Subventions à la presse: chère jeunesse

Le 17 septembre 2010

Le lectorat jeune est une cible primordiale et difficile à atteindre pour la presse française. Le fonds de modernisation a financé, souvent en vain, beaucoup de projets qui se sont lancés à sa reconquête.

Tu fais ce que tu veux avec le journal le jeune, mais tu l'achètes. Merci.

La (re)conquête du lectorat jeune fait partie des grands objectifs des titres éligibles au fonds de modernisation de la presse (FDM). Sur la période 2003-2009 qui correspond à nos documents, environ 16,5 millions d’euros auraient été dépensés à cet effet, ce qui semble cohérent avec les chiffres indiqués au cours de la réunion du comité d’orientation du FDM du 8 juin 2009 : depuis 2005, 14 millions d’euros a été consacrée à cet effet indique le compte-rendu.

Plus précisément, les projets “consistent à aider au financement d’abonnements, créer des sites Internet ou pages web dédiées aux jeunes, ou encore repenser le contenu avec la création de suppléments ou pages spéciales.” Certains sont individuels, d’autres collectifs.

Le décret détaillant le fonctionnement du FDM stipule que “peuvent faire l’objet de subventions au titre du fonds les actions de modernisation permettant d’atteindre un ou plusieurs des objectifs suivants : [...] “c) Assurer, par des moyens modernes, la diffusion des publications auprès des nouvelles catégories de lecteurs, notamment les jeunes. En guise de modernité, on peut noter, à titre d’observation générale, que le jeune est surtout incité à continuer de lire du papier -logique-, comme vous pouvez le constater sur le tableau récapitulatif [pdf].

L’argument “citoyen”, avancé parfois pour justifier les fonds – ainsi l’opération Un Journal gratuit définie comme un “défi démocratique, citoyen et éducatif”- peut faire sourciller : pourquoi l’accent n’a pas plutôt été massivement mis sur l’éducation aux médias, dans un contexte d’infobésité où chacun doit faire son choix parmi la masse de contenus disponible et devenir son propre éditeur ? De mauvais esprit pourraient y voir une excuse pour défendre une industrie défaillante.

Comment l’efficacité de ces subventions a-t-elle été jugée ? “Le bilan qu’il est possible de dresser aujourd’hui, au vu des bilans d’exécution dont le FDM dispose, fait apparaître le succès des projets collectifs”, note lors de la réunion du 8 juin 2009 du comité d’orientation du FDM Mme Lecointe, adjointe du chef du bureau du régime économique de la presse et des aides publiques. La commission de contrôle proposait de continuer le contrôle des projets jeunes, annonçant des bilans “plus étoffés”. Lors de la réunion du 20 octobre 2009, M. Leclerc, du syndicat de la PHR (presse hebdomadaire régionale), “souligne que la pertinence d’un projet s’inscrit dans une démarche de modernisation de plusieurs années de l’entreprise. Il n’est pas toujours évident de mesurer les effets immédiats d’un projet. Il cite l’exemple d’une publication qui a vu son lectorat rajeunir au fur et à mesure des années. Cela résulte de plusieurs facteurs qu’il est difficile de séparer.” Ensuite, le président de la commission de contrôle du FDM, M. Arnaud, à propos du projet sur la diffusion des journaux auprès des lycéens menées par A2 Presse depuis plusieurs années, indique que “le partenariat est utile, mais il existe peu d’études sur la satisfaction des lycéens jusqu’à présent. Cela demande du temps.” Argument acceptable et bien pratique. La région Bourgogne, qui a réussi à faire une première évaluation en 2007 (voir ci-dessous) soit dès la première année de la mise en place de l’opération, a réalisé un exploit sans le savoir.

