#ijf10: “Nous ne savons pas ce que sera le journalisme dans 12 mois”

Le 26 avril 2010

Le journalisme évolue très rapidement. De nouvelles équations se mettent en place: un tweet est une information, un commentaire de qualité est l'équivalent d'un petit article… Bref, le journalisme de conversation devient une réalité.

Le Huffington Post compte une équipe d’une bonne vingtaine de modérateurs. Il est vrai qu’avec 2,3 millions de commentaires postés par mois, le travail ne manque pas. Josh Young, Social media editor, explique que l’idée principale qui sous-tend son travail est de faire du site “un endroit accueillant [a welcoming place]“.

La logique est la suivante:

“Les internautes lisent les informations pour avoir quelque chose à dire et à discuter dans la journée. Or, aujourd’hui, nous pouvons entendre une partie de cette conversation et nous devons l’accueillir, être le lieu où les gens parlent les uns avec les autres sur les informations”

et… les partagent.

“Nous faisons en sorte qu’ils soient très facile pour les gens de partager leurs histoires [stories] sur Facebook et Twitter.”

Pour autant, il ne faudrait pas croire que tout le monde participe à cette conversation. Seule une minorité le fait —environ 8% d’entre eux— mais elle est l’objet de toutes les attentions. “Qui sont ces personnes?” Les identifier est une partie du travail de Josh Young. Il cherche aussi à valoriser auprès de ses “boss”, les quelques commentaires qui peuvent être qualifiés de véritables “petits articles”.

La proportion est faible: 7 sur 1.000 ont du contenu, mais si l’on prend en considération la masse de commentaires postés sur le site, cela représente quelque 16.000 commentaires “à contenu”, par mois, qui alimenteront à leur tour la conversation. La seule véritable difficulté est “de les mettre à la meilleure place sur le site. C’est un challenge”, reconnaît Josh Young.

Reste la question cruciale de signaler les commentaires “inappropriés”.

“Je dispose certes sur mon ordinateur d’un bouton, commente-t-il, qui me permet d’éliminer ce type de commentaires, mais je ne le fais pas. J’ai constaté qu’un tout petit nombre de personnes —environ 10.000— savaient très bien le faire et ce sans mon intervention. Je me dois d’établir une relation avec ces 10.000 personnes”.

Un travail qui n’est pas rémunéré: “Nous leur offrons la reconnaissance, ajoute-t-il, et il semble que ce soit suffisant.”

De fait, le Huffington Post est devenu, à lui seul un véritable réseau social, où les commentateurs ont des amis, des fans, des followers, utilisent des “boîtes” [box] de couleur différente selon leur “statut”. Une politique qui se justifie explique Megan Garber de la Columbia Journalism Review, “car il existe une compétition aux États-Unis sur les commentaires”.

En Grande-Bretagne, la gestion de la communauté pour un site aussi important que le Daily Telegraph est tout aussi attentive, si l’on en croit Adrian Michaels, foreign editor pour le groupe :

“Lorsque vous avez 10 millions de visiteurs uniques en Grande-Bretagne, 10 millions aux États-Unis, etc., il est important de construire une communauté”.

Et pour lui aussi la communauté passe par la gestion des commentaires, dont il reconnaît qu’ils peuvent être très “rudes” :

“Nous avons un cycle de 24 heures, puisque nous avons 10 millions de visiteurs uniques par mois britanniques, 10 millions aux États-Unis, etc. Or, le ton des commentaires change en fonction de l’heure et reflète les caractéristiques de la population d’un pays. Par exemple, ils sont plus courts et plus brusques, lorsqu’ils sont écrits par les Américains”.

Mais derrière cette approche “communautaire”, c’est en fait un nouveau type de “fabrication de l’information” qui se met en place. Les “utilisateurs” [users], en effet, “exercent un contrôle fantastique” explique Adrian Michael.

Ce sont eux qui vont “distinguer” certains journalistes : “Un de nos journalistes, dit-il, a un demi million de pages vues par mois sur son blog”.

Un succès qui traduit en fait une évolution profonde selon Megan Garber :

“C’est de plus en plus l’individualité qui est reconnue et de moins en moins l’institution et cela pose de nombreuses questions”.

Les réseaux sociaux ont aussi un important impact sur le mode de sélection de l’information. Par exemple, raconte placidement Josh Young:

“un journaliste qui travaille sur les ‘celebrities’ les suivra sur Twitter, car les tweets sont des news! En effet, comme journaliste vous ne serez jamais le premier sur toutes les histoires, en revanche vous serez le premier à réagir. Donc, si nous pensons que ces tweets ne sont pas des fakes, et pour cela nous les vérifions, nous les publions en les contextualisant.”

C’est aussi une nouvelle hiérarchisation de l’information qui se met en place.

“Nous faisons très attention à ce que les gens veulent lire et nous essayons de leur donner les informations qu’ils veulent. Pour cela nous regardons ce qu’ils cherchent sur Google. Par exemple, nous avons constaté que le nombre de requêtes contenant ‘Nick Clegg’ [le leader du parti libéral britannique, qui a fait une forte percée dans les sondages] augmentait. Donc, nous avons fait des articles sur lui”.

C’est enfin, l’abandon d’éléments traditionnellement considérés comme essentiels, comme les titres des articles. “Il y en a peu qui soient si bons que l’on s’en souvienne”, argumente Josh Young, pour qui l’évolution actuelle est loin d’être finie:

“Nous ne savons ce que sera le journalisme dans 12 ou 16 mois, alors nous devons faire des expériences”.

Notes prises au cours du débat “Quelque chose sur quoi parler” (Something to talk about)
mardi 21 avril 2010
avec Adrian Michaels, foreign editor, Telegraph Media Group
Marco Pratellesi, editor Corriere della Sera online
Josh Young, social media editor The Huffington Post
animé par Megan Garber et Justin Peters de la Columbia Journalism Review online

> Marc Mentré tient le blog The Media Trend

> Illustrations par duncan sur Flickr

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés