OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La réinvention du socialisme http://owni.fr/2010/02/19/la-reinvention-du-socialisme/ http://owni.fr/2010/02/19/la-reinvention-du-socialisme/#comments Fri, 19 Feb 2010 16:35:38 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=8383

Nous sommes encore libres, nous avons le pouvoir d’éviter le pire. Et si le pire advient, nous ne devrons nous en prendre qu’à nous-mêmes, car nous serons les seuls responsables. Nous étions prévenus. Je vais vous prévenir une nouvelle fois.

Imaginez que des hommes d’égal niveau d’éducation se retrouvent à bord d’un vaisseau spatial et débarquent sur une nouvelle planète. Quel monde y construiront-ils ? Un monde de liberté, d’égalité, de fraternité ou un monde qui ressemble au nôtre, avec ses hiérarchies, ses inégalités, ses structures d’autorités ?

De nombreux auteurs de science-fiction se sont posé la question, notamment Kim Stanley Robinson avec sa trilogie martienne. Comment savoir ce qui se passerait vraiment ? Faute d’avoir découvert une nouvelle planète à coloniser, nous pouvons considérer Internet comme un nouveau territoire. En étudiant son histoire, on peut en tirer quelques enseignements quant à notre actuelle maturité politique.

La hiérarchisation des hominidés

Tout d’abord, je voudrais revenir sur l’origine des structures d’autorité. Parmi les peuples premiers, certains sont non hiérarchiques et ne disposent même pas de l’impératif dans leur langage ou de verbes comme devoir. Ont-ils perdu les hiérarchies au cours de leur histoire ou les sociétés humaines ont-elles commencé par être non hiérarchiques ?

Les anthropologues penchent vers cette seconde hypothèse. Chez de nombreux mammifères, chez les loups ou les singes, il existe souvent des mâles dominants, mais pas à proprement parler de hiérarchie.

Le mâle dominant ne peut pas être considéré comme le chef de la horde. Il s’approprie les femelles qui l’intéressent, mange en premier, indique quand il est temps de se déplacer… Il manage par l’exemple sans donner d’ordre à ses congénères. Rien ne les empêche de tenter leur chance en solitaire ou d’aller former une nouvelle horde.

Dans l’histoire humaine, les premières hiérarchies apparaissent semble-t-il autour de -75 000 ans. Cet évènement aurait coïncidé avec l’invention des vêtements, qui avaient non pour but de réchauffer ou d’accroître le confort, mais d’affirmer le statut social.

Difficile de faire de l’archéologie ethnographique aussi loin dans le temps. On est sûr d’une chose en revanche : les hiérarchies s’imposent quand les hommes se sédentarisent (le pouvoir hiérarchique devient en quelque sorte juridique).

Les hiérarchies ont pour avantage de réduire les coûts de transaction comme en fit la démonstration Ronald Coase. Des structures d’autorités se forment alors. Ceux qui possèdent la terre, ceux qui possèdent du bétail, bientôt ceux qui possèdent d’autres hommes.

D’un monde primitif relativement horizontal, nous passons à des sociétés de plus en plus verticales. Nous basculons de la décentralisation à la centralisation.

La hiérarchisation de l’évolution

Ce ne fut pas une première dans l’histoire du vivant. L’évolution biologique n’a pas commencé par être darwinienne, c’est-à-dire verticale, avec des parents qui transmettent leurs gènes à leurs enfants au prix de quelques mutations.

Avant l’existence des parents, il y avait déjà de la vie. Il fallait bien un mécanisme pour transmettre les gènes. Ils circulaient alors horizontalement, d’individus en individus non apparentés, parfois d’espèces différentes.

Des scientifiques comme Carl Woese et Nigel Goldenfeld montrent que la théorie hiérarchique de Darwin est ainsi incapable d’expliquer l’apparition du code génétique lui-même. Elle ne se met en place qu’après plusieurs milliards d’années d’une évolution horizontale, évolution toujours active aujourd’hui.

