OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Storytelling digital: formes, métiers, business models http://owni.fr/2010/04/27/storytelling-digital-formes-metiers-business-models/ http://owni.fr/2010/04/27/storytelling-digital-formes-metiers-business-models/#comments Tue, 27 Apr 2010 14:54:28 +0000 Nicolas Marronnier http://owni.fr/?p=13751 Nouveaux usages, nouveaux formats

La prolifération des PC et smartphones a entraîné une individualisation de la consommation du contenu audiovisuel. Le flux incessant d’information dans lequel nous plongent les médias digitaux explique en outre du côté des usages la généralisation du multi-tasking et donc une tendance à labaisse de l’attention en ligne. L’audience butine, ça et là, un article, un billet ou une vidéo, sans s’attarder durablement sur un contenu précis.

La production journalistique se doit donc de diversifier son offre en ligne, d’inventer de nouveaux formats multimédias afin de capter l’attention d’utilisateurs ultra-sollicités. Cette nouvelle écriture journalistique privilégie donc l’émotion et la proximité avec le narrateur comme avec les personnages dont il s’agit de faire le portrait ou de raconter l’histoire. Cette intimité se matérialise au sein des web-documentaires par un cadrage spécifique, des plans serrés ou la pratique du regard-caméra lors d’interviews. Cécile Cros a en outre insisté sur l’importance d’une identité sonore forte, sur la mise en valeur des sons pour maintenir l’internaute en alerte.

Surtout, l’écriture journalistique se doit d’intégrer ces nouveaux usages en proposant des formats aux multiples portes d’entrées, productions au sein desquelles l’internaute doit pouvoir se replonger quand bon lui semble sans perdre le fil de l’information qui lui est délivrée, sans que le sens porté par le récit en pâtisse. D’où l’importance de l’interface et de sa mission d’accueil.

De la gestion de l’interactivité

Le producteur d’information doit réfléchir en termes d’ « expérience utilisateur » et penser la structure non séquentielle du récit en amont afin de proposer à chacun un parcours de lecture individualisé. Cette nouvelle architecture du récit et la multitude de matériaux mobilisés (texte, son, image, vidéo, base de donnée, liens externes…) impliquent une phase de montage spécifique, une expertise technique et de nouveaux outils de production. Timidement, donc, des sociétés de production audiovisuelle et des agences de développement et de webdesign se rapprochent afin de répondre à ces nouveaux besoins. C’est le cas de narrative, fondée en 2008 par Cécile Cros et Laurence Bagot, qui s’est spécialisé dans l’élaboration de programmes destinés aux nouveaux médias, ou encore de la société de production audiovisuelle Honky-Tonk qui développe depuis peu une solution dont le but est à accompagner les journalistes et créateurs de contenu digital. Le logiciel Klynt a donc vu le jour, outil de production multimédia spécifiquement dédié aux web-documentaires, qui a intégré les nouvelles possibilités offertes par les technologies numériques et les nouveaux usages en matière d’interactivité.

Pour finir, l’interface doit faciliter le partage du contenu de pair à pair dont la pratique s’est généralisée sur les réseaux et donc intégrer des fonctionnalités sociales de recommandation (par exemple Facebook Connect) afin de permettre la diffusion de tout ou partie du programme au plus grand nombre.

La contribution en question

Cécile Cros n’envisage pas d’intervention de l’utilisateur au-delà des choix avec l’interface. Elle a même insisté lors de son intervention sur « le choix de ne rien faire » qui doit être laissé à l’audience face au programme. Selon elle, le récit journalistique n’a pas grand-chose à gagner à s’ouvrir aux contributions extérieures, au contenu généré par l’utilisateur. Elle est rejointe en ce point par Emmanuel Leclerc, grand reporter chez France Inter, qui en tant que journaliste issu d’un média «traditionnel », n’a pas trouvé nécessaire d’ajouter une dimension participative à son web-documentaire et a donc fermé son contenu aux commentaires.

