Gérer la rareté, gérer l’abondance

Le 22 décembre 2009

En école de commerce, j’ai appris à gérer la rareté: Trouver une idée géniale, la breveter, mettre des barrières à l’entrée, consolider un projet. Comme on vit dans un monde qui tourne avec l’argent rare, pour le rendre beau et avant d’investir trop dans un projet, il faut savoir s’il intéressera quelqu’un à l’achat, ce que [...]

En école de commerce, j’ai appris à gérer la rareté:

Trouver une idée géniale, la breveter, mettre des barrières à l’entrée, consolider un projet. Comme on vit dans un monde qui tourne avec l’argent rare, pour le rendre beau et avant d’investir trop dans un projet, il faut savoir s’il intéressera quelqu’un à l’achat, ce que l’on apprend avec une étude de marché, des sondages, une prise de température du marché. Une fois qu’on a préparé notre produit pour pouvoir descendre dans l’arène, on choisit la stratégie: à qui on le vend, combien, comment, pourquoi, dans quel contexte et puis la question éternelle: comment créer le besoin et susciter le désir?

Le but est donc avec une idée, un investissement minimum de trouver un marché maximum avec un prix et une rentabilité maximisée.

Ce qui est rare dans ce contexte, c’est peut-être l’idée, sûrement le produit, sa recette, ses secrets de conceptions, son accès et son mode de construction.

C’est rare car je choisis de le rendre rare au début, en mettant des barrières à l’entrée, afin d’avoir un monopole, de garder le contrôle et d’être le seul à posséder le secret d’accès à cette ressource. L’information c’est le pouvoir. C’est rare car si je le partage avec tous, je ne suis pas sûr d’obtenir encore suffisamment d’entrées d’argent, si je le partage, la pureté du processus peut être déformée, dénaturée, ne plus respecter mes critères ou ma façon de voir. Si je partage et donne l’autorisation aux autres de le modifier, de le retoucher et de faire des bénéfices avec, je prends un risque: je lâche un peu du contrôle et du pouvoir que j’avais pris. Souvent, ce qui m’empêche de partager, c’est la peur de manquer. Exprimer d’une autre façon c’est récolter les gains que j’ai engendré: j’ai réfléchi, j’ai pris des risques, j’ai convaincu des investisseurs, alors pourquoi ne pas en profiter?

Bien, la gestion de la rareté, on connaît, on sait bien faire, nous sommes nés dedans.

En fait, quand je dis gestion de la rareté, il faut d’abord reconnaître que nous avons appris à créer de la rareté. Ce faisant nous avons augmenté la valeur de nos produits artificiellement. Ce qui est rare est cher dit le proverbe, si je révèle le secret, je perds mon avantage, mon pouvoir sur l’autre. Donc je crée de la rareté pour me créer du pouvoir, car j’aime ça, ou plus simplement, j’en ai besoin.

Ce que j'ai que tu n'as pas me rend heureux

Je me rappelle mon enfance, si je prêtais mon nouveau jouet à un ami, alors c’est comme si le jouet ne m’avait pas été offert, et que je n’avais pas de raison d’être heureux par rapport à mon ami, puisque je partage le jouet avec lui. Nous créons et quantifions notre bonheur par rapport à l’autre, et non avec l’autre. Ainsi plus j’en ai par rapport à l’autre, moins je me sens mal, ou en tout cas, moins je me pose de questions sur pourquoi j’ai besoin d’en avoir plus.

Piste de réflexion pour plus tard: comment créer et quantifier mon bonheur AVEC l’autre?

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Plus emmerdant maintenant, comment gérer l’abondance?

Depuis quelques années, nous nous rendons compte avec Internet et la dématérialisation que la copie est une multiplication d’un produit. A chaque copie que je réalise, je crée une nouvelle pièce, proche de l’originale, utilisable, modifiable, et tout ça pour un coût proche de zéro, emmerdant non? Ceux qui avaient l’habitude de pas prêter leurs jouets se retrouvent sur le cul, d’un coup, leurs jouets sont potentiellement à la disposition de tous. Que faire? Ce qui se passe grâce à l’internet et à la dématérialisation est crucial, car en nous rendant compte des règles que nous adopterons pour l’immatériel et l’abondant, ça remet également en cause les règles que nous avions établi pour le matériel supposé rare.

Dans la gestion de la rareté, je mettais des barrières à l’entrée, suscitais l’envie, et faisais payer pour l’accès, l’entretien, le service etc… Quid de l’abondance?

Si les barrières sont inutiles, puisqu’il est démultipliable, si l’accès est possible à tous car sa copie est facile, alors l’immatériel devient comme l’air ou comme l’eau. Il est difficile de le quantifier, de le mesurer, de dire ce qui appartient à qui. Pourtant il a bien un créateur.

Le produit immatériel (CD, MP3, DIVX, Livre numérique, PDF, Slides, Code source, Photo etc..) une fois créé et libéré ne peut plus être mis en cage. Les bits veulent être libres nous disait Chris Anderson dans Free. Ce que cela veut dire est que le rapport de force entre payer le prix d’entrée et faire sauter la barrière à l’entrée est perdu d’avance en défaveur du créateur. Quelque soit son choix, le bit voudra être libre, et le créateur devra lâcher le contrôle, partager son Å“uvre avec tous.