Ainsi la vie aurait elle aussi basculé d’une époque dominée par l’horizontalité à une époque dominée par la verticalité, surtout chez les êtres les plus complexes.

La verticalisation, la hiérarchisation, la centralisation sont-elles inévitables et irréversibles ? C’est une question importante. Si tel est le cas, si nous colonisons un nouveau monde, nous y recréerons nécessairement des hiérarchies et des structures de domination. Si nous inventons un nouveau territoire, Internet, nous y reproduirons les pouvoirs millénaires avec tous leurs travers.

La décentralisation

Sommes-nous condamnés à une stagnation politique ? Avons-nous atteint structurellement la fin de l’histoire sociale ? De tout temps, les conservateurs ont pensé ainsi. Pour eux, au XVIIIe siècle, la société ne pouvait fonctionner sans esclaves, les hommes devaient dominer les femmes, les enfants devaient travailler… Il était impossible de remettre en cause les structures d’autorités existantes qui apparaissaient comme des fatalités que l’on attribuait à la nature humaine.

Mais qu’en est-il de cette nature humaine ? Avons-nous toujours tendu vers plus de hiérarchie ? Si tel était le cas, nous vivrions partout sous des dictatures implacables. Il n’en va pas ainsi parce que des individus qui résultent d’une évolution hiérarchique peuvent néanmoins développer des comportements non hiérarchiques.

Je ne vais pas donner d’exemples chez les animaux pour ne pas être accusé de comparer les hommes aux bêtes, même si celles-ci ont encore beaucoup de choses à nous apprendre.

Regardons nos villes. Bien que devenues des centres d’autorité, elles ne se sont pas moins développées le plus souvent suivant des principes horizontaux. Parfois elles furent fondées à la règle et à l’équerre, mais, au cours du temps, et cela toujours assez vite, elles adoptèrent des formes plus organiques.

Quand les scientifiques cherchent à reproduire l’évolution de ces villes en simulation, ils constatent que les modèles hiérarchiques n’expliquent pas leur structure. Nous devons imaginer que les hommes respectent une poignée de règles et bâtissent en fonction d’elles. Dès qu’on étudie les villes dans une durée supérieure au siècle, on constate qu’elles résultent avant tout d’un processus d’auto-organisation typiquement non hiérarchique. Et nos villes ne sont-elles pas parmi nos réalisations collectives les plus impressionnantes ?

Les victoires anarchistes

Il semble donc exister deux mouvements historiques : l’un pousse à la centralisation et à la création de structures d’autorité, l’autre à la décentralisation et à la destruction des structures d’autorité qui ne font pas leur preuve.

Noam Chomsky qualifie d’anarchiste cette seconde tendance. L’anarchie, suivant cette définition, n’est pas contre toutes les structures d’autorité, mais contre celles qui ne se justifient pas, ou plus.

Les hommes ont longtemps constitué une structure d’autorité sur les femmes. Des siècles de lutte ont vu quelques progrès, preuve que l’ont peut affaiblir cette structure d’autorité, et sans doute finir par l’éradiquer.

Les esclavagistes constituaient eux aussi une structure d’autorité. Des hommes l’ont abattue. Ils ont inventé le salariat, une forme de dépendance moins dégradante, qui a créé une nouvelle structure d’autorité, celle des patrons.

À leur tour, les socialistes ont rêvé de supprimer cette nouvelle structure d’autorité (je parle des véritables socialistes du XIXe siècle). Ils ont à ce jour échoué, ce n’est pas pour autant qu’ils échoueront toujours.

Bill Joy a montré que le modèle hiérarchique ne réduisait les coûts de transaction que dans un monde faiblement technologique. Quand les coûts de communication s’effondrent, on peut travailler où l’on veut, donc aussi hors des hiérarchies qui ne présentent plus d’avantages en terme de coût, mais uniquement en terme de pouvoir et deviennent de fait des structures d’autorité inutiles.