La commission indique aussi, et ce n’est guère étonnant, qu’”afin d’évaluer les résultats des opérations destinées aux jeunes lecteurs comme l’opération « kiosque au lycée », il apparaît nécessaire d’assurer un suivi et des bilans plus réguliers en partenariat avec les établissements concernés. Il serait également intéressant de sonder les élèves qui ont eu accès au « kiosque » au lycée pour évaluer leur intention de continuer à lire la presse à titre personnel et de mesurer les chances que cette prise en main du quotidien au lycée se traduise ensuite par une démarche d’abonnement.”
Réel retour sur fonds publics ? OWNI a contacté les organes de presse et associations qui ont bénéficié de cette manne pour en savoir plus sur le détail des projets, aux intitulés souvent sibyllins.

En 2006, 2007 et 2009, L’Humanité aurait demandé, selon nos documents, respectivement 257.862, 260.702 et 190.397 euros pour son projet Libres-échanges laissant la place, tous les jeudis, aux articles de ses jeunes correspondants. Contacté par OWNI, le directeur de L’Humanité Patrick Le Hyaric, ne confirme pas les différents montants inscrits dans nos documents et précise même que L’Humanité a oublié de faire le dossier de demande en 2009.

D’après la vidéo ci-dessous, L’Humanité propose aux jeunes d’être correspondants contre… un abonnement de 6 mois (d’une valeur de 180 euros en 2010). Cet abonnement est la seule rémunération qu’ont reçue les jeunes apprentis journalistes. Ces subventions auront donc permis de financer 3.938 abonnements de 6 mois. Sur le nouveau site internet du journal, on peut retrouver les 1.764 articles (en 4 ans et 8 mois) de ces jeunes correspondants. Patrick Le Hyaric nous précise que chaque année 4500 à 6000 jeunes reçoivent un abonnement dans le cadre de ce projet et 300 à 400 d’entre eux demandent à écrire dans les pages du journal.

Le directeur de L’Humanité explique que “le projet Libres-échanges est une expérience commencée en 2003 et devenue pérenne en partenariat avec l’État, les amis de L’Humanité et les lecteurs de L’Humanité pour faire découvrir le journal aux 18-25 ans. Toutes les semaines, le journal inclut une voire deux pages d’articles rédigés par les jeunes correspondants. Enfin, une fois par an, le journal organise un week-end à la rédaction avec les jeunes pour rédiger le numéro du lundi. Cette édition est distribuée dans les universités.” Patrick Le Hyaric explique que le coût du projet concerne le coût de l’envoi postal et de fabrication du journal. “Il n’y a pas de coûts journalistiques car les correspondants ne sont malheureusement pas payés”, reconnait-il. Enfin Patrik Le Hyaric déclare “Je me réjouis que, depuis la fin du mandat de Jacques Chirac, L’Humanité et La Croix ont accès au fonds d’aide à la modernisation de la presse auquel ils n’avaient pas accès jusqu’alors”.

“Je vais les donner à l’État, pas à vous, c’est lui le payeur”

En 2007, 2008 et 2009, La Croix a reçu respectivement 105.778 euros, 135.945 euros et 121.313 euros au titre des opérations “Parole de jeunes”, “poursuite de la mise en main de la Croix auprès des jeunes” et “l’étude et le développement de la présence de La Croix auprès des jeunes”. Globalement, elles consistaient en des partenariats pour obtenir des fichiers ciblés, avec des abonnements de quatre mois offerts. Une fois l’abonnement fini, les prospects étaient relancés. Ainsi, à l’occasion des municipales de 2008, La Croix a présenté des initiatives de jeunes en local, en partenariat avec des associations d’étudiants chrétiens des grandes écoles, qui correspond tout à fait à leur cible de lectorat. Lorsqu’on en vient au retour sur investissement de ces opérations, on se heurte à un mur qui a pour mérite d’être de plus en plus clair : “Je n’ai pas le détail des résultats des opérations”, répond Arnauld de La Porte, directeur adjoint de la Croix. “Mais vous pourriez les chercher ?” “Je ne suis pas sûr de pouvoir vous les donner, mes équipes sont tournées vers l’avenir (ndlr : il prépare une nouvelle formule), c’est dans les archives, il faudrait chercher.” Ultime insistance : “Je vais les donner à l’État, pas à vous, c’est lui le payeur”. Ok, mais qui finance le budget de l’État ?.. Interrogé sur le développement de leurs contenus pour les jeunes sur le web, Arnauld de La Porte nous a indiqué que cela faisait partie des projets pour début 2011 et qu’avant il n’y avait rien de particulier.