En matière de fiction, au contraire, l’interactivité ne se résume pas aux simples choix de l’audience quant au parcours de lecture du récit (bien que HBO ait remarquablement bien exploité ces possibilités, par le biais d’une interface bien pensée, HBO Imagine, proposant une structure narrative non séquentielle, fait notable de la part d’une chaîne de télévision aux formats traditionnellement linéaires).  L’émergence des ARG (Alternate Reality Game) témoigne d’une tendance naissante à l’implication de l’audience en des expériences participatives qui encouragent la contribution amateure. Autour d’un contenu de base, d’une histoire préexistante,  des briques participatives sont ainsi amenées à enrichir l’univers narratif, et de nouveaux éléments (commentaires, témoignages, photos…) viennent se greffer à la création originale de l’auteur. Tout le travail des nouveauxstorytellers est de cadrer et d’orienter ce contenu… mais pas seulement.

Les nouveaux métiers de la fiction transmedia

Si la production journalistique s’adapte aux nouvelles pratiques et aux possibilités offertes par les technologies, la fiction, elle, a su s’approprier mieux encore les médias digitaux et leurs usages pour offrir à l’audience des expériences ludiques et interactives qui viennent enrichir son quotidien, jusqu’à brouiller parfois les frontières entre réalité et fiction. Ceci par le biais d’un déploiement transmedia du récit, qui prend de multiples formes via les différents canaux utilisés (film, série télé, vidéo en ligne, blog, présence des personnages sur les réseaux sociaux…).

Bien entendu, l’idéal est de penser dès la création de l’histoire sa déclinaison sur les différents médias et l’expérience sociale qu’elle peut recouvrir. Pour Julien Aubert, les créateurs de ce type sont encore trop rares, et l’américain Lance Weiler apparait aujourd’hui comme le seul « story-architect » à se lancer dans des créations nativement transmedia. En effet, bien souvent, l’univers narratif se décline à partir d’une histoire de départ issue d’un média traditionnel (cinéma, télévision, jeu-vidéo) et cet enrichissement du récit procède d’une logique promotionnelle. Il est néanmoins indispensable d’assurer la cohérence de ces briques disséminées sur les différents écrans. De nouveaux métiers voient donc le jour, qui sont nés de l’émergence des ces expériences collectives d’interaction avec le récit.

Tout d’abord, l’« experience designer » se doit d’optimiser l’exploitation des différents canaux de communication afin d’entrer en contact avec le public et de créer des passerelles entre les différents supports, il a donc une connaissance fine des usages et des possibilités offertes par les nouvelles technologies. C’est un stratège des moyens, il oriente la diffusion des éléments narratifs voués à enrichir l’histoire de départ et imagine les possibilités d’interactions avec l’audience. Le « lead author », lui, définit le scénario de l’expérience transmedia et s’assure en temps réel du bon déroulement de celle-ci, en cohérence avec la trame de départ. Les community managers donnent vie à l’histoire ainsi étendue. Ils sont en charge d’animer les blogs et forums mis en place, de répondre et d’échanger avec les participants qui entrent en interaction avec l’histoire et ses personnages. Ils se plongent donc véritablement dans la peau de ceux-ci et sont amenés à les incarner, à jouer leurs rôles en ligne. Enfin, comme pour la production journalistique de nouveaux formats multimédias, cette écriture complexe nécessite une expertise technique et descompétences en matière de développement et de webdesign.

Des initiatives françaises voient le jour…

Le projet Faits Divers Paranormaux porté par Orange exploite avec brio les ressorts de la fiction transmedia : s’appuyant sur une série télévisée diffusée tous les soirs à 20h30 sur Orange Ciné Choc, l’univers narratif se déploie en ligne (quelques semaines avant diffusion avec une présence sur un blog et les réseaux sociaux) mais s’enrichit surtout des contributions des internautes avec la mise en place d’un véritable ARG : « les internautes vont avoir l’occasion de se changer en véritables enquêteurs du paranormal[…] Ils devront résoudre des énigmes au rythme d’une question par jour en menant leurs investigations sur internet, mais aussi par téléphone ou dans la vie réelle »nous explique Guillaume Ladvie, community manager sur le projet. Une véritable expérience interactive, donc.

Une autre initiative récente en la matière émane du groupe TF1. Si Clem n’est pas à proprement parler une fiction transmedia, la stratégie adoptée par la première chaîne n’en demeure pas moins remarquable. Avant la diffusion du téléfilm, un blog a été mis en place invitant les internautes à interagir avec le personnage principal et à découvrir une web-série vidéo en guise d’introduction au programme télévisuel. Ce blog a en outre accueilli du contenu « bonus » prolongeant l’histoire, après diffusion. Ce projet est révélateur d’une volonté de TF1 de coller aux usages naissants et de rétablir une certaine complémentarité entre les différents médias, au-delà de l’image trop souvent véhiculée d’Internet comme média « cannibale ». Nicolas Bry dresse le bilan : les 9,7 millions de téléspectateurs (contre 7,4 en moyenne à cette heure), les 260 000 visites et 6000 commentaires sur le blog et les 1,5 millions de vues pour le téléfilm à la demande sur tf1.fr témoignent effectivement d’allers-retours de l’audience entre les deux médias et donc de la réussite de cette stratégie multi-supports.