La guerre éternelle

Existe-t-il une tendance humaine vers la diminution du nombre des structures d’autorité ? Rien n’est moins sûr. Le salariat remplace l’esclavage. L’instruction remplace la noblesse de sang. Les banquiers s’arrogent le pouvoir de créer de l’argent.

Il y aurait plutôt une lutte continuelle entre les autoritaires et les anarchistes, entre les centralisateurs et les décentralisateurs. Ils se livrent une guerre éternelle. Doit-on choisir son camp ? En théorie, on peut être pour la décentralisation dans un domaine et pas dans un autre.

Toutefois, il me semble que nous devons entre les deux tendances nous positionner (et il ne peut sans doute exister plus de deux tendances politiques dominantes). N’oublions pas dans notre réflexion de considérer l’esclavagiste comme un centre pour les esclaves, l’homme comme un centre pour les femmes aliénées, le patron comme un centre pour les salariés… Alors les centres sont-ils nécessaires ? Et quand le sont-ils vraiment ?

Pour ma part, je penche vers l’anarchisme, estimant que le salariat doit être aboli, que le pouvoir de créer l’argent doit être réparti entre tous, que les pouvoirs subsistants doivent être jalousement séparés pour éviter les collusions… Nous devons interroger toutes les structures d’autorité et questionner leur légitimité.

Sans être aussi extrémiste que moi, on peut néanmoins sentir les deux tendances s’opposer dans notre société. Elles réveillent des forces souterraines et cataclysmiques.

Pourquoi cataclysmiques ? Parce que, quand la complexité augmente, la décentralisation s’impose. La raison est toute simple : pour faire face à la complexité, il faut de plus en plus d’intelligence. La seule manière de l’augmenter est de la laisser s’exprimer partout. On ne doit pas attendre l’aval de la hiérarchie avant d’expérimenter (une hiérarchie est moins intelligente et pas plus informée que sa structure sous-jacente).

Dans un monde qui se complexifie, les anarchistes devraient donc logiquement s’imposer peu à peu. Toutefois, les centralisateurs défendent leurs privilèges. Même quand la complexité augmente, ils tentent d’imposer la centralisation, ce qui implique inévitablement une réduction de la complexité.

Cette réduction peut prendre de multiples formes. Moins de gens pour interagir (stratégie de réduction de la population). Moins de liberté pour interagir (dictature avec contrôle des déplacements). Moins de technologie pour interagir (jihad Bultérien imaginé par Frank Herbert – avec disparition de la liberté d’expression). Cette liste pourrait s’étendre indéfiniment : épuisement des ressources naturelles, crises climatiques, récession économique durable… Nous ne serions capables de résoudre ces problèmes complexes que par la voie de la simplification catastrophique.

Nous serions alors forcés de renoncer à ce qui fait la richesse de nos vies (si ce n’est à nos vies même). Il ne s’agirait pas de sacrifier des choses accessoires, les gadgets inutiles du consumérisme, mais aussi tout ce qui fait le propre d’un monde complexe, les interactions à grande échelle, aussi bien celles qu’autorisent les voyages que les nouvelles technologies par exemple.

Un monde moins complexe nous pousserait à revenir à un stade antérieur de l’humanité, un stade pas nécessairement plus durable vu dans quel état nous avons mis le monde. Il n’y a d’avenir pour l’homme que dans la course à la complexification – une complexification culturelle.

Internet stigmatise les antagonismes

Que se produit-il sur Internet ? Nous avons construit une nouvelle planète où nous avons minimisé les structures de pouvoir. Pendant trente ans, nous nous sommes développés horizontalement, mais, aujourd’hui, les forces centralisatrices, un temps dominées, reviennent sur le champ de bataille. Les loups veulent se repaître du fruit de notre travail collectif.

