Parti Pirate est de faire parler la société elle-même, nous considérons que peuple n’a pas besoin d’intermédiaires pour s’exprimer. Notre peuple est majeur et intelligent et il peut s’exprimer et défendre ses intérêts.

Vous contestez le rôle des partis politiques ?

Pas toujours, mais bien souvent les partis politiques classiques ne représentent pas le peuple. Ils représentent d’abord leurs idéologies et leurs intérêts.

Sur des sujets politiques, le virtuel peut-il à lui seul influer sur la réalité ?

Le virtuel influence le réel par la formation de communautés qui agissent ensuite dans la réalité. Dans le cas de la Tunisie, nous avons commencé lors des événements touchant le bassin minier, en 2008. Notre influence n’était pas encore importante. Mais dès les événements de Bingarden nous avons développé notre action, ce qui a permis aux internautes de jouer un rôle fondamental dans la chute du ZABA.

“Nous ne cherchons pas à obtenir des places confortables dans la constituante, ce n’est pas notre objectif”

L’officialisation de votre parti marque la fin de votre anonymat, cette évolution modifie en profondeur votre démarche.

Il faut nuancer. Au sein du parti, d’autres personnes conservent leur anonymat pour continuer à mener des actions confidentielles en faveur de la divulgation de l’information.

Quelles sont vos relations avec les autres partis pirates, en dehors de la Tunisie ?

Nous faisons partie de la communauté internationale des partis pirates -dont leur nombre est proche de 50-, au niveau des principes. Nous échangeons nos idées, nos cultures et les technologies dont nous avons besoin. En revanche notre collaboration ne concerne pas le côté financier ni la nature des actions que nous menons en Tunisie.

Quel est votre plan pour les prochaines élections ?

Nous agirons sur deux plans. Le premier consiste à instaurer un système de contrôle de proximité des élections par le biais des nouvelles technologies. Le second consiste participer en tant que candidats. Un ou deux membres seront suffisants. Nous ne cherchons pas à obtenir des places confortables dans la constituante, ce n’est pas notre objectif.

Comment évaluez-vous la transition démocratique en Tunisie ?

La transition démocratique est lente à cause des pratiques des partis politiques, lesquels cherchent en priorité à obtenir leur part du gâteau. Il faut que les partis s’attellent aux vrais problèmes et qu’ils stimulent un tissu associatif, seul garant d’une vraie transition démocratique. La transition démocratique est la responsabilité des partis politiques puisque le régime ne peut pas changer de sa pleine volonté mais plutôt par l’obligation, et c’est là ou réside le rôle des partis. Je ne crois pas que le régime ait chuté. C’est plutôt Ben Ali qui s’est enfui.


Cet article a initialement été publié sur OWNI Maghreb

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