OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La bactérie incorporant de l’arsenic, une nouvelle forme de vie? http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/ http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/#comments Sat, 04 Dec 2010 14:12:11 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=33558 Titre original : Une bactérie remplace le phosphore par l’arsenic

Vous avez certainement eu vent d’une découverte récemment publiée dans Science, ayant trait aux bactéries et à l’évolution, que je me devais donc de relater dans ces pages, ainsi que le traitement étonnant qui en a été fait. Mais venons-en au fait : des chercheurs de la NASA ont identifié une bactérie capable d’incorporer de l’arsenic (As) à ses propres biomolécules en lieu et place du phosphore (P), dont il est chimiquement proche (ce qui explique au passage sa toxicité). L’étonnant n’est pas tant que la bactérie résiste à ce poison notoire, mais plutôt qu’elle arrive à se passer du phosphore, qui fait partie des quelques éléments majoritaires de la matière vivante, avec le carbone (C), l’oxygène (O), l’azote (N), le soufre (S) et l’hydrogène (H).

En effet, le phosphore est un composant essentiel des nucléotides, donc de l’ADN, de l’ARN et des petites molécules qui permettent les transferts d’énergie dans la cellule. Il participe également à la régulation de l’activité des protéines, sous forme de groupements phosphates qui se greffent sur ces dernières. Son effet sur la mémoire est plus discutable.

Comment mettre en évidence une propriété aussi fondamentale et inattendue que la substitution du phosphore par l’arsenic? Les chercheurs ont isolé des bactéries tirées des sédiments d’un lac salé, particulièrement riches en arsenic, pour les cultiver sur un milieu ne contenant que de l’arsenic et pas de phosphore, sélectionnant ainsi la propriété de substitution. Bravo! En bactériologie, quand on cherche, on trouve! La bactérie ainsi identifiée parvient à remplacer -presque totalement- le phosphore par l’arsenic dans son ADN ou dans ses protéines. Le changement de régime n’est pas sans conséquence pour la bactérie, qui devient un peu malade, grossit et se multiplie moins vite…

Mais tout de même, il s’agit d’une souplesse métabolique inédite, qui n’est probablement pas un accident, cette bactérie vivant dans un milieu riche en arsenic. Ces travaux soulèvent d’intéressantes perspectives en évolution (comment fonctionnaient les premiers métabolismes? comment un système aussi flexible a-t-il évolué?), mais aussi dans l’étude de la biodiversité : pour identifier de nouveaux organismes invisibles à l’oeil nu, on a recours à des techniques comme la PCR, qui présupposent un certain type de biologie (avec, au hasard, un ADN basé sur du phosphore). Désormais, lorsque l’on étudiera des environnement très originaux, on utilisera peut-être des techniques plus fastidieuses mais moins biaisées. Pour finir, la publication elle-même est assez courte, et je gage que les auteurs travaillent sur les mécanismes moléculaires et sur la séquence du génome, qui devrait leur valoir un ou deux Nature/Science de plus. Fait étrange, l’article ne contient pas une ligne sur les considérations exobiologiques qui ont fait bruisser Internet…

Mono Lake, Californie, où la NASA a découvert cette bactérie

La NASA a apparemment fait une certaine publicité à cette découverte (doux euphémisme), générant une certaine attente du public quant à la possibilité d’une vie sur d’autres planètes, ainsi que le soulignent mes camarades d’En Quête de Sciences. Pendant ce temps, sur le webcomic xkcd, on s’interroge au sujet des conséquences de cette attente sur la conférence de presse.

Pour ma part, j’aimerais que l’on abandonne cette perspective exobiologique, pour une simple raison : si l’on espère vraiment trouver une forme de vie extra-terrestre, il faudra faire des efforts d’imagination considérables, et ne pas avoir de préjugés comme « houla! ne cherchons pas sur cette planète, il n’y a pas de phosphore, que de l’arsenic! Pas de vie possible ici, en plus, c’est un poison bien connu! ». Les gars! Vous avez construit des fusées pour emmener l’homme sur la Lune et le ramener vivant, le tout à une époque préhistorique! Pas besoin d’une bactérie bien terrestre (qui préfère quand même le phosphore) pour chercher d’autres formes de vie sur d’autres planètes!