Pour commencer, les gouvernements tentent de reprendre le contrôle, c’est-à-dire de réintroduire des hiérarchies là où elles n’existaient pas. Ils ne voient pas d’un bon œil que nous puissions échanger en direct des informations entre nous. Sous prétexte que nous pouvons échanger des informations piratées, ils imaginent des solutions de filtrage capables de nous empêcher simplement de communiquer.

Mais n’accablons pas les gouvernements. Ils ne sont pas nos plus dangereux adversaires. Ne cherchons pas d’autres responsables que nous-mêmes. C’est nous qui créons les véritables nouvelles structures d’autorité, des structures transnationales que sont Google ou Facebook par exemple. Nous les créons en plébiscitant les services centralisés de ces entreprises au profit des solutions décentralisées pourtant à l’honneur depuis le début d’Internet.

Quand je dis nous, je m’adresse surtout à ceux qui utilisent ces services en oubliant qu’il en existe d’autres. Quand vous parlez à certaines personnes de ce que vous avez vu sur Internet, ils vous demandent « C’est où sur Facebook ? » Pour une grande majorité d’internautes, Internet se résume à Facebook. Par ailleurs, bientôt la navigation ne s’effectuera plus qu’à travers Google et les liens hypertextes dans les pages ne seront plus utilisés.

Bien sûr ces services proposent aujourd’hui des avantages qu’aucune autre plate-forme ne confère. C’est confortable d’aller chez eux. Mais dites-vous bien que vous êtes en train de vous soumettre à de nouvelles structures d’autorités, des structures qui à ce jour n’existaient pas encore sur Internet… des structures que vous renforcez de jour en jour en même temps que la concurrence agonise.

La dictature est souvent confortable. Vous n’avez plus de question à vous poser. D’autres pensent pour vous et vous disent ce que vous devez faire. Je noircis le tableau, mais n’oublions pas que, quand nous donnons du pouvoir, il y a toujours des hommes pour se l’approprier. Ne leur facilitons pas trop la tâche, nous ne pourrions que nous en mordre les doigts.

Vous pouvez certes estimer qu’un tel monde hiérarchique est préférable à un monde horizontal, en apparence déstructuré, sans ligne claire, sans une direction unique imposée à tous… Vous êtes encore libres d’effectuer ce choix. J’use pour ma part de ma liberté pour travailler à un autre monde, celui que j’ai connu sur Internet quand tout était possible et que les structures d’autorité n’attiraient pas tous les internautes comme des mouches.

Ne croyons pas que le jour venu nous nous détournerons de ces structures avec facilité. Repensons aux esclaves ou aux femmes aliénées. Une fois une structure d’autorité installée, elle se défend jusqu’à la mort.

Cette défense implique un renforcement de la centralisation, une diminution concomitante de la complexité, donc de l’intelligence générale du système. L’innovation n’est plus au rendez-vous. Il n’y a plus de place pour d’autres en dehors. On se retrouve avec des centres de puissance qui ont tendance à entrer en guerre. D’ouvertes, les frontières se referment peu à peu.

Apple a inauguré depuis longtemps ce repli vers les solutions propriétaires. Google et d’autres développent le même travers, notamment dans le domaine de la téléphonie.

Nous qui penchons vers l’anarchisme, allons-nous laisser ce processus se développer ? Allons-nous laisser les structures d’autorité reprendre ce que nous avions un temps réussi à acquérir ? La liberté de publication. Le droit à l’anonymat. La coopération. L’open source. La hackabilité.

Toutes ces victoires, toutes ces structures d’autorité que nous avons dynamitées risquent bientôt de ressurgir. Sommes-nous à l’aube d’un nouveau balancement vers la centralisation ? Parfois même les écologistes appellent un tel revirement au nom de la protection de l’environnement. Les appels à la centralisation se généralisent. Toutes les raisons sont bonnes. Les crises et la nécessité des mesures d’austérité ont bon dos. Si seulement les hiérarques s’appliquaient l’austérité à eux-mêmes pour commencer.