Play Bac Presse, le groupe de presse jeunesse qui a fait fortune grâce aux Incollables et qui édite L’Actu, Mon Quotidien et Le Petit Quotidien aurait demandé (selon les documents du FDM dont nous disposons), depuis 2003, 3 009 957 € de subventions au fonds de modernisation.

On peut tout d’abord s’étonner qu’une entreprise qui a créé son premier quotidien en 1995 ait déjà besoin d’autant de subventions pour se “moderniser”. Contacté début septembre, François Dufour, rédacteur en chef du groupe, ne confirme qu’une somme de 846 366 euros de subvention du fonds et nous répond par l’égrainage de tous les projets du groupe  (1995 : Mon Quotidien, 2002 : Quoti (échec), 2009 : My Weekly, 2009 : L’Actu éco) et déclare que “plus on est petit plus on doit lancer de nouveaux projets pour grandir”. La nouvelle responsable du fonds, Annabel Mousset confirme que le FDM a accordé un total d’environ 3 millions d’euros au groupe mais que la somme effectivement versée, après abandon de certains projets, serait plutôt proche de 2 millions d’euros.

En regardant d’un peu plus près les projets financés, on y trouve cinq projets de relance de la diffusion des journaux (“Éditions des 17/20 ans”, “20/20″, “projet ZEP”, “Si j’étais président”, “lancement de deux suppléments”), deux projets éditoriaux (refonte de maquette…), la création d’une salle de rédaction multimedia et internationale et deux projets liés à Internet. En principe (voir le décret de création du fonds) le fonds d’aide à la modernisation de la presse n’a pas vocation à financer des projets éditoriaux. François Dufour nous a précisé qu’”aucun projet de diffusion n’a abouti en dehors du projet « Si j’étais président »,  une édition spéciale de Mon Quotidien sur l’élection faite dans les classes par les élèves (pour une subvention de 123 157 €)”.

“Notre positionnement est même anti-internet”

Sur le projet de six sites Internet dont parlent les documents du FDM, François Dufour explique qu’ “il s’agissait en fait des trois sites de nos trois quotidiens et qu’après des tests, nous avons gardé le plus novateur : www.monjtquotidien.com avec un journaliste à plein temps faisant le seul JT vidéo pour enfants en France.” Les autres sites testés renvoient désormais  à www.playbac.fr, simple boutique en ligne, pour que les parents s’abonnent. François Dufour considère que “Internet ne marche pas pour nous. les parents refusent de payer pour que leurs enfants passent… encore plus de temps sur internet ! Notre positionnement est même “anti-internet” : la lecture d’un journal.

Autrefois les jeunes étaient gentils, ils lisaient la presse.

Malgré ce positionnement “anti-internet”, Play Bac Presse a monté, en 2009, un projet “Après le papier” cité dans les documents du Fonds d’Aide à Modernisation de la presse en notre possession(et une demande de subvention de 53 913 euros), bien que Francois Dufour affirme que la demande “n’était pas pour ce fonds mais pour le nouveau fonds FSEL :(32 313 euros de subvention).” Ce projet a permis de financer une application Iphone pour l’Actu à laquelle seuls les abonnés ont accès.

“Vive le FDM !”

François Dufour explique par ailleurs qu’”aux États généraux de la presse écrite , j’avais recommandé que le Fonds d’aide à la modernisation de la presse soit entièrement tourné sur les innovations de contenu et plus de modernisation de rotative. Pour moi le rôle essentiel du Fonds d’aide à la modernisation de la presse est d’aider à l’innovation en permettant de cofinancer des tests de nouveaux médias, papier (ex : suppléments) ou pas (ex : appli iphone).“  Le récent rapport Cardoso sur les aides à la presse relève qu’entre 2005 et 2008 les aides directes représentent environ 45% du chiffres d’affaires du groupe Play Bac Presse. On peut donc comprendre que François Dufour conclue ses explications d’un “Vive le FDM !”

