OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 New-York, en courant http://owni.fr/2011/06/25/new-york-en-courant/ http://owni.fr/2011/06/25/new-york-en-courant/#comments Sat, 25 Jun 2011 16:26:07 +0000 Alexandre Léchenet http://owni.fr/?p=71836 Le plus important avant de faire une visualisation, c’est d’avoir des données. Parmi la foule de données que nous créons chaque jour, il y a celles des sportifs qui veulent sans cesse traquer leurs efforts et leurs “statistiques personnelles”.

L’une des méthodes les plus populaires est celle proposée par Nike avec Nike Plus. Chacun peut partager ses courses, les comparer avec les autres et se féliciter de ses progrès.

Cooper Smith a décidé d’utiliser ces données pour toute autre chose : cartographier New York. À partir d’un milliers de courses faites en hiver 2010 et en améliorant ses résultats grâce à Google Refine, il est en mesure de récupérer dans Processing, un logiciel de traitement graphique, ces images de New York en jogguant. Le résultat, présenté sur son site et repéré par Urbain_ est assez bluffant et permet de voir les lieux les plus fréquentés par les coureurs. Et de deviner la Big Apple sous les données de géolocalisation.

Il s’est penché sur les endroits où les gens courent le plus, ceux où ils s’arrêtent, l’heure à laquelle ces lieux sont foulés. Toutes les images sont disponibles sur son site.

En bonus, un autre vidéo des joggueurs dans New York en fonction du temps.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Article initialement publié sur le datablog d’OWNI
En savoir plus sur les self trackers

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De la datalittérature dans le 9-3 http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/ http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/#comments Fri, 18 Mar 2011 07:30:53 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=51722

Traque traces, c’est l’histoire d’une énarque atypique qui quitte son loft bobo par passion de la littérature pour proposer un projet de résidence d’écrivain dans un lycée « difficile » du 93 classé site d’excellence. Elle tombe sur un proviseur qui lui dit banco tout de suite, de ceux qui ne s’embarrassent pas des lourdeurs administratives.

L’idée : faire des ateliers d’écriture pendant un an sur  « cette nouvelle écriture du monde et des individus basée sur les données » dans une classe de terminale STG (sciences et technologies de la gestion) sage comme tout, pas le genre à envoyer un professeur à l’hôpital pour dépression nerveuse. Les ados sont si enthousiasmés qu’ils se prennent de passion pour l’écriture, avec une appétence particulière pour son évolution numérique, et regardent maintenant leur carte Navigo RFIDéisé d’un œil suspicieux.

Tout est vrai, sauf la chute.
Cécile Portier est effectivement déléguée adjointe à la diffusion culturelle de la BNF, ce qui ne l’empêche pas de manger ses mots, des mots parfois pas très catholiques. Également écrivain, elle s’est mise en disposition du ministère de la Culture après avoir obtenu une bourse de la région Île-de-France pour aller à Aubervilliers au lycée Henri Wallon.

Elle a bien reçu un accueil enthousiaste de Mme Berthot, 1,80 m et un charisme à finir en personnage de téléfilm sur le service public. On rajoutera Arnaud, professeur principal de cette classe, qui a endossé le rôle nécessaire du garde-chiourme, au grand soulagement de Cécile et de son physique frêle, pas vraiment une voix de stentor,  « madame, on comprend pas toujours ce que vous dites… »

Depuis début octobre, à raison d’un atelier de deux heures toutes les deux semaines, elle leur fait écrire une fiction « cette écriture sans mots mais qui sont parfois transcrits en images », ces statistiques dont notre système actuel est si gourmand, comme un pied de nez à la « dataïsation » de nos vies. Mais il n’y a pas de miracle. Cécile n’en attendait pas d’ailleurs. Ce projet est juste une fenêtre ouverte, une alternative pédagogique aux cours de français classiques aux « bénéfices » difficilement quantifiables. Et tant pis pour la logique du chiffre qui règne à l’école, et à laquelle nous pouvons difficilement échapper dans nos sociétés. L’essentiel ici étant de prendre le recul nécessaire à la compréhension et de ne laisser personne d’autre écrire sa propre histoire.

Cécile Portier

« Tu t’appelles comment ? »

« Ici ou là-bas ? »

Outre l’ambition de la réflexion digne d’Hasan Elahi, cet artiste qui détourne la logique du life-logging, la difficulté provient de la construction de la fiction : elle se construit séance après séance. En cette mi-mars, les élèves commencent seulement à appréhender cet univers qu’ils élaborent. Le site qui lui donne corps est en ligne depuis un mois et les élèves ne l’ont pas vraiment mis dans leurs favoris. La séance de ce mardi va les aider à rendre plus tangibles les liens entre les personnages.