Je n’ai pas envie de vivre dans leur monde. L’anarchisme doit être réhabilité comme la principale force de progrès de nos civilisations. Nous ne devons pas nous contenter de développer de nouvelles technologies, mais diriger ce développement dans un sens qui réduit les structures d’autorité. Nous en avons les moyens. Nous devons nous battre sur ce terrain de bataille politique.

La centralisation catastrophique

Le socialisme n’a jamais été appliqué. Jamais les gens qui s’en revendiquèrent n’ont fait disparaître les structures d’autorité. Ils les ont au mieux remplacées, souvent par des machineries monstrueuses comme en URSS. Le socialisme est devenu une machine centralisatrice. Il a remplacé Dieu par l’État. On est passé d’un opium du peuple à un autre, c’est tout.

Regardez ce qu’est devenu le socialisme dans un pays comme la France. Comment cherche-t-il à secourir les plus défavorisés ? Il ne remet en cause aucune des structures d’autorité qui engendrent les inégalités (ce qui est le propre d’une structure d’autorité puisque certains sont en haut de la pyramide et d’autres en bas).

Les socialistes ne voudraient qu’une seule compagnie ferroviaire, qu’un service postal, qu’un fournisseur d’énergie… Ils voudraient renforcer les structures d’autorité qui n’ont au cours de l’histoire d’autres fins que d’asservir les hommes. Est-ce cela le socialisme ?

Pour installer le revenu de vie, nous devons décentraliser la création monétaire. Pour célébrer la dignité humaine, nous devons décentraliser le travail, transformer le salariat en un nouvel artisanat. Pour garantir la liberté d’expression, nous devons continuer à créer des blogs indépendants et ne pas nous enfermer dans des plateformes totalisantes.

Nous ne devons nous définir comme des anarchistes, intégrant dans nos rangs les déçus du faux socialisme.

Alors nous apprendrons à produire nous-mêmes notre énergie, nos informations, nos infrastructures… Nous cesserons d’être soumis aux structures d’autorité qui n’ont plus aucune raison d’exister dans un monde devenu technologique.

Mais prenons garde. Il ne s’agit pas de détruire aveuglément toutes les structures d’autorité, mais seulement celles qui nous aliènent, celles qui n’ont plus de raison d’être. Je milite pour un anarchisme modéré tel que le définit Chomsky.

Quand les libéraux, ceux qui se prétendent tels, veulent détruire les services publics, ils ne cherchent pas à détruire des structures d’autorité, mais simplement à les déplacer vers le privé, à les ramener dans leur escarcelle. Ils agissent comme les communistes en URSS. Les libéraux n’ont jamais été anarchistes. Ils exigent la liberté de créer librement des structures d’autorité. Nous devons au nom de la liberté nous battre également contre eux.

> Article initialement publié sur Le peuple des connecteurs

> Image d’illustration de une jef safi sur Flickr

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“S’opposer de manière utile et constructive” http://owni.fr/2010/02/02/sopposer-de-maniere-utile-et-constructive/ http://owni.fr/2010/02/02/sopposer-de-maniere-utile-et-constructive/#comments Tue, 02 Feb 2010 18:34:47 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=7585

Certains ont encore du mal à voir des évidences qui s’imposent depuis déjà dix ans : Si le Parti socialiste peine à faire rêver c’est par son manque de hargne, dans sa représentation la plus visible, à défendre les valeurs de gauche.

C’est sur ce constat, et parce que de la hargne il en a, que dans la foulée du vote des motions du congrès de Reims, Jean-Luc Melenchon claquait enfin la porte du PS où il vivait “tranquillement comme spécimen de gauche, dernier marxiste” pour se “jeter dans le vide avec des communistes” et créer le parti de gauche visant rien de moins que la refonte du socialisme.

A l’initiative du journal Vendredi et accompagné des blogueurs vogelsong, Ronald d’Intox2007, Laure Leforestier, Guillaume d’Owni.fr Richardtrois, mancioday, dedalus, j’ai rencontré la semaine dernière un Jean-Luc Mélenchon balançant de la révolte au scepticisme mais dont rien n’ébranle les convictions.

