The Brick Testament: la Bible pour les geeks (érudits)

Le 22 juin 2010

Marrant autant qu'impressionnant par l'ampleur du projet, The Brick Testament est une version en LEGO de la Bible qui se révèle plus subtile et sujette à controverse qu'on ne pourrait le penser au premier abord.

Le LEGO tu idôlatreras, sinon en Enfer tu flamberas /-)

Le LEGO tu idôlatreras, sinon en enfer tu crameras /-) L'Evangile selon Saint AFOL

Lorsqu’on lui demande s’il revendique d’appartenir à la longue tradition de l’iconographie religieuse populaire, l’auteur de The Brick Testament, une version en LEGO de la Bible, Brendan Powell Smith, non seulement répond “oui“, mais il précise, très sérieux (enfin, on suppose, disons qu’il n’y avait pas de smiley dans le mail) :

Je m’attends vraiment à ce que mes illustrations en LEGO de la Bible soient un jour regardé avec la même considération que la Chapelle Sixtine ou le David de Michel-Ange ou la Cène de Leonard de Vinci.

Rien moins que ça. Gros prétentieux ? Ce n’est pas plutôt du côté des bibles pour enfants qu’il devrait aller voir ? Et bien oui et non.

Ludique, The Brick Testament est aussi le travail d’un fin connaisseur de la Bible. Il faut dire que le petit Brendan Powell Smith, aka the reverend, a eu l’occasion de potasser la Bible : fils d’un professeur de catéchisme épiscopal (l’église épiscopale est le nom de l’église anglicane aux États-Unis, ce qui suppose déjà de ses membres une meilleure connaissance des textes sacrés par rapport aux catholiques, ndlr), il découvre alors les grandes scènes, Adam et Ève, l’Arche de Noé…

Il opte à l’âge de 13 ans pour l’athéisme, ce qui le rendit “encore plus fasciné par la religion (puisque tant de personnes en apparence si raisonnables continuait de croire !)“. À tel point qu’il étudie la religion à la faculté et lit la Bible en entier, découvrant au passages “des épisodes moins connus mais tout aussi sensationnels”.

La Cène par Leonard de Vinci.

La Cène, par Leonard de Vinci

Même épisode, version brique.

Il Commence ce qui deviendra son grand Å“uvre en 2001, c’est alors juste “un idée parmi une série de projets bizarres et créatifs”. Sauf que le succès arrive vite, sans utiliser le moindre réseau social, juste par le biais du bon vieux mail.

Grand public lorsqu’il reprend les “classiques”, de la naissance de Jésus à sa crucifixion en passant par la Création ou bien encore Sodome et Gomorrhe, il se fait aussi plus savant. Pierre-Olivier Dittmar, médiéviste, ingénieur d’études l’EHESS-GAHOM, l’explique :

“Là où l’auteur se montre original, c’est qu’il illustre tous les versets de manière littérale, il est donc amené à représenter de nombreux versets qui ne l’ont jamais été dans la tradition chrétienne, car pour se distinguer de la tradition juive, celle-ci se base relativement peu sur l’Ancien Testament et se concentre plus sur le Nouveau Testament. Habituellement, on reprend une petite partie de la Bible, la Genèse, le Livre des Psaumes, le Nouveau Testament avec la vie de Jésus et un peu l’Apocalypse. (cf image)

Franchement, Le Lévitique, ça passe mieux en version "anachronisme" et avec des bulles ?

C’est ainsi qu’il a inclut le Lévitique, un ensemble de prescriptions et d’interdits aussi aride qu’un traité européen, justifiant son slogan : “The world’s largest, most comprehensive illustrated Bible.” Sauf que sa version est tout sauf ennuyeuse, si bien qu’elle donne envie de tourner les pages. Il a ainsi recours à l’anachronisme pour revivifier les passages les plus rébarbatifs. Accessible, de nouveau.

En revanche, cet athée porte un regard ironique sur la Bible qui le distingue de l’iconographie religieuse comme outil de prosélytisme. Le ver était dans la pomme (d’Adam) dès l’enfance. Alors que d’autres, au même âge, gobent sans sourciller ce qu’on leur raconte, lui doute déjà : “J’étais déjà suffisamment sceptique, pour questionner certaines contradictions, et le catéchisme m’a également montré que les professeurs n’ont pas toujours des réponses satisfaisantes.”

“Humour irrévérencieux” et sexe #pouah

Pas béni-oui-oui donc, sa Bible est au contraire empreinte d’”humour irrévérencieux”, pour reprendre ses termes. “Il interprète les textes de manière très littérale, explique Pierre-Olivier, les passages avec du sexe ou de la violence, par exemple, qui sont d’habitude traités de manière allégorique. Les bulles pointent également les contradiction internes du texte, avec ironie. À propos des animaux choisis pour rentrer dans l’arche de Noé, Dieu demande à ce dernier de sélectionner “sept pairs” d’animaux purs. Dans l’image, une bulle montre la surprise de Noé qui s’interroge intérieurement ‘Que ce passe-t-il ? Je croyais qu’il avait dit une paire !’ [ce qui est vrai : Gn 6.18-19] Ce type de commentaires indique au lecteur des contradictions bien présentes au sein du texte biblique.Et au passage, on note une incursion -récurrente dans The Brick Testament- dans la bande dessinée, art populaire par excellence qui a produit des chefs d’Å“uvres. 