Le syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR) s’intéresse particulièrement aux jeunes. Sur son site, trois opérations de “conquête” sont ainsi citées (La presse à l’école, Opérations mille lycées, Opération lectorat jeunes). Il faut dire qu’un lucide méchant proverbe dit que quand un vieux meurt, c’est un abonné de la PQR qui disparait. Et Kevin n’est pas très enclin pour l’heure à lire le journal de ses aînés. “La crise de la presse quotidienne régionale (PQR), se manifeste notamment par un vieillissement et des difficultés de renouvellement de son lectorat”, indiquait ainsi Aude Rouger dans son mémoire “Les jeunes et la (non) lecture de la presse quotidienne régionale” [pdf]. “L’âge moyen du lectorat de la presse écrite n’a cessé d’augmenter” indiquait quant à lui le livre vert des États généraux de la presse écrite [pdf].

Dans le détail, en 2008 1.498.640 euros, en 2007 1.999.712 euros et en 2005 1.762.153 euros ont été donné au titre du projet du “développement du lectorat jeune”. Pour être précis, en 2005, l’intitulé était même “À la conquête du lectorat jeune”. Que recouvre précisément ces termes ? Vincent de Bernardi, directeur du SPQR, nous a expliqué que ces projets consistaient en des abonnements offerts aux jeunes de 18 à 24 ans qui en faisaient la demande, à raison d’un exemplaire par semaine. Une initiative impulsée par le ministre de la Culture d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres. Chaque opération a permis d’offrir 70.000 abonnements. La PQD (Presse Quotidienne Départementale) en a aussi bénéficié. Il précise qu’une partie des journaux s’est efforcé, le jour où les bénéficiaires recevaient leur exemplaire, de proposer plus de contenus orientés vers les jeunes.

Sur la structure du lectorat, Vincent de Bernardi s’est montré hésitant et en contradiction avec l’étude citée plus haut : “Il n’est pas vieillissant, nous a-t-il d’abord indiqué. Avec 17 millions de lecteurs, nous touchons toutes les catégories.” Certes, mais ça n’empêche que le lectorat peut être vieillissant. “Est-ce que les jeunes sont tournés vers d’autres supports ? On peut l’imaginer, certaines études le disent.” Nous insistons donc un peu et cela devient : “La structure est constante et à l’issue des opérations à l’attention de jeunes, il y a un peu plus de jeunes qui lisent. Il faut aussi noter que la population française vieillit, il n’y a pas de raison que la PQR ne soit pas concernée.” Nous avons demandé par mail au SPQR de nous donner ses sources sur la structure stable de son lectorat, nous n’avons pas eu de réponse.

Quoi qu’il en soit, quel bénéfice a tiré la PQR de ces opérations ? Comme sa réponse ci-dessus l’indiquait, il est positif selon Vincent de Bernardi. “Il y a eu fidélisation, avec un taux de transformation entre 12 et 15%.” En clair, 12 à 15% des bénéficiaires se sont abonnés l’année suivant leur abonnement gratuit. Soit de 8.400 à 10.500 abonnements par opération, autant dire une goutte d’eau.

L’opération Un Journal gratuit, abondée à hauteur de 5.033.030 euros en 2009, vise sur trois ans à “financer 200 000 abonnements par an pour un montant total de 15 millions d’euros. Elle permettra aux jeunes de découvrir 59 quotidiens de la presse nationale, régionale ou locale. Seront disponibles, par exemple : Le Monde, L’Equipe, Sud-Ouest, Nice-Matin, etc. Chaque bénéficiaire recevra un jour par semaine un numéro du quotidien qu’il aura choisi lors de son inscription sur le site www.monjournaloffert.fr. Les 200 000 abonnements seront offerts aux 200 000 premiers inscrits sur le site.”

