BHVP: ne réveillez pas une archive qui dort

Le 17 mars 2010

Un article du Monde tire à tort la sonnette d'alarme à propos du sort des archives photos de France-Soir, actuellement conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.

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Un article du Monde tire à tort la sonnette d’alarme à propos du sort des archives photos de France-Soir, actuellement conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.
Vif émoi aujourd’hui parmi mes contacts Facebook, alarmés par un article du Monde. Le quotidien “de référence” sonne l’alerte : «Le manque de moyens met en péril les archives photos de France-Soir.» Diantre ! Qu’arrive-t-il donc à cette auguste collection, astucieusement fourguée par ses propriétaires à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (BHVP) en 1986, à l’occasion d’un déménagement du journal ?

«Depuis une quinzaine de jours, quelque 200 gros cartons de déménagement et 400 classeurs noirs, comprenant des photos, ont quitté les rayonnages pour être entassés les uns sur les autres, liés par des rubans adhésifs, dans un coin de la bibliothèque. La vision est sinistre. Et l’avenir du fonds incertain.» Le Monde dresse ensuite un portrait à tirer des larmes d’un patrimoine irremplaçable, qui comprendrait – c’est dire ! – la seule photo connue de la rafle du Vel’ d’Hiv.

Quel est exactement le “péril” qui mobilise le quotidien du soir ? La conclusion de l’article n’éclaire guère sur ce danger imminent, et met dans la bouche d’Emmanuelle Toulet, nouvelle directrice de la BHVP, trois scénarios : Le premier est de trouver “une place correcte” pour ce fonds à la BHVP. Le deuxième est de l’envoyer “un temps” dans un entrepôt privé – un lieu, à Chartres, est à l’étude. Le troisième est de le confier à une autre institution publique.» Pas de quoi crier au feu. Le Monde exprime in fine sa crainte de voir le fonds France-Soir «promis à l’hibernation.»

francesoir111170Loin des métaphores quelque peu romanesques du Monde, Didier Rykner met les points sur les “i”. «La BHVP veut se débarrasser d’un fonds photographique», affirme sans tourner autour du pot La Tribune de l’art, qui dénonce un «nouveau scandale». «C’est ainsi que la totalité des archives photographiques de France-Soir (…), vient d’être entreposée sur place, avant de partir prochainement pour un dépôt où il pourra être oublié.»

Même analyse, mêmes informations, même anecdote de la photo du Vel’ d’Hiv dans les deux articles qui ont été mis en ligne le même jour – et ont visiblement bénéficié de sources convergentes. Lesquelles n’hésitent pas à s’exposer aux feux de la rampe. L’AFP annonce aujourd’hui que «le syndicat majoritaire des bibliothèques et musées parisiens, le Supap-FSU, emboîtant le pas à un article du journal Le Monde sur le sujet, accuse la bibliothèque historique de la ville de Paris (BHVP) de “laisse(r) à l’abandon” ces archives “pourtant d’une valeur historique considérable”.»

Contactées par mes soins, Emmanuelle Toulet et Carole Gascard, nouvelle responsable photo à la bibliothèque, démentent ces accusations. Depuis son dépôt il y a un quart de siècle, le fonds n’a fait l’objet que d’un inventaire thématique partiel, daté de 1990, concentré sur “Paris et ses environs”. 45.000 photos ont été reconditionnées, soit moins de 10% de l’ensemble. 190 cartons dorment dans un entrepôt extérieur depuis 1986 sans avoir suscité l’inquiétude du Monde ni des syndicats. D’autres cartons étaient dispersés ici et là dans l’institution, où l’on trouve un peu partout des photos sélectionnées pour les besoins ponctuels de recherches sauvages, en l’absence de tout contrôle d’un conservateur photo (fonction inexistante à la BHVP entre 2001 et 2008, jusqu’à la nomination de Carole Gascard).

C’est parce qu’Emmanuelle Toulet et Carole Gascard ont décidé il y a une quinzaine de jours de souffler la poussière sur le dossier France-Soir et de reprendre en main les destinées du fonds que les fameux cartons ont quitté les rayonnages, suscitant l’émoi dans les couloirs de l’institution. S’agit-il d’aller jeter ces cartons dans quelque obscure fosse par une nuit sans lune ? Qu’on en juge: c’est en suivant les recommandations de Nathalie Doury, directrice de la Parisienne de photographie, société créée par la Ville de Paris et consacrée à la préservation et la valorisation de fonds photographiques patrimoniaux, qu’Emmanuelle Toulet a contacté une entreprise spécialisée dans la conservation de fonds photos, à Chartres (à laquelle La Parisienne confie elle-même une partie de ses archives), pour lui demander un devis. Au moment où j’écris, elle attend encore la réponse de l’entreprise.

Des priorités de gestion dans un contexte de restriction budgétaire

C’est dire l’ampleur de la menace. Plus expérimenté que La Tribune de l’art, Le Monde ne s’est pas laissé allé à reproduire telles quelles les accusations précipitées, mais s’est prudemment borné à la peinture «sinistre» de quelques cartons «liés par des rubans adhésifs» – sachant que l’imagination des lecteurs ferait le reste. Quelques expressions suggestives, noyées dans un brouillard d’allusions, un peu de name dropping – Serge Klarsfeld et la mémoire du Vel’d’Hiv, ressuscitée par un film dont parlent toutes les gazettes. Voilà comment on construit un article du Monde, en sachant très bien qu’on n’a que du vent dans sa besace.

Foin des larmes de crocodile versées sur les trésors iconographiques nationaux pour mieux arroser le feu du scandale. Les institutions patrimoniales françaises vont mal, les départs ne sont pas remplacés, les budgets diminuent comme peau de chagrin. Dans ce contexte, il faut se réjouir qu’une équipe compétente ait enfin pris en main les richesses photographiques de la BHVP, trop longtemps négligées. Et comprendre qu’en effet, compte tenu des personnels et des moyens disponibles, il y a des priorités de gestion. Comme les fonds de pellicules nitrate, dont on sait l’imprévisible dégradation. Entièrement numérisées, en cours de catalogage, les collections René-Jacques et Thérèse Bonney sont désormais hors de danger. Le catalogage du fonds Marville, un des trésors de la bibliothèque, se poursuit activement. La mise en ligne de ces ressources est d’ores et déjà prévue. Il faut être le quotidien “de référence” pour ne pas considérer ces signes d’activité comme de bonnes nouvelles.

Billet initialement publié sur L’Atelier des icônes, un blog de Culture visuelle

Photo de une leww_pics sur Flickr

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