Cet humour le rapproche des détournements de l’iconographie populaire religieuse, par la publicité par exemple. On pense à La Cène vue par les créateurs de prêt-à-porter Marithé et François Girbaud.

Sur la forme, on retrouve cette double caractéristique. Le LEGO, c’est bien entendu un médium mainstream, pour ne pas dire universel. Là où the reverend se distingue de l’AFOL de base, c’est dans sa maîtrise de la mise en scène. Chaque histoire lui prend une semaine de travail tant il soigne les détails. Sa technique n’est d’ailleurs pas sans rappeler le cinéma, qui a aussi connu son lot d’adaptation de la Bible plus ou moins grand public entre Les Dix commandements, L’Évangile selon Saint Mathieu ou encore La dernière tentation du Christ. “Il a inclut des logos selon le contenu de chaque scène, N (nudité), S (sexe) V (violence) C (cursing, juron, blasphème), comme si chacune était une scène de cinéma, note Pierre-Olivier. Il a une façon de jouer sur la profondeur de champs, il y en a très peu, et beaucoup de flou dans l’image.”

À contenu ambivalent, public divers

Porn ! (L’Ancien testament, Le Roi David)

La composition et la masse de son public reflète aussi la nature ambivalente de son Å“uvre. Pour le côté mainstream, un chiffre : 150.00 pages vues par mois actuellement. Et ça plait aux croyants moyens qui n’a pas forcément une appétence pour l’austère texte brut : “Si j’en juge les centaines d’e-mails que je reçois, la moitié viennent de croyants qui apprécie que je rende la Bible plus amusante et engageante. The Brick Testament est devenu très populaire dans les églises de par le monde, il est souvent utilisé au catéchisme et dans d’autres représentations religieuses éducatives.”

Humour et explicits contents lui valent de vertes critiques de la part de certains croyants. C’est ainsi que le numéro d’août de Bible review l’a nommé “gagnant du pire art biblique du Web” (flatteur, non ?), le Sunday Mail, un journal anglais, a jugé que ses peintures sans fard de sexe illicite étaient “populaire parmi les pédophiles” (il en faut pas beaucoup pour les exciter, les pédophiles, s’entend). Smith a aussi été stigmatisé par Thomas Carder, qui préside ChildCare Action project (Dieu devrait vouer à l’Enfer les auteurs de sites designés 80’s), une organisation chrétienne distribuant bons et mauvais points aux divertissements qui utilisent Sa Parole. Il a été accusé de frelater la signification des versets bibliques accompagnant chaque photo, que Smith dit avoir reformulé à partir de la Bible de la Nouvelle Jérusalem. “Ce que j’ai vu était une paraphrase des écritures, manifestement avec un manque de compréhension du Verbe  ou avec le désir de le rabaisser ou pour lui faire dire ce que cela ne dit pas. Il apparait qu’il a lu les paroles sans lire la Parole.”

Lui fait remarquer, plein de bon sens : “Il n’y a pas beaucoup de sexe dans la Bible, et quand il y en a, je n’hésite pas à le montrer. Je trouve étrange que personne n’objecte que je représente les contenus violents de la Bible, et la Bible est de loin le livre le plus violent que j’ai jamais lu. Je ne comprendrai jamais qu’un parent puisse s’inquiéter plus si un enfant regarde une représentation du sexe que de violence cruelle.”

Et ouais, la Tour de Babel faut la monter !

C’est sa même prise de distance ironique avec le texte qui lui vaut aussi d’être apprécié par des athées ou des sceptiques qui apprécient qu’il pointe de la brique les absurdités du texte.

Il reçoit aussi bien sûr des mails de mordus de la brique qui lui font des remarques et des critiques sur ses compétences et ses techniques de constructeur.

Å’cuménique, Brendan Powell Smith conclut : “Quelles que soient les croyances des gens, je pense que la plupart l’apprécient car cela raconte les histoires avec de façon intelligente, amusante et avec un sens de l’humour irrévérencieux.” Les bigots chagrins devront s’y faire, il n’est pas près de changer de marotte : “J’adorerais illustrer d’autres livres célèbres en LEGO, qu’ils soient religieux, comme le Ramayana ou le livre des mormons, ou des classiques comme L’Odyssée ou Hamlet. Mais je me suis engagé à finir la Bible et je suis certains que cela m’occuper pour quelques années encore au moins. J’ai déjà une centaine d’histoires qui attendent juste leur illustration.”

Photos de LEGO tirées de The Brick Testament.

D’autres projets de Brendan Powell Smith sur son site The Reverend

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