C’est L’Agence Française Abonnement Presse (A2Presse) qui a été mandatée comme prestataire technique de la gestion des abonnements par les syndicats du SPQN, SPQR et SPQD. Une agence dont certains participants du comité d’orientation soulignent la fragilité financière lors de la réunion du 8 juin 2009. “M. Regazzo soulignent que les capitaux propres de cette société sont en effet négatifs.” Ce qui n’empêchera pas qu’elle soit chargée de cette mission avec toutefois “la nécessité de surveiller l’évolution de la situation financière de A2Presse.” Vu le caractère récent du projet, il est effectivement très difficile de savoir si l’opération est parvenue à “cré[er] une habitude de lecture qui amènera [le jeune] plus tard à lire ou à s’abonner à un journal.” Financièrement, il sera préférable que les jeunes ne se contentent pas de lire, au passage.

Jeune lecteur deviendra vieux.

L’opération kiosques, projet pour lequel A2Presse est prestataire, consiste à diffuser des titres auprès des lycéens dans les établissements scolaires, en partenariat avec les conseils régionaux. L’objectif est double : relancer l’intérêt des jeunes pour la lecture de la presse -une “pratique citoyenne”- et soutenir les entreprises de presse. Le projet a débuté en 2006 en Aquitaine avant d’être étendu dans d’autres régions, cinq au total (Bourgogne, Rhône-Alpes, Pays-de-la-Loire et Poitou-Charentes.Les établissements via la région payent 25% du prix total des abonnements, 25% proviennent du FDM et les 50% restants sont payés par les éditeurs. La contribution du FDM va, selon les années et les régions, de 16.978 euros à 65.635 euros.

Lors du compte-rendu de la réunion du comité d’orientation du fonds d’aide à la modernisation de la presse du 7 décembre 2006 : à propos du kiosque Aquitaine, M. Casedebaig parle de “succès de cette opération, le nombre d’établissements intéressés s’établira finalement à 138 au lieu de 95 initialement prévus.” Le rapport de contrôle indique lui que l’agence A2 PRESSE n’a pu mesurer ni l’impact éducatif réel de la mise en place du kiosque presse dans les 119 lycées sélectionnés ni l’impact économique ou social de la subvention sur les éditeurs participants.” Et pour (bête) cause : “aucun questionnaire n’a été adressé par la société aux participants du projet. Aucune enquête de satisfaction permettant de déterminer les titres les plus consultés ou de dresser un bilan global de cette opération n’a été effectuée. De même, la société n’a pu communiquer sur les initiatives prises dans chaque établissement autour de la création de club de presse ou de journaux des lycéens.” En revanche, “les comptes-rendus hebdomadaires rédigés par la société ne permettent de rendre compte que des seules difficultés de livraisons.” Intéressant, indeed, au vue de l’objectif fixé.

Heureusement, des évaluations ont été mises en place. Nous avons pu obtenir des précisions dans les deux régions qui nous ont répondu. En région Rhône-Alpes, où le dispositif a été mis en place en 2007 dans 100 établissements, deux évaluation ont été effectuées, en 2008 et 2010. Yohann Pignon, responsable du service action éducative à la direction des lycées, juge le bilan plutôt positif : tous les établissements ont souhaité poursuivre, les journaux ne se sont pas languis sur leurs étagères – avec des fortunes diverses, L’Équipe, Le Monde ou Libération ont mieux marché par exemple-, des journaux lycéens ont été créés. En revanche, il ignore si les jeunes se sont ensuite abonnés aux journaux. Quand on demande pourquoi l’accent a été mis sur le papier, ce qui peut sembler étonnant alors que les jeunes ont une affection très limitée pour le papier, notre interlocuteur rappelle l’objectif économique de soutien à la presse en difficulté. Il souligne ensuite que les jeunes ont accès au site et aux archives et que la région développe aussi les pratiques numériques via les ENT (espace numérique de travail), dont le lancement est prévu en 2011. “Il faut être sur les deux angles d’attaques, le papier a encore des atouts” “Lesquels ?” “Je ne sais pas quoi vous dire, j’essaye de trouver des idées. On peut la lire partout, tout le monde n’a pas des tablettes”. Certes, mais le journal papier, hors opération particulière, n’est pas donné, et cela fait partie des facteurs de désaffection. Yohann Pignon note aussi la presse doit réfléchir à la complémentarité papier/web.