Cécile lance la consigne : « Votre personnage va écrire une lettre à un autre, en fonction des relations que vous avez nouées. » « Tu t’appelles comment ? », demande-t-on alors à une élève. « Ici ou là-bas ?, interroge la jeune fille. Ici, c’est Myriam, là-bas, c’est Mohamed, je suis vendeur dans un magasin d’informatique. »

Car chaque élève s’est inventé un double, en se basant sur ces fameuses données. « La construction des personnages s’est faite comme un jeu sous contrainte. On a introduit des vraies données dans la machine, on les a passées dans la moulinette du hasard, et on a regardé ce qui ressortait. Pourquoi faire cela: pour réintroduire ce qui fait tant peur au système de description du monde par des données : l’incertitude. Pour réintroduire de la fluidité dans un monde trop solide, découpable en tranches seulement. »

En guise d’approche, à la rentrée, Cécile leur avait raconté le Voyage des Princes de Sérendip, qui a donné son nom à la sérendipité :

- parce qu’il parle de traces laissées, et nous en laissons tous

- parce qu’il célèbre l’esprit d’enquête, et en même temps s’amuse de lui ; et certainement que nous avons à chercher, sérieusement, mais sans esprit de sérieux, car le pouvoir de l’interprétation est immense, et donc possiblement dangereux

- parce qu’il parle aussi de hasard et de chance, et sans cela on ne s’amuserait pas beaucoup

Ceci posé, on pouvait commencer à s’intéresser à nos propres traces…

Ensuite, chacun s’était assigné une résidence, non pas en fonction de l’ensoleillement ou de la proximité avec la mer, mais selon des coordonnées GPS délimitant un périmètre de quelques km2 autour d’Aubervilliers, visible bien entendu sur Google Earth ou Street View.

Même principe pour le nom, « attribué au hasard parmi les 100 patronymes les plus répandus dans le département de la Seine-Saint-Denis : de Martin, 1404 occurrences, à Leblanc, 155 occurrences, en passant par Coulibaly, 435 occurrences, la date de naissance : seulement le résultat de la loterie, fonction random number sur Excel.

Le prénom, lui, a été choisi, parmi les 10 plus fréquents dans le département 93, lors de l’année de naissance du personnage. » De même, les visages ont la froideur mathématique d’un portrait-robot car ils résultent de « la somme des mensurations que nous pouvons exercer sur eux », ça donne « des gueules de suspects », privées de « ce qui nous dessine sans nous tracer ».

Les personnages posés, tagués, il ne restait plus qu’à raconter des histoires autour d’eux pour mettre en vie cette « infratopie ». Avec toujours cette arrière-pensée politique : Cécile leur a ainsi demandé de faire raconter à un personnage de fiction un secret en réécrivant sur leur propre vécu, pour pointer cette « idéologie du rien à cacher, présente aussi dans notre entre-regard, cette philosophie de l’espionnage. » Et le graphe social de se dessiner de récit en récit, d’atelier en atelier :

Des relations souvent conflictuelles, « plus que ce que je ne pensais », explique Cécile, que la séance de ce mardi va tenter d’adoucir par la communication épistolaire. À ce détail près qu’en guise de bloc de feuille, c’est sur un antique ordinateur avec écran à tube cathodique que chaque élève va taper sa lettre. Au moins, la connexion marche. Ali, enfin pardon Fatima Coulibaly tire un peu la langue : que raconter à Tony de Oliveira ? Il se renseigne sur les événements qui les unissent via le site, ça vient : « je commence à avoir une idée pour la fin… tragique, ça a commencé mal pour elle », justifie-t-il : la pauvre Fatima est veuve, son mari a été assassiné. Ali s’attelle à la tâche, il fourmille d’idées à la fin, lui qui n’écrit jamais d’ordinaire : « on s’amuse plus qu’en cours de français, on n’est pas obligé de suivre un programme, on écrit. », explique-t-il timidement. Des vertus du ludique pour débloquer…

Fatima la veuve recevra quant à elle une lettre de David Leroy, directeur d’une société de surveillance, Kazeem dans la « vraie » vie. « Fatima, elle est pas intéressante ! », s’écrit le jeune garçon. En se creusant la tête, il finira par rédiger une missive où David Leroy essaye de convaincre Fatima d’investir dans des caméras pour se protéger, histoire de ne pas finir comme feu son mari. L’exercice ne lui déplait pas : « ça nous entraine à faire de l’écriture, à inventer de la fiction à partir de la réalité. » « Tout ce qu’on fait montre ce que l’on est, poursuit William/Chakib. Par exemple, en début d’année, nous avons vidé notre sac pour savoir ce que l’on est. »

Quand on lui demande ce qu’il pense de cet atelier par rapport aux cours de français, la réponse jaillit : « Oh c’est mieux ! C’est plus nous mêmes, on a créé des personnages. » Et mine de rien, le message est passé : son personnage, fumeur qui vient de se rendre compte qu’il est addict à la clope, écrit une lettre à un pharmacien pour lui demander des conseils pour arrêter. Il a glissé dedans des données bien flippantes sur la cigarette : « Et suite à un calcul que j’ai fait j’ai calculé que j’ai fumé 142350 cigarettes et que d’après des chercheurs anglais j’aurai déjà perdu environ 1088 jour dans ma vie. »

Une plus grande capacité à écrire

Le bilan, puisqu’il faut bien le dresser, n’en déplaise aux fans du management par l’accountability, ne passe par des chiffres bien carrés. C’est ce que vont expliquer Cécile, Arnaud et les élèves lors du débat auxquels ils participent ce vendredi matin au Salon du livre. À la fin de la séance de mardi, ils en ont discuté avec les élèves qui présenteront le projet, enfin, s’ils se lancent…

«Faut-il plus d’artistes dans les établissements ? La réponse vous appartient. Qu’est-ce que cela vous a apporté ? », interroge Cécile. « On se dévoile à travers nos personnages », avance Myriam. « Je suis super contente d’entendre ça ! », réagit Cécile. Arnaud avance des arguments : « Votre professeur de philosophie a remarqué que vous aviez une plus grande capacité à écrire, vous avez moins d’appréhension. C’est difficile à jauger pour nous-mêmes. »

Avoir plus de confiance, ça n’est pas « directement » utile pour le bac, mais c’est un atout. Et la confiance pour ces élèves, ce n’est pas une évidence : « On ne vous demande pas de faire un exposé en un quart d’heure vendredi, ne stressez pas ! »

Elen, look artiste soigné, gilet-chemise rayée, a pourtant peur « de ne pas savoir enchaîner ». « Il y aura un journaliste pour animer le débat, il vous aidera à rebondir, et d’autres lycéens vont réagir… » « Madame, vous ferez la présentation ? », Myriam retente le coup.

« Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas… » Le mantra est martelé. Et pourquoi ne se jetteraient-ils pas dans l’arène ? Certes, ils n’ont pas dépassé le stade de l’écriture narrative, certes la dimension politique du projet leur a échappé pour l’essentiel, certes les textes sont encore truffés de faute, mais ces élèves « paniqués par la consigne au début» ont fini par « s’échapper ».

Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas…

Le site Traque traces

Le blog de Cécile Portier


Reportage réalisé le mardi 15 mars 2011 au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers
Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor [CC-by-nc-sa]

> Vous pouvez retrouver tous les articles de la Une : Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent, Le papier contre le numérique et Ce qu’Internet a changé dans le travail (et la vie) des écrivains

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Le Self-Tracking: Quand les chiffres parlent http://owni.fr/2010/10/15/le-self-tracking-quand-les-chiffres-parlent/ http://owni.fr/2010/10/15/le-self-tracking-quand-les-chiffres-parlent/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:34:48 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31724 Assise à la terrasse d’un café, j’écoute Denis Harscoat de Quantter – site de self-tracking permettant à chacun de mesurer ses efforts – me vanter la beauté et l’utilité des nombres. Avec lui, je commence mon immersion dans la communauté des self-trackers : ceux qui collectent, analysent, visualisent et partagent leurs propres données.

Je ne lui cache pas mon scepticisme premier à l’égard de cette pratique que je cherche à connaitre et à comprendre. Denis me confie:

j’ai l’habitude qu’on nous prenne pour des tarés. J’entends toujours les mêmes choses. Les gens se demandent ce que l’on peut bien faire avec les chiffres.

Je n’arrive pas à contenir un sourire. Denis ne m’en tient par rigueur et continue : ” ils répètent que la vie ce n’est pas cela, que c’est la qualité qui importe et pas la quantité. La belle affaire ! Je pense que la vie c’est la quantité, que la qualité c’est la quantité. Quand une œuvre d’art ou une bonne bouteille de vin nous émerveille c’est parce qu’elles sont riches et qu’une vaste somme d’impressions affluent simultanément à notre cerveau. La qualité ce n’est que de la quantité”. Voilà le postulat de départ. C’est donc avec quantité de mots – et même d’anglicismes – que je vais vous parler des qualités des chiffres.

Le life-logging ou la mémoire de sa vie

Avant, l’agenda et le journal recueillaient rendez-vous notés à la va-vite, gribouillis en tout genre, ratures et pensées intimes. Ils étaient les seuls à conserver les vestiges du quotidien. Désormais, diverses méthodes permettent de garder une partie ou même l’ensemble des traces qu’on laisse derrière soi. Le life-logging en fait partie.

Kevin Kelly, rédacteur en chef du magazine Wired, le définit comme l’action “d’enregistrer et conserver l’ensemble des informations de la vie d’une personne. A savoir la totalité des textes, des images et des documents audios qui la concerne mais aussi le rapport qu’il entretient aux différents médias et l’intégralité de ses donnés biologiques relevées par des capteurs apposés à même le corps. L’information, archivée au profit du life-logger, peut être partagée avec d’autres à divers degrés et selon son bon-vouloir.”

Si l’est un nom qui doit être associé au life-logging c’est celui de Gordon Bell : pionnier de la pratique mais aussi détenteur des plus vastes archives personnelles au monde. Cet ingénieur américain a intégré le laboratoire  de Microsoft Research à San Fransico en 1995 et travaille depuis sur le projet MyLifeBits qui n’est autre que l’archivage exhaustif de sa vie. L’aventure a débuté quand il a décidé de se passer définitivement du papier et donc de faire scanner l’ensemble de ses documents. Plus le projet prenait de l’ampleur et plus il importait de l’implémenter encore. On y trouve aujourd’hui des photographies d’époque et des clichés pris automatiquement par un appareil photo qu’il porte sur lui, l’ensemble des sites web qu’il a parcouru et des applications qu’il utilise sur son ordinateur, l’intégralité de ses e-mails et de sa correspondance, ainsi que les enregistrements audio de toutes ses conversations.

Pratique extrême, le life-logging n’est que l’aboutissement d’un autre concept plus répandu, le life-caching – conserver des traces et les partager avec d’autres – permis par les technologies actuelles. En recommandant un lien sur Twitter, en mettant à jour son statut sur Facebook, en postant des photos sur Flickr, nous pratiquons tous le life-caching. Certains poussent même le vice à la démarche artistique, à l’instar de Joost Plattel qui prend et poste chaque jour un cliché à 20h36 précise ou encore de feu l’artiste new-yorkais Dash Snow dont les polaroids furent les seuls souvenirs de ses nuits sous héroïne.