Ce n’est pas non plus la première fois que l’on spécule sur la substitution des éléments fondamentaux de la vie : je me rappelle d’un Science & Vie Junior de ma jeunesse (donc au siècle dernier) où il était question  d’une hypothétique forme de vie extraterrestre, , et dont la biochimie ne serait pas basée sur le carbone, mais sur le silicium, un élément aux propriétés voisines…. le tout accompagné d’une vue d’artiste de l’organisme en question, vaguement anguleux et insectoïde.

Laissez-moi vous faire part de quelques titres arrivés dans mon agrégateur de flux RSS :  »La vie comme nous ne la connaissions pas » (un titre facile à recycler),  »Une bactérie ouvre la voie à une cuisine alternative de la vie » (pourquoi pas),  »La Nasa laisse espérer une rencontre d’un nouveau type » (racoleur mais étrangement exact),  »Une forme de vie fondée sur l’arsenic » (un tout petit peu exagéré),  »Découverte d’une bactérie qui se nourrit d’arsenic » (pourquoi pas, mais le thème de la nourriture n’est pas des plus heureux). En particulier, la conclusion sur le site de France 24 fait un peu sourire :

Cette découverte permet d’établir une fois pour toutes que des formes de vie peuvent exister dans des environnements impropres à la survie de l’humanité. Cette bactérie constituerait la première preuve d’une forme de vie différente de la nôtre – une sorte d’évolution parallèle.

Pour en finir avec les variations sur le thème « une autre forme de vie », je rappelle tout de même qu’il s’agit d’une bactérie, faisant partie d’un phylum bien identifié (les gamma-Protéobactéries! le même qu’Escherichia coliwake up!), qu’elle est basée sur de l’ADN et des protéines, donc qu’elle fait partie de la grande famille du vivant que nous connaissons bien et qui descend probablement d’un unique ancêtre. Quant aux implications pour la recherche de la vie dans des milieux jugés inhospitaliers par pur anthropomorphisme, je ne vois rien de neuf depuis la découverte de l’anaérobiose, soit la vie en l’absence d’oxygène gazeux (1860?). Il existe bien des bactéries qui respirent l’arsenic! Bref, j’en ai r-As la casquette, et je ne veux même pas aller voir ce que ça donne sur Twitter.

Dans le fond, je dois être un rabat-joie ; quand il y a trop de buzz autour d’une publication (et souvent avant celle-ci), j’ai tendance à la trouver moins excitante! J’ai pas déjà écrit un truc sur les chercheurs qui en font trop?

Bonus : La vidéo faite par Science de la présentation de la découverte :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

>> Article initialement publié sur le Bacterioblog

>> Photos FlickR CC : NASA Goddard Photo and Video et NASA

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Hacker la vie http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/ http://owni.fr/2010/06/14/hacker-la-vie/#comments Mon, 14 Jun 2010 10:05:02 +0000 aKa (Framasoft) http://owni.fr/?p=18559 Grande première : des chercheurs américains sont récemment parvenus à créer une cellule bactérienne vivante dont le génome est synthétique.

Il n’en fallait pas plus pour que la presse vulgarise l’évènement en nous posant cette spectaculaire question : et si l’homme venait de créer la vie ?

C’est aller un peu vite en besogne nous précise le célèbre scientifique français Joël de Rosnay : « Craig Venter, l’auteur de la fameuse publication dans Science, n’a pas créé la vie, il a fait un copier coller du génome d’une bactérie qui existe dans la nature ». Mais il reconnaît cependant que « c’est la première fois qu’un être vivant n’a pas d’ancêtre, qu’il a pour père un ordinateur ».

Nous voici donc en présence d’un être vivant dont le père serait partiellement un ordinateur. Or qui manipule cet ordinateur ? Craig Venter et son équipe, et si l’homme est avant tout un biologiste c’est également un homme d’affaire, ce ne sont pas des fonds publics mais privés qui financent ses recherches. Ainsi Le Monde nous révèle que « Venter, qui aurait déjà investi 40 millions de dollars dans ce projet, a déposé un portefeuille de brevets pour protéger son concept de Mycoplasma laboratorium, hypothétique machine à tout faire des biotechnologies ».