En Bourgogne, l’opération a commencé au début de l’année scolaire 2006/2007. Deux évaluations ont été effectuées en 2007 et 2008. Nicole Eschmann, vice-présidente du Conseil régional de Bourgogne en charge des lycées, dresse un bilan très satisfaisant de l’opération : “Nous estimons les objectifs atteints : développement de l’esprit critique des jeunes et soutien de l’activité économique “presse”. Elle a dans l’ensemble relancé l’intérêt des jeunes pour la presse écrite. Il y a un taux de satisfaction très important, aussi bien côté adultes que côté élèves. Un quart des élèves interrogés a déclaré que l’opération les incitait à acheter des journaux eux-mêmes, en dehors du lycée (on peut aussi considérer que 75% n’ont pas envie d’en acheter, et qu’entre être incité et acheter, il y a un pas, ndlr)” Dès 2007/2008, le dispositif fut étendu à tous les lycées volontaires, pour arriver à 106 établissements bénéficiaires sur 119 lycées.

En 2005, Ouest-France aurait reçu 492.701 euros au titre du projet “nouvelle génération de lecteurs”; Après moult coups de fil, on nous indique enfin qu’il faut envoyer un mail à Jeanne-Emmanuelle Hutin, éditorialiste au journal (et accessoirement fille du président du groupe François-Régis Hutin), directrice des activités pour la jeunesse et vice-Président du groupe « jeunesse » de la sous-commission « Jeunesse » du pôle « Presse et société », lors des États généraux de la presse écrite de 2008. Nous attendons toujours sa réponse. Il faudra donc s’en tenir à ces propos laconiques de la direction financière : “Je ne suis pas sûre qu’on soit en mesure de vous donner l’élément”. “C’est possible, je n’ai pas les chiffres, je ne confirme pas les chiffres ni n’infirme.”

En 2006, Le Quotidien de la Réunion avait obtenu une subvention 185.234 euros pour le projet “Le Quotidien des jeunes”. Le Quotidien des jeunes est un supplément de huit pages, encarté le mercredi. “La subvention s’est établie à 15.930 euros, après réduction du projet. Elle concernait non pas la création du Quotidien des jeunes mais l’abonnement”, nous a expliqué Thierry Durigneux, le rédacteur en chef du Quotidien de la Réunion.

L’Alsace a reçu en 2008 une subvention de 59.800 euros pour financer à hauteur de 40% le site Le Journal des enfants, lancée fin 2008. Ce site, qui est une extension de sa version papier, propose des jeux, des articles, et moyennant finance, une version numérique du Journal des Enfants. Sa V2 est déjà en route. Car, de l’aveu même du directeur Francis Laffont, “il y a moyen de mieux faire”. En terme de fréquentation, c’est pour l’heure un fail : 20.175 VU en juin dernier,  soit environ 660/jour. Si les quelque 44.000 écoles françaises ont la possibilité de s’inscrire sur une plate-forme, seules “1.000 à 2.000″ l’ont fait selon M. Laffont. La version numérique du JDE a elle 709 inscrits. On notera bien que les presque 150.000 qu’a coûté en tout le site n’ont servi qu’à cette V1. Pour booster la V2, il est prévu de faire plus de liens et de relancer les contacts avec les écoles. C’est une bonne idée.

En l’état actuel, on note un paquet de publicités qui renvoie des jeux, de la loterie au concours, des sites d’achat d’app pour mobile ; le blog ne marche pas. Nous avons aussi noté un codage de la fiche utilisateur qui laisse à désirer, un nuage de tags qui laissent songeur (cf capture d’écran).

