Candide chez les politiques

Le 24 juillet 2009

Je me souviens d’un temps, que les moins de vingts ans… Une époque où internet apparu pour la première fois au cœur de toutes les conversations, où les bourses flambaient, et où les rigolos dans mon genre, qui étaient déjà sur internet depuis des lustres (entendez : moins de dix ans), étaient, pour beaucoup, devenus [...]

Je me souviens d’un temps, que les moins de vingts ans… Une époque où internet apparu pour la première fois au cœur de toutes les conversations, où les bourses flambaient, et où les rigolos dans mon genre, qui étaient déjà sur internet depuis des lustres (entendez : moins de dix ans), étaient, pour beaucoup, devenus des geeks millionnaires, courtisés par la haute finance et prenant le Coste pour cantine.

L’incompréhension profonde par le milieu de la finance de ce qu’était l’internet de l’époque a provoqué une multitude d’anecdotes dont je régale (ou gonfle, c’est selon) mes amis, à travers des récits d’ancien combattant. Accessoirement, et même si le raccourci est (trop) facile, cette incompréhension a provoqué une bulle financière mémorable, qui a tout emporté. Adieu veau, vache, cochon, Mercedes et Rolex, et surtout, bye bye économie numérique à la Française.

S’en est suivi un hiver nucléaire de quelques années, après lequel l’internet est reparti, timidement. La mode était passé, – définitivement, selon certain – internet était presque devenu un havre de paix, une affaire de spécialistes. Innovations frénétiques dans les usages (le fameux web 2.0), financiers de nouveau priapiques (mais dans des proportions bien plus raisonnables), le petit monde de l’internet renaissait de ses cendres, au point de regarder, goguenard, celui de la finance s’immoler par l’argent grâce aux belles modélisations des quants, qui avaient, entre temps, trouvé le moyen de plomber le système financier tout entier avec autre chose qu’internet.

Mais depuis un peu moins d’un an, le petit monde tranquille de l’internet Franco-Français voit débarquer de nouveaux extraterrestres : les politiques.

Le politique pensait, au début, arriver sur internet à la façon d’un conquistador espagnol lors de ses premiers pas au Pérou. Obama l’a fait, yes we can ! La recette du succès, les mines de Potosi, étaient là, quelque part. Un petit club de spécialistes, fraîchement débarqué sur le territoire d’internet en explorateurs quelques années auparavant, se chargeant de leur faire faire le tour du propriétaire.

Patatras, Hadopi fut pour le politique un brutal rappel à l’ordre. L’internet n’est pas une technologie, pas plus qu’un média, encore moins un “formidable moyen d’accès à la connaissance“, c’est un corps social mondialisé, techno-médiologico-machintruc, c’est affreusement compliqué, et manque de bol, ça réagit quand on l’agresse.

Imaginez une armée de conquistadors tombant sur une brigade du GIGN suréquipée, là où ils pensaient trouver des tribus d’indiens barbares, et vous avez un aperçu de la bataille d’Hadopi, du moins, avant que le PS ne s’empare du sujet, que les média ne cessent leur censure, et que certains, par conviction, par réflexe, ou par opportunisme, ne se rangent aux cotés des idées de ceux qui ressemblaient à l’avenir (sans les comprendre, la plupart du temps).

Il n’en reste pas moins qu’à droite comme à gauche, en haut comme en bas, la plupart n’y comprennent rien. En moins d’un an, j’ai pu croiser à peu près tout ce que la sphère politique abrite comme animal dans son écosystème : militants, maires, députés, ministres… Un sur cinq tout au plus comprend qu’il ne comprend pas – première étape indispensable pour aller plus loin. Les autres se contentent d’effleurer le sujet, de mettre des ronds dans des carrés : après tout, cela a fonctionné pour tant de choses.