Une vie qui n’est alors qu’information et données entrées dans un ordinateur mais dont l’exploitation et l’accès sont strictement contrôlés et réservés aux entreprises qui l’ont enfantée. Cela ressemble à de la mauvaise science-fiction. C’est pourtant peut-être le monde qui nous attend demain. Et l’Apocalypse arrivera plus tôt que prévu[1].

Sauf si… sauf si on insuffle là aussi un peu d’esprit « open source », nous dit cet article du The Economist traduit ci-dessous.

Avoir ou non la possibilité de « hacker la vie », telle sera l’une des questions fondamentales de ce siècle.

Et l’homme créa la vie…

And man made life

20 mai 2010 – The Economist Newspaper
(Traduction Framalang : Martin, Olivier et Don Rico)

La vie artificielle, porteuse de rêves et de cauchemars, est arrivée.

Créer la vie est la prérogative des dieux. Au plus profond de sa psyché, malgré les conclusions rationnelles de la physique et de la chimie, l’homme a le sentiment qu’il en est autrement pour la biologie, qu’elle est plus qu’une somme d’atomes en mouvement et en interaction les uns avec les autres, d’une façon ou d’une autre insufflée d’une étincelle divine, d’une essence vitale. Quel choc, alors, d’apprendre que de simples mortels ont réussi à créer la vie de façon artificielle.

Craig Venter et Hamilton Smith, les deux biologistes américains qui en 1995 ont démêlé pour la première fois la séquence d’ADN d’un organisme vivant (une bactérie), ont fabriqué une bactérie qui possède un génome artificiel – en créant une créature vivante sans ascendance (voir article). Les plus tatillons pourraient chipoter sur le fait que c’est seulement l’ADN d’un nouvel organisme qui a été conçu en laboratoire, les chercheurs ayant dû utiliser l’enveloppe d’un microbe existant pour que l’ADN fasse son travail. Néanmoins, le Rubicon a été franchi. Il est désormais possible de concevoir un monde où les bactéries (et à terme des animaux et des plantes) seront conçues sur ordinateur et que l’on développera sur commande.

Cette capacité devrait prouver combien l’Homme maîtrise la nature, de façon plus frappante encore que l’explosion de la première bombe atomique. La bombe, bien que justifiée dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, n’avait qu’une fonction de destruction. La biologie, elle, s’attache à « mettre en culture » et « faire croître ». La biologie synthétique, terme sous lequel on regroupe cette technologie et des tas d’autres moins spectaculaires, est très prometteuse. À court terme, elle devrait permettre d’obtenir de meilleurs médicaments, des récoltes moins gourmandes en eau (voir article), des carburants plus écologiques, et donner une nouvelle jeunesse à l’industrie chimique. À long terme, qui peut bien savoir quels miracles elle pourrait permettre d’accomplir ?

Vers la folie des hommes ?

Dans cette perspective, la vie artificielle semble être une chose merveilleuse. Pourtant, nombreux sont ceux qui verront cette annonce d’un mauvais œil. Pour certains, ces manipulations relèveront plus de la falsification que de la création. Les scientifiques n’auraient-ils plus les pieds sur terre ? Leur folie conduira-t-elle à l’Apocalypse ? Quels monstres sortiront des éprouvettes des laboratoires ?

Ces questionnements ne sont pas infondés et méritent réflexion, même au sein de ce journal, qui de manière générale accueille les progrès scientifiques avec enthousiasme. La nouvelle science biologique a en effet le potentiel de faire autant de mal que de bien. « Prédateur » et « maladie » appartiennent autant au champ lexical du biologiste que « mettre en culture » et « faire croître ». Mais pour le meilleur et pour le pire, nous y voilà. Créer la vie n’est désormais plus le privilège des dieux.

Enfants d’un dieu mineur

Il est encore loin le temps où concevoir des formes de vie sur un ordinateur constituera un acte biologique banal, mais on y viendra. Au cours de la décennie qui a vu le développement du Projet Génome Humain, deux progrès qui lui sont liés ont rendu cet événement presque inévitable. Le premier est l’accélération phénoménale de la vitesse, et la chute du coût, du séquençage de l’ADN qui détient la clé du « logiciel » naturel de la vie. Ce qui par le passé prenait des années et coûtait des millions prend maintenant quelques jours et coûte dix fois moins. Les bases de données se remplissent de toutes sortes de génomes, du plus petit virus au plus grand des arbres.