Également interrogé sur les diverses opérations jeunes, le directeur répond, sans rire “avoir identifié l’importance de l’impact du contact avec les jeunes”. L’Alsace bénéficie ainsi de l’opération “un journal gratuit pour les 18-24 ans”, un journal au collège et journaliste d’un jour. Quand on en vient à essayer d’avoir une réponse sur l’impact des projets destinés à inciter le jeune à acheter le journal, c’est le bottage en touche : “il est difficile d’identifier l’efficacité, on n’a pas l’âge des clients. On raisonne moins en chiffre d’affaires qu’en lien global, c’est une mission démocratique.” Au passage, on se demande comment font leurs commerciaux pour refourguer de la publicité s’ils ne connaissent pas le profil des abonnés. On sait que les jeunes ne lisent plus la PQR mais on ne sait pas s’ils la lisent de nouveau. Lorsqu’on lui suggère que le SPQR pourrait payer une étude à ce sujet, Francis Laffont reconnait que “cela peut valoir le coup (coût ?)”. Qu’on se rassure, des études ont déjà été menées, on trouve ainsi dès 1985 une étude de l’Union des syndicats de la presse quotidienne régionale (USPQR), Les jeunes de 25-35 ans et l’information locale1

“Oh la la vous êtes pire que le FDM, ils nous posent de plus en plus de questions”

En 2006, La République des Pyrénées et L’Éclair (groupe SA Pyrénées presse) auraient reçu une subvention de 10.398 euros pour un projet “actions jeunes lecteurs en zone Urbaine”. Sur le détail, nous n’en saurons pas plus “Oh la la ma pauvre dame, j’en sais plus rien du tout, réagit Philippe Carrère, du directoire de La République des Pyrénées. J’ai pas le temps de rechercher. Vous voulez savoir quoi exactement ?” “Et bien le détail du projet, s’il a porté ses fruits”. Et l’intéressé de répondre : “Oh la la vous êtes pire que le FDM, ils nous posent de plus en plus de questions, c’est de plus en plus compliqué.” Ah ce FDM qui se met à faire son boulot de contrôle !

L’association presse enseignement aurait eu une subvention de 751.391 euros en 2005 au titre du projet “L’école aux quotidiens pour 1.000 établissements scolaires”. Une association que nous n’avons pas réussi à contacter, ses coordonnées retrouvées sur Internet étant apparemment obsolètes. Le FDM n’a pas été en mesure pour l’heure de nous donner plus d’indications. Au vue des autres opérations menées dans les établissements, on peut parier sans trop de risque qu’il s’agissait de proposer des journaux gratuitement aux élèves…

Outre ces opérations spécifiques, d’autres investissements sont considérés comme susceptibles d’”assurer par des moyens modernes, la diffusion des publications auprès des nouvelles catégories de lecteurs”. Le rapport 2004-2007 de la commission de contrôle [pdf] cite ainsi “le renouvellement du parc d’ordinateurs permet le développement d’Internet et donc la réalisation du journal en ligne parallèlement à la version papier.” On serait plutôt tenté de dire que le renouvellement du parc est la condition sine qua non pour une rédaction papier moderne de travailler dans des conditions correctes sans péter un câble à la moindre tentative de visionner une vidéo sur YouTube.

De même les changements de maquette, sans que les résultats soient probants. Le même rapport indique que quatre projets ont concerné le renouvellement de la maquette du journal, dont l’une concernait une étude sur le lectorat. “Ces investissements n’ont pas les mêmes effets sur les titres de presse. Pour l’une des entreprises de presse nationale, les investissements ont permis tout au plus de limiter la chute des ventes. La modernisation de la maquette avec plus de couleur et une mise en page plus accessible n’a pas eu pour effet d’attirer un lectorat plus jeune comme l’escomptait l’éditeur. [...] L’amélioration de l’impression et l’augmentation des pages couleurs n’ont pas nécessairement d’impact sur le rajeunissement du lectorat. Ainsi, pour une entreprise nationale de presse par exemple, le glissement de la tranche des 25-49 ans vers les plus de 50 ans n’est pas freiné.”

Décidément, le jeune est un être insaisissable…

Sabine Blanc et Martin Clavey
Image CC Flickr Aleksandr Slyadnev, postaletrice et OiD-W

  1. cité par Aude Rouger dans son mémoire évoqué plus haut. []

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