Les self-trackers, des individus quantifiés

Même s’ils utilisent parfois la photographie, nos self-trackers sont généralement plus obnubilés par le compteur que par le déclencheur.

Collecter des données sur soi-même n’est rien d’autre que l’équivalent geek de tenir un journal

dit Andy Cotgreave de The Data Studio. Life-logger et self-tracker collectent ainsi données et reproches. Surnommés les data-freaks, ces gentils monstres dévoreurs de chiffres font parfois peur aux bien-pensants… et aux autres. Pour expliquer leur mode de vie – et le fait qu’ils ne soient pas si différents du reste de la population – ils font souvent l’analogie entre le journaling – tenir un journal – et le data-journaling – tenir un journal avec des données. Pour autant le data-journaling n’abandonne pas que le papier; dans certains cas il se passent tout simplement des mots.

A la différence des life-loggers – qui s’adonnent à l’écriture, l’audio ou encore la vidéo – les self-trackers se concentrent surtout dans les chiffres, leur grande marotte. En effet, le self-tracking (ou l’auto-monitoring ou le personnal informatics si vous appréciez les tags affiliés) consiste à compter des paramètres de sa vie, pour ensuite pouvoir les analyser et les partager. Le self-tracking est d’abord une affaire de collecte, et donc de procédures. Pour pouvoir bien se logger, et se compter ensuite, il est important d’avoir des outils fiables et adaptés à ses besoins. Quantité d’applications sont à disposition pour ce faire. Il en existe pratiquement une dédiée à chaque activité. On peut ainsi aisément trouver son bonheur si l’on souhaite suivre ses performances sportives ou sexuelles, surveiller sa nourriture ou ses humeurs, contrôler sa santé ou ses finances.

Ces applications ne prennent généralement en compte qu’un seul paramètre et parfois quelques uns tout au plus. Sur Daytum, une des plus plateformes les connues de self-tracking, les membre peuvent customiser leur pages. Ils choisissent dès lors ce qu’ils veulent tracker – nourriture consommée, nombre de cafés bus, programmes télé regardés par exemple – et la forme visuelle (histogrammes, camemberts, etc.) sous laquelle apparaitront leurs “résultats”.

Exemple de page Daytum

Smartphones et capteurs, des outils indispensables

Si la feuille de calcul Excel reste un must, le smartphone (surtout l’Iphone, même si l’Android commence à gagner du terrain) occupe une place centrale dans la vie du self-tracker. Toujours à portée de main, il lui permet d’actualiser ses données en temps réel. Aux dires des trackers, cette pratique, supposée chronophage, ne prendrait pourtant pas plus de temps que d’écrire d’un tweet: sur le site YourFlowinData, les updates se font en envoyant un DM à @yfd.

Même s’ils se défendent que le logging manuel soit si fastidieux, les traqueurs souhaitent évidemment plus d’automatisation dans la collecte de leur données. Les capteurs – ou sensors – existent déjà mais leur usage reste encore cantonné à certaines applications. On en trouve par exemple dans les semelles des Nike+ ou sur les vélos intelligents nommés The Copenhagen Wheel. Les self-trackers rêvent en fait du moment proche où ils pourront porter des sensors – sous la forme d’une montre par exemple – qui relèveraient en continu les données et les enverraient directement aux applications en vue de leur traitement.

Concrètement, ils veulent toujours plus de chiffres et de paramètres au menu et à la carte. Certains pris au jeu tombent parfois dans un véritable piège. L’histoire d’Alexandra Carmichael, fondatrice de la plateforme CureTogether et pionnière de la pratique est éloquente. Monitorant plus de quarante paramètres quotidiennement, elle a dû mettre un terme à son tracking pour se protéger de son emprise aliénante. Dans un un article à la prose syncopée posté sur le blog The Quantfied Self, elle écrit :

Comme n’importe quel outil, le self-tracking peut être utilisé pour aider ou pour blesser. Je ne le laisserai plus être un instrument de torture. Plus. Du tout.

Une pratique qui séduit de plus en plus

Entre mesure et démesure, les chiffres n’aidaient plus Alexandra. Pourtant, ils semblent servir la majorité de ceux qui débutent et poursuivent l’aventure. S’il n’en est qu’à ses balbutiement, le self-tracking séduit déjà beaucoup de monde. En fonction des centres d’intérêts, les self-trackers se comptent en centaines, en milliers et maintenant en millions. Au mois de mai dernier, l’application RunKeeper ( qui compte entre autre distance parcourue et calories brulées, nombres de minutes de l’effort et de battements de cœur pendant celui-ci ) a dépassé les deux millions de téléchargement. Le succès de la Wii-fit en est un autre exemple.

Au début de mes recherches, j’ai ouvert un compte sur Daytum pour y suivre des paramètres simples. Je n’ai pas tenu deux jours. J’en ai déduis que le self-tracking, avant d’être un mode de vie, est une histoire de motivation. Et je n’en démords pas, une inclinaison naturelle pour la rigueur ou un caractère obsessionnel et compulsif semblent être des avantages considérables voire des qualités indéniables dans cette pratique.