Ces génomes sont la matière première de la biologie synthétique. Tout d’abord, ils permettront de comprendre les rouages de la biologie, et ce jusqu’au niveau atomique. Ces rouages pourront alors êtres simulés dans des logiciels afin que les biologistes soient en mesure de créer de nouvelles constellations de gènes, en supposant sans grand risque de se tromper qu’elles auront un comportement prévisible. Deuxièmement, les bases de données génomiques sont de grands entrepôts dans lesquels les biologistes synthétiques peuvent piocher à volonté.

Viendront ensuite les synthèses plus rapides et moins coûteuses de l’ADN. Ce domaine est en retard de quelques années sur l’analyse génomique, mais il prend la même direction. Il sera donc bientôt à la portée de presque tout le monde de fabriquer de l’ADN à la demande et de s’essayer à la biologie synthétique.

C’est positif, mais dans certaines limites. L’innovation se porte mieux quand elle est ouverte à tous. Plus les idées sont nombreuses, plus la probabilité est élevée que certaines porteront leurs fruits. Hélas, il est inévitable que certaines de ces idées seront motivées par une intention de nuire. Et le problème que posent les inventions biologiques nuisibles, c’est que contrairement aux armes ou aux explosifs par exemple, une fois libérées dans la nature, elles peuvent proliférer sans aide extérieure.

La biologie, un monde à part

Le club informatique Home Brew a été le tremplin de Steve Jobs et d’Apple, mais d’autres entreprises ont créé des milliers de virus informatiques. Que se passerait-il si un club similaire, actif dans le domaine de la biologie synthétique, libérait par mégarde une bactérie nocive ou un véritable virus ? Imaginez qu’un terroriste le fasse délibérément…

Interdire pour guérir ?

Le risque de créer quelque chose de néfaste par accident est sans doute faible. La plupart des bactéries optent pour la solution de facilité et s’installent dans de la matière organique déjà morte. Celle-ci ne se défend pas, les hôtes vivants, si. Créer délibérément un organisme nuisible, que le créateur soit un adolescent, un terroriste ou un État-voyou, c’est une autre histoire. Personne ne sait avec quelle facilité on pourrait doper un agent pathogène humain, ou en choisir un qui infecte un certain type d’animal et l’aider à passer d’une espèce à une autre. Nous ne tarderons toutefois pas à le découvrir.

Difficile de savoir comment répondre à une telle menace. Le réflexe de restreindre et de bannir a déjà prouvé son efficacité (tout en restant loin d’être parfait) pour les armes biologiques plus traditionnelles. Mais celles-ci étaient aux mains d’états. L’omniprésence des virus informatiques montre ce qu’il peut se produire lorsque la technologie touche le grand public.

Ouvrir pour prévenir ?

Les observateurs de la biologie synthétique les plus sensés favorisent une approche différente : l’ouverture. C’est une manière d’éviter de restreindre le bon dans un effort tardif de contrer le mal. Le savoir ne se perd pas, aussi le meilleur moyen de se défendre est-il de disposer du plus d’alliés possible. Ainsi, lorsqu’un problème se présente, on peut rapidement obtenir une réponse. Si l’on peut créer des agents pathogènes sur ordinateur, il en va de même pour les vaccins. Et à l’instar des logiciels open source qui permettent aux « gentils sorciers » de l’informatique de lutter contre les « sorciers maléfiques » (NdT : white hats vs black hats), la biologie open source encouragerait les généticiens œuvrant pour le bien.

La réglementation et, surtout, une grande vigilance seront toujours nécessaires. La veille médicale est déjà complexe lorsque les maladies sont d’origine naturelle. Dans le cas le la biologie synthétique, la surveillance doit être redoublée et coordonnée. Alors, que le problème soit naturel ou artificiel, on pourra le résoudre grâce à toute la puissance de la biologie synthétique. Il faut encourager le bon à se montrer plus malin que le mauvais et, avec un peu de chance, on évitera l’Apocalypse.

Billet initialement publié sur Framablog sous le titre “Et l’homme créa la vie… mais déposa un brevet dans la foulée”.

Crédit Photo CC Flickr:  _ Krystian PHOTOSynthesis (wild-thriving) _.

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