OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les 35 heures à l’école, une copie à revoir… http://owni.fr/2011/01/07/les-35-heures-a-ecole-une-copie-a-revoir-education-nationale-prof-enseignement/ http://owni.fr/2011/01/07/les-35-heures-a-ecole-une-copie-a-revoir-education-nationale-prof-enseignement/#comments Fri, 07 Jan 2011 16:14:04 +0000 Mathieu L (Les privilégiés parlent aux Français et au Monde) http://owni.fr/?p=37496 La passion du moment pour les 35 heures ne s’affaiblissant pas, on polémique à droite comme à gauche. Chacun y va de son petit mot, qu’il soit lambda ou élu et le tout au sein d’une joyeuse allégresse qui pourrait ouvrir le débat. Dans le texte, les 35 heures. Et dans les faits, bien autre chose.

Estimation complexe: calcul d’un temps de travail basé sur celui de 1950

Dernièrement, le temps de travail des enseignants a largement occupé les médias. Le PS, dans ses récentes propositions, a repris l’idée de Ségolène Royal et proposé un réaménagement de notre temps de travail. La droite expérimente la hausse du travail par la suppression des personnels, obligeant les autres à travailler et anime un grand débat sur les vacances qui suscite de nombreuses réactions dans la profession mais aussi dans les lobbies touristiques. Estimer le temps de travail réel qu’on utilise est réellement très compliqué. Cela doit être simple pour un salarié utilisant une pointeuse. Pour moi, je ne peux me baser que sur des estimations, forcément très personnelles et forcément très subjectives.

En théorie, notre boulot s’appuie sur différentes missions. Nous devons donner un certain nombre d’heures de cours en fonction de notre statut (15 heures ou 18 heures). Nous devons fournir des cours de qualité durant ces heures, s’appuyant sur la recherche universitaire actualisée (pas celle du moment où nous faisions nos études) et nous devons participer à toute une série d’examens, soit dans nos classes, soit dans des examens divers comme le brevet ou le bac. Notre temps de travail est calculé sur le temps de travail de 1950, qui était de 43 heures pour les salariés de l’époque. Pour moi qui suis agrégé, cela signifie que je suis censé travailler 2,86 heures pour une heure de cours effective. Nous avons de plus un certain nombre de semaines de vacances (j’exclus l’été car nous ne sommes pas payés sur cette période) durant lesquelles on travaille toujours un peu, mais évidemment bien moins que durant les 36 semaines de cours. Personnellement, je travaille beaucoup pendant les vacances de la Toussaint et celle de février, nettement moins en avril et quasiment pas durant les vacances de Noël.

Dans la pratique, c’est encore pire

J’avais estimé utiliser, en fonction des semaines travaillées, entre 30 et 45 heures. Ces variations importantes sont liées à l’organisation de l’année scolaire. Je travaille bien plus en début d’année (je prépare tous mes cours en les adaptant aux classes que je viens de découvrir) ou durant les périodes de conseil de classe et au moment des examens. Par exemple, une période assez calme est le mois de mai. On a tellement préparé de cours et on est tellement en retard sur le programme qu’on n’a plus grand-chose à faire en dehors des corrections.

Lorsqu’on interroge les collègues sur le sujet, ils affirment travailler beaucoup. Le billet de Cycee de ce matin en est un excellent exemple.

Tous les profs vous diront que « c’est de plus en plus dur », que « les vacances sont encore loin » ou que « y en a marre de ce boulot lourd et si mal payé ».

En fait, quand on creuse, on constate que deux choses émergent nettement : ce sont finalement les heures de cours devant élèves qui sont citées comme étant réellement le moment usant du travail, surtout dans les bahuts difficiles, en particulier les collèges, et les enseignants ont le sentiment qu’on leur rajoute sans arrêt toute une série de trucs inutiles et sans intérêt, que ce soit dans les cours ou hors des cours, qui les éloignent de leur mission centrale qui est déjà assez difficile comme cela.

Responsabilités, propositions et bases de discussion

La droite est clairement vu comme responsable de cette dégradation : les suppressions de poste ont amené à une nette hausse des heures supplémentaires, certes bien payées, mais qui ont alourdi nettement la charge de travail. Elle a aussi contribué à toute une série de décisions qui n’ont cessé de faire penser aux profs qu’ils étaient mal considérés et qu’ils faisaient un peu tout et n’importe quoi.

Les propositions du PS ne sont pas vraiment mieux passés. Les socialistes proposent une diminution des heures de cours et une revalorisation salariale pour continuer à faire des économies en supprimant de nombreuses professions comme les surveillants, les conseillers d’orientation ou les CPE : les profs devraient ajouter bien d’autres missions à leurs arcs.

Je ne sais pas ce que souhaitent vraiment les profs, mais il y aurait deux bases pour discuter je pense :
- que les changements dans notre temps de travail fassent du bien aux élèves (ce qui n’est pas le cas en ce moment, regardez les résultats de PISA),
- que ces changements donnent l’impression (au moins) que l’on prend en compte le fait que notre travail premier (donner des cours) est important pour la société.

Si on s’appuie là-dessus, on pourra discuter. Sinon…

Article initialement publié sur Les privilégiés parlent aux Français et au Monde sous le titre Parlons sérieusement du temps de travail: et les profs?