Les motivations qui poussent les self-trackers à commencer leur aventure et à la poursuivre sont individuelles. Pour la majorité d’entre eux, le self-tracking est un outil qui accompagne un projet de vie permettant de s’y tenir en s’auto-surveillant en permanence. Les sportifs voulant mesurer leur performances, les malades qui doivent surveiller leur paramètres vitaux, les dodus qui suivent un régime ou les travailleurs curieux de connaitre leur productivité, y trouvent leur comptent. Pour d’autres, le self-tracking permet la réalisation de projet graphique. C’est par exemple le cas pour les designers Nicholas Felton rendu célèbre par ses “Annual Report” (voir interview) ou Florent Guerlain et son projet “Hyper, Consommation Alimentaire”.

La connaissance de soi par les nombres

Au delà de leurs motivation divergentes, les self-trackers considèrent cette méthode comme une véritable aventure. Ils font de leur vie une expérience, dont ils sont à la fois le cobaye et la blouse blanche. En confrontant les résultats de différents paramètres, ils cherchent à découvrir des choses sur eux-mêmes, à être surpris par leur comportement, à les comprendre et à les infléchir. Ils démentent vouloir correspondre à une norme mais entrer dans une communauté d’individus dans laquelle prouesses et imperfections seraient montrés avec honnêteté, ne craignant pas le regard de l’autre et le cherchant.

Car le self-tracking, pratique on ne peut plus personnelle, se déploie aussi dans l’interaction avec les autres et les trackers aiment à partager leur résultats sur le net ou en comité. Nées aux Etats-Unis, les réunions “The Quantified Self”- du nom du blog monté par Kevin Kelly et Gary Wolf de Wired – commencent à arriver en Europe. Après Londres et Amsterdam en septembre, un meeting parisien ne devrait pas tarder. Lors de ces réunions, les membres échangent des informations et présentent outils et méthodologies. Armés de présentation PowerPoint richement pourvues de graphiques, les self-trackers font le récit de leurs péripéties devant un auditoire attentif. Intérêt pour autrui ou comble du narcissisme ? A la place d’une réponse voici une autre question : peut-on parler d’exhibitionnisme dans un camp de naturiste ?

Les self-trackers rejoignent Walter Benjamin dans sa définition du bonheur : être heureux, c’est se connaitre soi-même sans avoir peur. Si The Quantified Self devait être légendé, Gary Wolf opterait pour “la connaissance de soi par les chiffres”. Le self-tracking se revendique comme une nouvelle facette de la fameuse devise socratique “connais-toi toi-même”. Les trackers envisagent à travers les chiffres, un accès inédit à soi-même, une alternative à la démarche psychanalytique. Ils préfèrent la machine au divan trouvant leur méthode bien plus féconde et efficace du fait qu’elle se passe de mots; ces mots soumis à l’équivoque, qui peuvent tromper, trahir et mentir.

L’universalité du langage mathématique

Pour les trackers le chiffre pallie les défaillances du mot, le suppléé et peut-être même le supplante. C’est même le langage dans son intégralité qui est jugé trop limité et qui est critiqué à cause de sa linéarité, sa longueur, sa subjectivité, sa capacité à être excluant. Car les langues, à contrario du langage mathématique, ne sont pas communément partagées par tous. Elles cloisonnent et limitent la communication entre les hommes, mais aussi entre les espèces. Grâce aux capteurs, les trackers espèrent même pouvoir parler numériquement avec les plantes et les animaux.

Avec les nombres, les trackers visent à une meilleure connaissance d’eux-mêmes et du monde qui les entourent. A l’instar des pionniers d’internet, ces fanas de chiffres croient qu’il faut d’abord envisager de modifier les comportements individuels avant de pouvoir bouleverser l’ordre du monde. Qu’il faut œuvrer soi-même et ensemble, pour améliorer sa qualité d’être humain, pour tendre à de meilleure conditions de vie… si ce n’est à une meilleur humanité.

Les chiffres regroupent les individus par la pratique et le partage. La confrontation des données d’un groupe de personnes volontaires peuvent être parfois bénéfiques à la communauté. Dans le domaine de la santé, les initiatives se font de plus en plus nombreuses. Grâce à des sites comme PatientsLikeMe, les malades s’organisent pour mener leurs propres études. Alexandra Carmichael rapporte par exemple que des patients souffrant de sclérose latérale amyotrophie ont décidé d’observer l’effet du Lithium sur la progression de leur maladie. Qu’ils en prennent ou non, les malades ont répertoriés leurs données. La comparaison des progrès des deux groupes n’a pas été concluante mais jamais aucune étude médicale sur la SLA n’avait réuni autant de patients, et n’avaient obtenu de résultats aussi rapidement, pour si peu d’argent.

De la vie privée à l’attention publique


Il existe aujourd'hui d'autres moyens de tout enregistrer

Agir sur soi-même pour agir sur le monde, c’est aussi remettre en cause les systèmes établis et non pas uniquement celui de la langue. Les feuilles de calculs sont généralement le pré-carré des scientifiques, des économistes, des comptables, des gouvernants et des commerciaux. En s’emparant des méthodes de ces derniers et en pistant eux-mêmes leurs chiffres, les self-trackers prétendent en fait désamorcer la tyrannie d’un système qui nous demande de faire toujours plus de chiffres ou qui nous en affublent sans cesse.