La différence principale des produits ou idées basées sur des économies de l’abondance par rapport à l’économie matérielle est que les coûts de propagation, de multiplication et distributions sont très faibles. Les coûts de création varient encore, pouvant aller du code très complexe et cher, du traité de recherche avec les frais du labo à l’ordinateur et aux 3 logiciels libres qu’utilise un groupe de musique qui produit son album tranquilo.

Reprenons donc, les coûts de distribution sont relativement faibles et continuent de diminuer et les coûts de création varient très amplement d’un produit à l’autre. Si on essaye de mettre des barrières à l’entrée: code, label, copyright, sécurité, DRM, on suscite un désir plus fort. On suscite un désir, mais également une frustration, car ça ne coûte pas plus cher de partager le jouet avec d’autres. La différence dans l’immatériel est le marché qui, par le transport des données et des flux d’informations touche une cible plus large, plus internationale de façon immédiate. Sur la base des mécanismes de gestion de la rareté que nous avons: plus le créateur dépense et investit d’argent et de temps dans son produit, plus il va vouloir le chérir et le protéger pour en tirer un bénéfice maximum, ce faisant il va créer un énorme désir chez les consommateurs qui vont investir beaucoup de temps pour s’unir, s’allier et faire sauter le verrou. C’est ce qu’on observe avec le partage des Å“uvres protégées, et c’est bien normal. Puisque l’accès et la distribution peuvent être rendus possibles à tous moyennant un travail d’équipe (certes hors la loi), on voit émerger une force collective sans tête qui vise à un seul but: partager cette création, faire sauter les barrières. Pour le matériel, cela représentait du vol, car il fallait se déplacer et aller dans la boutique pour voler une version de l’Å“uvre ou du produit. Pour l’immatériel, la multiplication ou copie ne coûte pas plus cher, plus le produit est bon plus la tentation est grande, la barrière qui empêche s’amenuise, rien ne peut retenir l’envie de culture, la soif de connaissance, la curiosité, le besoin de partager. L’immatériel remet tout en cause: le bit est plus volatile que l’atome, il a beaucoup plus de liberté et ne supporte pas le contrôle.

Création — Distribution — Réception


Seulement, dans cette économie de l’abondance, on ne fait pas la différence entre le dernier star wars, dont le budget est monstrueux et le groupe de musique du coin. Les énergies investies à l’entrée ne sont pas les mêmes. On peut essayer de faire la différence, en sensibilisant le consommateur final, mais pour le toucher, il faudrait d’abord qu’il reprenne confiance, pour cela, il faut lui donner, et ne pas lui prendre, il faut lui partager, sans publicité, sans intention autre que de lui faire un cadeau. C’est quand les comportements changent, que l’on en vient à se poser des questions, pourquoi cette inversion subitement, pourquoi le prochain film serait-il donné, avec prix libre, partage de la prise de risque sur son financement? Il faudra du temps que ça change, mais les premiers qui s’y essaieront s’allieront avec leurs publics. Les autres iront dans une lutte de contrôle et seront de plus en plus raide au lieu de s’ouvrir et de se remettre en question.

Les besoins et investissements de départ étant complètement différents à des mesures bien diverses, il serait temps que la transparence et la cohérence fassent leur apparition et nous donnent les chiffres qui nous permettront de savoir combien cela coûte réellement. Si je connais le besoin et l’investissement original d’un groupe que j’adore, je saurai à quelle hauteur les soutenir et j’arrêterai de pirater leur musique. Je ne veux pas qu’ils deviennent millionnaires, juste les remercier honnêtement pour leur apport et leur permettre de continuer à vivre et développer leurs créations.

Seulement, dans un monde où l’argent est rare, j’ai plus de temps, de passion et de curiosité à recevoir et écouter les créations des autres que d’argent pour les soutenir à la hauteur de leurs besoins réels. (oui, ça se complique, sinon ça serait trop simple) On note donc au passage qu’il nous faut nous libérer de la rareté artificielle de l’argent (média de mesure et d’échange des richesses), pour pouvoir trouver des systèmes libres, abondants et non centralisés de gestion de l’argent.

“Je désire pouvoir apporter mon soutien à ce créateur, de quelque façon que ce soit, autrement qu’en lui donnant des euros, ressource que j’ai en quantité limitée. Cependant j’ai du temps, de l’énergie et des qualités que je dois pouvoir lui offrir pour contribuer à la rétribution du bonheur reçu.”

De fait, le créateur qui est malin stimulera, sensibilisera, rassemblera, et investira l’énergie de la communauté qui l’écoute, l’aime et l’adore. Il créée ainsi un flux direct auto alimenté: son auditoire sont ses investisseurs, il prend en main la gestion de la distribution et fait sauter tant que possible les intermédiaires dans le but de réduire au maximum ses coûts.

Dans tous les cas, pour ce qui est de la certitude de récupérer l’énergie investie. Il n’y en a jamais eue. La seule solution est de transformer le risque que nous prenons en Amour de l’art, en volonté de partage et alors, ce ne sont pas des euros ou des revenus matériels que nous récolterons, mais une joie bien plus immense et profonde, d’avoir servi, partagé et créé pour l’humanité, ce que nous savons faire de mieux, avec Amour.

La co-création permet le partage

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