Photos Flickr CC Alain Bachellier, USNationalArchive

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Lettre à Laurence http://owni.fr/2010/11/14/lettre-a-laurence/ http://owni.fr/2010/11/14/lettre-a-laurence/#comments Sun, 14 Nov 2010 16:12:20 +0000 Olivier Ertzscheid http://owni.fr/?p=31545 Elle s’appelle Laurence. Comme 16 000 autres enseignants, elle est la génération “master”. Elle s’est retrouvée en septembre devant une classe pour faire cours. Et elle n’y est pas arrivé. On ne le lui avait tout simplement pas appris. Depuis elle est sous anxiolytiques. Des histoires comme celle de Laurence, des histoires de jeunes profs en dépression après quelques semaines d’enseignement, il y en avait déjà plein, bien avant la réforme de la masterisation. Et puis, il n’y a pas que des Laurence dans la vie. Il y a aussi des Claire, Claire qui n’est pas tombée dans un lycée difficile, qui n’est pas en face d’enfants difficiles, qui, pour différentes raisons, a peut être plus de facilités que Laurence avec la gestion d’un groupe, avec la discipline, avec le rapport aux autres. Bien sûr qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Mais l’on sait également que chacun fera des choses différentes de l’enseignement reçu, en fonction de ses capacités personnelles, de son milieu social et culturel, des classes et des élèves en face desquels il finira par se retrouver. Oui mais voilà.

Laurence a reçu une lettre. Une lettre de l’inspecteur d’académie. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit:

Laurence, si vous ne vous sentez pas capable de faire ce métier, il faut démissionner.

C’est vrai quoi, les places sont chères, et il y a sûrement plein de Claire qui attendent un poste. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit aussi :

Laurence, les elèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents.

C’est vrai quoi, surtout quand il s’agit d’élèves difficiles.

Oui mais voilà. Laurence, elle avait envie et tout aussi certainement besoin de faire ce métier. Apprendre le programme d’histoire ou de mathématiques ou de français, ça Laurence y est très bien arrivée. C’est une partie du métier qu’elle avait choisi. Mais apprendre comment on fait passer un programme d’histoire, de mathématiques ou de français à une classe de 32 élèves de 13 ou 14 ans, ça, on ne le lui apprend plus à Laurence. On la met devant les élèves, on lui colle un “tuteur” enseignant  – qui n’est souvent même pas dans le même lycée ou collège qu’elle – et on lui dit débrouille-toi Laurence.

Messieurs.

–Monsieur l’inspecteur d’académie dont je ne connais pas le nom,
–Monsieur Luc Châtel, ministre du management national et de l’éradication nationale des psychologues scolaires**,
–Monsieur Xavier Darcos, ancien ministre de l’éradication nationale de la formation des enseignants,

Vous avez tous les trois des métiers qui doivent certains jours vous paraître aussi difficiles que celui de Laurence. J’ignore si vous êtes ou si vous avez été sous anxiolytique. Que vous portiez tous les trois l’écrasante responsabilité de l’effondrement programmé d’un système, celui de l’instruction publique, passe encore. Que vous ou votre mentor, vous réclamiez régulièrement de l’héritage de Jaurès ou de Jules Ferry, passe encore. Vous pouvez “jouir pleinement de la supériorité reconnue que les chiens vivants ont sur les lions morts” (Jean-Paul Sartre). Après tout, vous êtes nommés ministres ou inspecteur, vous êtes convaincus que le secteur privé peut assurer des missions qui incombaient jusqu’ici aux services publics, dans l’éducation comme ailleurs, et vous mettez en oeuvre le programme permettant de faire aboutir vos idées. Donc acte. “C’est le jeu”. Mais la lettre que vous venez tous les trois d’envoyer à Laurence signe la fin de la partie.

Avec cette lettre cesse le jeu et commence l’indéfendable. Supprimer la formation des maîtres, placer ces nouveaux maîtres “dans des classes”, attendre que certains d’entre eux s’effondrent, et leur signifier par courier hiérarchique que “les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents” et que le cas échéant ils feraient mieux “de démissionner”, est une stratégie managériale ayant effectivement déjà fait ses preuves, et dont l’avantage est de révéler à ceux qui l’ignoreraient encore l’étymologie du mot “cynisme”. Comme des chiens. Vous avez, “messieurs qu’on nomme grands”, merveilleusement contribué à l’enrichissement de l’horizon sémantique du cynisme : ce qui était au départ le seul mépris des convenances sociales, désignera désormais également le total et absolu mépris de l’humain.

Un nouveau cynisme dont l’alpha et l’oméga est constitué de la seule doctrine managériale. Une machinerie implacable, chez France Télécom comme dans l’éducation nationale désormais, qui fabrique des Laurence dans le seul but de les broyer, pour s’économiser l’annonce d’un énième plan social, pour accélérer encore un peu le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Vous avez, messieurs, parfaitement raison sur un point : les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents. Mais vous avez patiemment, minutieusement, laborieusement transformé l’école de la république en un immense tube digestif. Une machine à bouffer de l’humain.

D’un tube digestif il ne peut sortir que de la merde. C’est pas du management, c’est de la biologie.

J’ai souvenir d’une école de la république d’où sortaient des citoyens.

Article initialement publié sur Affordance.info

Illustration CC FlickR par …::: Antman :::…

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