Quittes à être trackés par les gouvernements et chiffrés à mauvais escient par les entreprises, les self-trackers préfèrent autant le faire eux-mêmes. Considérant le self-tracking comme une subversion, les datactivistes ont décidé de prendre le contrôle de leur données. C’est le cas par exemple de l’artiste Hasan Elahi (voire l’article) qui à mis l’ensemble de ses données personnelles sur le site Tracking Transience permettant au FBI de tout savoir sur lui tout en dévaluant ces informations par leur nombre et leur accessibilité.

Mais on peut légitimement se demander si les chiffres utilisés pour contrecarrer le système ne pourraient pas se retourner contre les self-trackers. Mark Zuckerberg co-fondateur de Facebook annonçait au début de l’année 2010 que l’époque de la vie privée était révolue. Les questions concernant la vie privée sur Internet ne cessent d’être posées sans pour autant trouver de réponses. Mais qu’en est-il de la vie privée quand celle-ci s’exprime par des chiffres? Y-a-t-il des paramètres qui doivent rester confidentiels, quand d’autres peuvent être largement communiqués ? Encore une fois, les réponses sont à inventer car la pratique est encore neuve et nous n’avons rien d’autres à offrir que des suppositions.

Les self-trackers, eux, ne paraissent pas très inquiets de ce qui pourrait advenir des chiffres qu’ils partagent avec tant de générosité, franchissant sans aucune difficulté l’état de data-loggers à celui de data-bloggers. D’après le critique Hal Niedzviecki  les self-trackers n’ont que faire de la vie privée et n’accordent que peu de valeur à ce concept désuet. Ils lui préfèrent celui d’attention, ce qui est un véritable changement de paradigme culturel.

Le meilleur des mondes

Dans cette histoire, la vraie question tient surtout à savoir si les self-trackers ne se moqueraient pas de la vie privée pour la bonne raison que la leur – s’exprimant en chiffres – n’a pas encore affectée. Imaginons que je me sois appliquée à tenir mon compte Daytum. En un click, n’importe qui, aurait pu découvrir mon penchant pour le chocolat et la nicotine ainsi qu’une certaine irrégularité dans ma pratique sportive. N’importe qui dont mon père, mon assureur ou un chef de projet dans l’industrie agro-alimentaire. J’aurais pu alors recevoir les trois mails que voici :

Je viens de voir tes chiffres sur Daytum. Ta mère et moi sommes très déçus. Encore plus que la fois où nous t’avons vu ivre sur YouTube. J’espère que tu vas arrêter de fumer, c’est mauvais pour toi. Tu devrais le savoir c’est inscrit sur le paquet que tu fumes chaque jour. J’ai décidé d’enlever un euro sur ton compte épargne chaque fois que tu cliqueras sur +1. Je fais ça par ce que je t’aime. Bisous

Mademoiselle, ayant constaté la faible qualité de vos chiffres, j’ai le regret de nous annoncer que nous ne pouvons accepter de vous couvrir. Le mode de vie que vous menez ne peut en aucun cas vous permettre de bénéficier d’une assurance-vie dans notre compagnie. Votre tabagisme – vous conduisant à une mort prématurée – et votre attrait pour le chocolat combiné à de faibles performances sportives – faisant de vous une personne potentiellement en sur-poids et hypothétiquement sujette à des maladies cardio-vasculaires – vous classent dans la catégorie des individus à risques. Risques, Mademoiselle, que nous se sommes pas en mesure de prendre. Cordialement

Bonjour, je vous écris car je voudrais vous vanter les mérites de notre toute nouvelle barre chocolatée et nicotinée low-carb : Chococlop. Chococlop vous permettra d’assouvir votre gourmandise sans culpabilité ! Vous pourrez grignoter tout en gardant la ligne et même diminuer votre consommation de cigarettes : ) Sachez qu’en plus pour l’achat de 8 cartons de Chococlop vous ferez partie de nos clientes privilégiées et aurez droit à un bon de réduction de 50% sur un vélo d’appartement chez notre partenaire Les Machines de Machin. Super non ?

Personnellement, cela me donne la chair de poule. D’autres histoires de ce genre restent à imaginer, et peut-être nous les expérimenterons dans un futur proche, si nous les vivons pas déjà.

Pratique numérique, pratique magique

Au contact des self-trackers – et par delà les motivations concrètes qui les ont amenés à le devenir – il m’a semblé qu’ils ne cherchaient pas uniquement des nombres mais aussi des valeurs. En instaurant des manières inédites d’être et d’agir pour soi et pour les autres, ils ont crée un système dont chacun est à la fois le centre et une des multiples particules périphériques qui le composent.

En s’imposant une ligne de conduite rigoureuse, les trackers semblent vouloir ancrer leur quotidien dans des rites et donner du sens à leur actes. Y aurait-il du spirituel dans les chiffres ? Les trackers sont affirmatifs. En investissant leurs données, ils ont découvert un monde fait de nombres, traversés de flux de données que les graphiques donne à voir partiellement.

Nos self-trackers l’expérimentent et l’explorent à foison sans pour autant connaître le précis but de leur quête. Qu’ils soient datafreaks, savanturiers ou maitres ignorants, les self-trackers nous apprennent avec leurs feuilles que l’émancipation de soi peut s’envisager à travers les chiffres et que notre environnement est une élégante équation remplie d’inconnues, de mystères et de magies.