Voilà comment je me suis retrouvé à tenir régulièrement le rôle de Candide – d’autres diraient de poil à gratter – du geek face au politique. Quarante ans bientôt, dix sept a faire du multimédia sous toutes ses formes, serial entrepreneur (pas très valorisant en France, mais les politiques semblent apprécier cela), et surtout “évangéliste” (ou bonimenteur, question de point de vue) d’idées neuves, telles l’open source, les creative commons, les nouveaux modèles collaboratifs, le partage (numérique), l’économie hybride, la Culture Libre, la réforme du droit d’auteur, et j’en passe.

En prenant ces choses à la légère, on pourrait y voir une idéologie de gauche. Il n’en est rien, et ma sensibilité personnelle n’a rien fait pour clarifier ce point. Tout cela n’est ni de gauche ni de droite, vouloir faire entrer ces valeurs dans les cases du passé est le premier signe d’un syndrome très répandu, celui de la poule et du couteau (sauf dans le cas des joutes entre Kevin Kelly de Wired et Lawrence Lessig de Creative Commons, sur ce même sujet, où l’on est dans un jeu bien plus sophistiqué de prise d’assaut du politique par les geeks, mais les américains ont toujours un train d’avance, que voulez-vous).

La confrontation de ce corpus idéologique que je défends, à celui que portent les politiques que je croise est – de façon quasi systématique – l’objet de chocs culturels qui ravissent certains dans mon entourage, qu’ils soient politoloques, journalistes, communiquants, patron de presse ou autre. Pour les politiques qui m’invitent à leur table, c’est l’occasion, pour les plus malins (si, si, la plupart le sont), de réaliser que tout cela ne relève pas du superficiel et qu’il leur manque des clés de lecture, qu’un simple dîner, même dans un bon restaurant, ne suffira jamais à combler.

Le jeu s’est affiné, avec le temps, au bout d’un moment, je me suis mis – par réaction, si ce n’est par provocation – à faire entrer à mon tour des carrés dans des ronds. Une démonstration du fossé par l’absurde, en quelque sorte ; il y a peu, en montrant à Hervé Morin à quel point ses ‘droits fondamentaux numériques‘ étaient un enfer pavé de bonnes intentions pour quiconque possédait les bonnes clés de lecture, plus récemment, face à un Julien Dray virulent sur sa volonté d’exclure ceux qui avait trahi son camp, à qui j’opposais les modèles d’organisation souples et dynamiques, orientés projet. Un grand classique dans l’open source, les standards ouverts et dans les startups de toutes tailles, qui jugeraient ce type de comportement absurde et radicalement contre productif.

L’ouverture de Sarkozy comme innovation organisationnelle face à au système d’appareil pyramidal et définitivement calcifié du PS, incapable de produire quoi que ce soit, et l’épistémologie du web 2.0 pour démontrer à quel point la bataille était perdue d’avance.

Je vous laisse imaginer le regard inquiet que portait sur moi la foule de bloggeurs (de gauche) qui participait à la rencontre, me pensant (à juste titre) de gauche, tout comme eux, me voyant démontrer en quoi l’organisation de l’UMP (et accessoirement d’Europe Ecologie) décimerait à coup sûr un PS qui n’a rien à envier à la General Motors, et en quoi la modernité et le progrès se trouvaient dans le camp d’en face.

Cette inquiétude, peut être partagée par Julien Dray (allez savoir, au delà d’un certain niveau, les politiques sont aussi difficiles à lire que les joueurs de poker professionnels), me laisse penser que derrière les discours consistant à prôner la disparition du PS, se cache une envie de réforme et de prise de pouvoir plus qu’autre chose.

Tout cela ne m’empêchera pas de continuer à scruter ce que l’internet offre à la démocratie (ou aux dictatures) en terme de nouveaux horizons, mais j’ai de plus en plus la conviction que ce n’est pas demain la veille que nos politiques en feront autre chose qu’un gadget.

Plus j’avance dans ce monde curieux, plus je me dis qu’il est temps d’aller cultiver mon jardin.

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