La première partie de l’entretien est une charge philosophique sur les médias et la façon biaisée d’introduire le débat, l’autocensure de certains journalistes, le jeu continu entre le faux et le vrai dont vous trouverez le compte-rendu chez Piratages.

Concentrons-nous sur l’analyse du socialisme, passé présent et futur, qui sera le fil rouge du reste de l’entretien. (Je vous encourage à écouter les extraits audio jusqu’au bout, ça vaut le détour !)

Ça commence mal : Dedalus fâche Jean-Luc Mélenchon avec cette question que beaucoup se posent (tout de même) : “Est-ce qu’en sortant du PS il n’y a pas cette tentation de taper systématiquement dessus et finalement d’empêcher l’union ?“.


Colère.


JLM : - Qui divise la gauche ? Si ce n’est ceux qui ont décidé d’y mener une politique qui n’a rien a voir avec la gauche !” [...] Je suis contre les alliances avec le Modem, parce que le modem c’est la droite. Que dois-je faire ? Me taire ou le dire ? Madame Aubry se déclare à la télé pour la retraite à 62 ans et vous me dites : comment Monsieur Mélenchon vous osez la critiquer ? Et c’est moi qui aggraverait la division de la gauche ?


JLM poursuit son explication musclée sur la seule finalité de son parti : Forcer le PS à revenir à gauche. Il étaye sa démonstration sur son observation des mutations européennes (politiques libérales de Blair et Schroeder) ainsi que sud-américaines causées par un socialisme dévoyé.
JLM : “- La catastrophe italienne pour moi est la plus glaçante : Il n’y a plus de parti de gauche ! Ça répond à votre question ? Moi je suis obligé de me dire mais qu’est-ce que je suis entrain de faire ? Je suis entrain [à l'époque] de raconter aux gens que le débat continu à l’intérieur du PS, que faire autrement c’est diviser. Sauf que petit a petit la pente est prise, y a plus de résistance, y a pas de réaction !

Son devoir, continue-t-il, est de critiquer le PS français qui en arrive progressivement au point italien.

“- La responsabilité individuelle d’un homme libre c’est de s’opposer au moment où on peut le faire, de manière utile et constructive. [...] Il faut changer la gauche, changer son centre de gravite, rectifier son programme sur son orientation.
Suite de la réponse en audio (A propos de la gauche en Amérique du Sud et de Chavez) :

A l’idée qu’on puisse le soupçonner d’amalgamer socialistes français et sud-américains, Melenchon repart au quart de tour :

Ré insuffler de “la révolution” à gauche tout en restant dans un cadre républicain et générer l’implication populaire.
La question de l’alliance avec le NPA, pas réputé pour sa volonté d’accéder au pouvoir, est replacée dans une perspective historique : JLM rappelle qu’il y a 30 ou 40 ans nombre de socialistes étaient bien plus extrêmes que les extrémistes de gauche d’aujourd’hui :

JLM :- Vous avez vu ce qu’était le PS dans les années 70 ? […] On était un parti révolutionnaire. C’était marqué dedans. Il y avait du double vitrage à ma fédération et quand je demandais pourquoi on me disait : « camarade, l’ennemi de classe ne se laissera pas faire. » […] On peut toujours dire c’est pas ça qui s’est passé mais je rappelle que l’on a nationalisé toutes les banques, le tiers de l’industrie etc, etc.. et que « le vieux » [François Mitterrand] que l’on présente comme un machiavel cynique a toujours refusé de signer les ordonnances de privatisation jusqu’à son dernier souffle. »
A ce sujet, le chef du parti de gauche réhabilite la stratégie politique de François Mitterrand. Il donne sa version de l’élection de 1981 et du “tournant de la rigueur de 83″ :

1ere partie :

2eme partie :

En fin d’entretien, je lui demande si les élections régionales, avec un PS annoncé triomphant et donc peu enclin à l’autocritique, ne risquent pas de reporter son message d’encore un scrutin ? Réponse pragmatique et ouverte sur un deuxième scénario… :

Leçon de gauche terminée.