Crédits photos CC FlickR par theskinimin, Heartbeatbox

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Nicholas Feltron: le self-tracking, “de nouvelles formes de communication condensées” http://owni.fr/2010/10/15/nicholas-feltron-le-self-tracking-de-nouvelles-formes-de-communication-condensees/ http://owni.fr/2010/10/15/nicholas-feltron-le-self-tracking-de-nouvelles-formes-de-communication-condensees/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:30:42 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31745 Vous travaillez actuellement à l’élaboration d’un livre sur les moyens de production artistique. Considérez-vous qu’aujourd’hui, l’information et les données font partie de ces moyens ?

L’information est quelque chose qui se répand partout. Avant, les données étaient le pré-carré des scientifiques et des comptables. Maintenant de plus en plus de gens y ont accès et en produisent à leur tour. Ils ont pu découvrir ou même créer des outils leur permettant d’analyser et de comprendre les données, d’en faire quelque chose. Je répondrais donc qu’en art ou dans tout autre domaine, l’information est un média qui est aussi devenu du contenu.

On ressent un vif intérêt pour les infographies et les visualisations en tous genres. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un engouement passager ou plutôt d’une tendance lourde ?

C’est assurément une tendance lourde. On perçoit un attrait grandissant pour les visualisations de données. Elles permettent de se rendre compte des nombreuses complexités qui font le monde qui nous entoure. Je me réjouis que l’on s’y intéresse de plus en plus et que l’on tende vers la simplicité. Pourtant, et je le déplore, la majorité des visualisations produites et diffusées attirent l’œil et le détournent des bons travaux de la discipline.

Elles sont généralement réalisées dans un style cartoon et ce sont elles qui sont mises en avant alors qu’il y a tant d’informations pertinentes et de belles histoires à communiquer ! Je préfère quand les histoires vont plus en profondeur plutôt que quand elles se cantonnent à montrer la complexité et les connections. et que l’on peut en extraire de véritables enseignements.

Vous êtes devenu célèbre grâce à vos Annual Reports. Ce n’est pas votre premier projet graphique mais c’est celui qui a su rencontrer une large audience. Aucun d’entre eux ne se ressemble, qu’est-ce qui vous pousse à modifier les paramètres que vous sélectionnez et les formes que vous leur donnez ?

L’information est dirigée par la curiosité. Je vis chaque année comme une quête. Je traque au fil des jours les données qui constitueront mon Annuel Report. Je me demande comment, à travers elles, je vais raconter de nouvelles histoires et comment je vais trouver de nouvelles manières d’appréhender cet enregistrement permanent de ma vie. Je sauvegarde donc l’ensemble de ces données pour les mettre en forme l’année suivante. Il m’arrive même d’avoir deux années de données conservées dans des bases que je n’ai pas encore explorées.

Plus j’y pense et plus je crois que la curiosité y est pour beaucoup dans cette aventure. Je me demande à quoi une année va ressembler à travers la focale que j’aurais choisie, c’est-à-dire comment je l’ai ressentie et comment elle a été perçue par mon entourage. Je suis curieux de voir les traits qu’elle va prendre une fois que j’aurai résumé ses divers aspects en nombres ! Je regarde l’ensemble de mes transports par exemple et je compte le nombre de kilomètres que j’ai parcouru en avion durant ces 365 jours. Cette année je m’intéresse attentivement au temps que je passe dans différents lieux, et avec qui je m’y rends. J’ai aussi deux ou trois autres idées mais vous verrez cela bien assez tôt ! J’ai besoin que cette recherche reste fraiche et excitante. Il faut que l’Annual Report reste un projet neuf chaque année. C’est aussi mon laboratoire visuel. Je peux y essayer de nouvelles formes et de nouvelles manières d’explorer les données, sans qu’un client me dise que cela lui déplait ou que l’aventure ne l’intéresse pas. C’est très libérateur et productif pour ma pratique.

Un extrait de l'Annual Report 2007

Vous avez commencé à réaliser l’Annual Report comme un projet graphique et personnel. Est-ce que c’est toujours le cas ou bien est-ce qu’il tend à devenir une nécessité, vous permettant de mieux vous connaître et de mémoriser l’ensemble de vos faits et gestes ?

L’Annual Report est toujours un projet personnel. Pourtant je crois qu’il s’y ajoute quelque chose d’autre. Quelque chose qui serait peut-être, allez disons-le, une sorte d’addiction. Maintenant je dois le faire. J’ai découvert tous ces flux invisibles de données qui circulent autour de moi et il est désormais trop tard pour que je les laisse ne pas être collectés ou visualisés graphiquement.

Vous dites que les chiffres sont pauvres en enseignements vous concernant et que vous ne les utilisez pas pour influer votre comportement et quand bien même vous le voudriez ou le pourriez. Pensez-vous que des gens ont véritablement des choses à découvrir sur eux-même en collectant et en visualisant leurs données ?

Absolument, le simple fait de collecter des données est déjà suffisant pour modifier le comportement d’un individu. Je crois que quand l’on commence à scruter quelque chose on y devient véritablement attentif et que l’on est déjà en train de changer. Si demain vous vous mettez à enregistrer le nombre de cafés que vous buvez vous serez plus conscients de votre consommation et de votre comportement. J’admets ne pas regarder pas mes chiffres pour influer sur mon comportement car j’ai toujours considéré l’Annual Report comme une sorte d’agenda personnel ou de journal intime où j’essaie de conserver les événements sans tendre à modifier leur cours. Les motivations qui poussent à se traquer et les paramètres traqués varient en fonctions des individus. Ils peuvent décider de changer leurs agissements ou bien simplement de les regarder, d’enquêter sur leurs habitudes et de les mémoriser. Je fais plutôt partie de ceux-là.