Pendant ce temps…

Dominique Strauss-Kahn est, parait-il, le candidat socialiste préféré des français…

» Articles initialement publié sur Les jours et l’ennui de Seb Musset

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Le PS perd-t-il ses jeunes ? http://owni.fr/2010/02/02/le-ps-perd-t-il-ses-jeunes/ http://owni.fr/2010/02/02/le-ps-perd-t-il-ses-jeunes/#comments Tue, 02 Feb 2010 16:27:22 +0000 lesaiglesmyopes http://owni.fr/?p=7565

« Je dirais à un jeune de vingt ans qui voudrait s’engager : Vas-y, ça vaut le coup ». On peut lire cette phrase au dos du nouveau livre de Lionel Jospin*. Mais difficile aujourd’hui pour un jeune de se lancer dans l’aventure rose tant les discordances au sein du parti sont importantes. La « nouvelle » génération des Peillon, Hamon, Valls et Dray est déjà en train de se déchirer et emboîte le pas des éléphants.

Le Parti Socialiste ne s’est toujours pas relevé du 21 avril 2002. Jospin est le dernier homme charismatique que la gauche ait connu. Sa défaite de 2002 peut être expliquée par plusieurs facteurs, mais il est clair que sa démission a laissé le parti orphelin d’un grand leader. La soif de pouvoir des prétendants a pris le pas sur les fondements idéologiques. Mais ces luttes de pouvoir ne datent pas d’hier et l’ancien premier secrétaire le raconte dans l’interview accordée a Pierre Favier et Patrick Rotman. Même sous les années Mitterrand, querelles et tentatives de mutineries allaient bon train, des conflits inhérents à tous partis. Seulement en laissant un parti déchu et sans leader, n’a-t-il pas fait une erreur en occultant complètement la relève? Lui qui dans son livre se dit s’être beaucoup inspiré de la façon dont le président gérait successivement son parti et ses gouvernements. N’a-t-il pas oublié un aspect politique cher et essentiel aux yeux de Mitterrand : faire perdurer le socialisme à la française ? L’ancien président avait tâché de canaliser les égos et d’arbitrer les divergences au sein de son parti. Ce que Jospin a brillamment reproduit entre 1997 et 2002, mais sa sortie a été bien différente de son illustre prédécesseur, il est vrai dans un contexte peu comparable. Partir ainsi laissant les égos s’entretuer s’est révélé dévastateur pour le parti de la rose.

Une génération a grandi avec un parti socialiste apathique devant la montée en puissance de Nicolas Sarkozy. Une génération qui n’a pas pu voter en 2002, car trop jeune, et qui a donc subi les conséquences de la décision de Lionel Jospin sans en avoir été acteur. Au cours des huit dernières années, elle s’est retrouvée cantonner entre l’anti-sarkozysme et l’inexistence d’opposition, difficile dans ce clivage de s’affirmer socialiste. Un manque de repères qui nuit fortement au PS.
Ce sentiment anti-sarkozyste prédomine clairement sur une réelle idéologie socialiste. La multiplication des mouvements de blocus et de grèves lycéennes et universitaires depuis 2002 avec un Nouveau Parti Anticapitaliste très présent et très apprécié des 18 -25 ans confirme cette tendance. L’anti-sarkozysme pur et dur fait recette, la recherche d’une vraie alternative idéologique et politique au pouvoir en place touche de moins en moins les jeunes de gauche. Convaincre une jeunesse qui n’a jamais connu de Parti socialiste fort sera un défi important mais qui semble aujourd’hui dur à relever pour le PS.

*Lionel raconte Jospin Entretiens avec Pierre Favier et Patrick Rotman aux éditions du Seuil.


> Article initialement publié sur lesaiglesmyopes.owni.fr
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