Êtes-vous particulièrement sensibles aux petites choses du quotidien ? Celles qui sont en sourdine et pourtant porteuses de sens, celles qui peuvent s’effacer de la mémoire par leur fragilité en dépit de leur accumulation ?

J’aime les motifs et les collections. J’admire l’obsession, la rigueur et l’organisation. Je pense que c’est tout cela que l’on retrouve dans mon travail et dans celui des artistes que j’admire comme par exemple Sophie Calle, Mark Dion ou encore Candy Jernigan.

Combien de bouteilles d'eau ai-je bu cette année ?

Vous avez cofondé la plateforme Daytum grâce à laquelle tout un chacun peut enregistrer et visualiser les données qu’il souhaite. L’avez vous créée car vous sentiez qu’il y avait une demande et un véritable besoin ?

J’ai été très surpris de voir le nombre de personnes qui ont été enthousiasmées par mon projet. J’ai peu à peu remarqué qu’il y avait des gens qui reprenaient ma démarche. En fin d’année, je reçois souvent des mails d’inconnus qui m’envoient leur propre Annual Report. J’avoue ne pas savoir ce qui les motive. Peut-être est-ce l’aspect collection ou le côté design de la chose, peut-être même les deux. Or, il est difficile de collecter des données quand on ne possède pas les outils appropriés et les méthodologies efficaces. Lorsque la collecte des données a été menée à bien, l’étape suivante – celle de leur représentation – est un tout autre challenge. J’ai donc créé cet outil en reprenant le concept et les procédures de l’Annual Report afin de les rendre accessibles à tous.

Y a-t-il des paramètres qui sont majoritairement traqués par les membres inscrits sur Daytum ?

Oui et les tendances sont très simples à repérer. Les gens commencent le self-tracking à partir de paramètres simples, comme par exemple leur consommation de boisson ou de nourriture, les séries télévisuelles ou les films qu’ils regardent. Ces choses sont à la fois discrètes et omniprésentes, inscrites dans une temporalité et vouées à l’oubli dans la répétition. Il est aussi très intéressant de voir comment certains membres s’emparent de cet outil pour l’étendre à des usages auxquels nous ne nous attendions pas. Je pense par exemple à un jeune homme qui se sert de Daytum pour raconter l’histoire de son canapé. Il comptabilise le nombre de personnes qui y passent la nuit, qui s’assoient dessus, et aussi les tâches et restes de nourriture qu’on peut trouver dessus. J’aime beaucoup ce genre d’initiatives qui sont bien plus expressives et créatives.

À votre avis, qu’est-ce qui pousse des personnes qui ne sont pas designers à se traquer ?

C’est la question à un million de dollars. Je pense que de multiples raisons peuvent nous conduire à cette pratique pourtant je ne saurais vous dire laquelle est propre à chaque individu. Le jogging est moyen efficace pour créer des histoires dans une forme autant pudique qu’expressive. La liste n’est pas exhaustive mais je crois que certains le font par curiosité, d’autres l’envisagent comme un moyen de se raconter, d’autres ressentent une véritable satisfaction quand ils parviennent à connaitre leurs chiffres, d’autres encore pour changer leurs comportements, regarder a posteriori leurs activités, ou mesurer leur productivité et leurs accomplissements.

Vous dites que l’on peut mesurer sa productivité et ses accomplissements, le self-tracking pourrait-il être un moyen aussi libérateur qu’aliénant ?

Je ne pense pas que cette méthode doit être appliquée pour mesurer la productivité ou les accomplissements des gens. Par contre, quand une personne narre une histoire statistique sur son canapé ou qu’émergent des avis communs à propos d’un film, je crois que l’on se retrouve confronté à de nouvelles formes de communication condensées.

Que pensez-vous que cette nouvelle forme de communication peut nous apporter ?

Je crois que cette méthode permet de renforcer la communication non seulement entre les individus mais aussi entre eux et les plantes et les objets inanimés. Par exemple, sans se baser sur des structures grammaticales ou syntaxiques, une plante peut vous exprimer clairement qu’elle a soif grâce à des capteurs implantés dans le sol. De la même façon, sans écrire des paragraphes sur mon week-end, je peux vous raconter toutes les choses que j’ai faites (à savoir où j’étais, qui j’ai vu, ce que j’ai bu ou mangé) en quelques updates condensées. Ces updates peuvent aussi être associées entre elles pour raconter des histoires bien plus vastes, se modifiant au fil du temps. Et puis, n’y a-t-il pas, peut-être, quelque chose qui ment entre l’image et le mot ?

J’aimerais vous retourner la question ! D’ailleurs, la visualisation de données est-elle une réponse ou plutôt un tout nouveau set de questions ?

J’espère qu’elle est les deux. Je la perçois comme une approche qui peut nous mener à de meilleures réponses et à de meilleures questions.

À consulter

Le site de Nicholas Feltron

Daytum, plateforme accessible à toute personne souhaitant enregistrer et visualiser des données

Images : traces de pas CC Flickr ankengine, Annual Report 2007 copyright Nicholas Feltron ; bouteilles d’eau CC Flickr Klearchos Kapoutsis

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