Un modèle économique contraignant

Si de nouveaux formats et métiers voient donc le jour, issus des possibilités offertes en matière de fiction sur les médias digitaux, la question du financement de ces productions émergentes reste entière. En France, les initiatives récentes, on l’a vu, témoignent d’une tendance à l’adossement à de grands groupes média prêts à investir dans des opérations qui représentent pour eux un formidable levier marketing afin de capter de nouvelles audiences. On comprend ainsi l’intérêt de TF1 ou d’Orange à développer ce genre de projets : se rapprocher du parcours média quotidien d’un public dont les usages ont changé et permettre une circulation maximale de leurs contenus sur une multitude de supports.

Mais là réside aussi le danger du point de vue créatif : que ces productions transmedia ne voient le jour qu’en tant que ressort marketing mis en place par les acteurs installés de l’industrie (grandes chaînes TV, studios de cinéma…) et qu’il en résulte une perte de valeur en terme de création, d’innovation narrative. On imagine mal en effet pour l’instant, sur le modèle de ce qui se fait en matière de production de jeux-vidéos, la généralisation du système de « pool d’auteurs » préconisé par Julien Aubert, modèle qui serait plus adapté aux équipes pluridisciplinaires mobilisées par ces nouveaux processus créatif complexes, mais en même temps remettrait en cause des positions bien établies du côté des producteurs traditionnels…

Force est donc de constater qu’avant de voir émerger des productions nativement transmedia et que ce storytelling nouveau soit reconnu, il faudra que les mentalités changent du côté de l’industrie du divertissement et des médias traditionnels.

Et du côté des marques ?

Au côté des journalistes et des créateurs de fiction, principaux producteurs de contenu en ligne, les marques sont elles aussi à la recherche de nouvelles formes de récit afin de capter l’audience des médias digitaux.

Certaines marques, déterminées à exploiter leur « potentiel relationnel », investissent donc dans des opérations en ligne d’un genre nouveau. Denis Fabre, de l’agence Shibo Interactive, nous a livré son intéressant retour d’expérience. La campagne Où est Marianne qu’il a menée pour Ni Putes Ni Soumises avait pour objectif non seulement de créer le ramdam autour de l’action de l’association mais avant tout de donner les moyens aux sympathisants d’interagir, de s’approprier le message, d’associer leurs petites histoires au récit de marque, et ce par le biais d’un déploiement sur les réseaux sociaux autant que dans le monde réel. Dans le cas d’une association dont l’objectif est de rassembler et de mobiliser un public autour d’une cause, la stratégie parait cohérente. Ce storytelling digital de marque naissant émane d’agences de communication et reste néanmoins assez limité en termes de valeur éditoriale, l’objectif premier demeurant de servir les intérêts de la marque.

Le branded-content, avenir de la production transmedia?

Le salut pour les créateurs d’expériences interactives transmedia pourrait venir d’un strict financement par les marques, sous la forme de branded-content, c’est-à-dire de l’association d’une production existante et d’une marque sponsorisant le contenu. Les annonceurs ont tout intérêt à investir dans ce type de projets afin d’ «associer des services à leur message (contenus éducatifs, mise en relation des utilisateurs, centre d’aide, sensibilisation à l’univers de la marque)», nous explique ainsi Julien Aubert. Quelle différence avec une opération de communication classique ? La marque n’est pas à l’origine du processus créatif mais associe son image à l’expérience transmedia proposée à l’audience.

Reste à monter des projets cohérents qui garantissant à la fois l’indépendance éditoriale aux créateurs et du contenu en phase avec l’ADN des marques associées. Vaste programme…

L’échec du projet Purefold outre-Atlantique nous a en effet récemment démontré à quel point cet exercice est périlleux. Purefold était annoncé comme une production hybride d’épisodes vidéo destinés au web et à la télévision, autour de l’univers du film Blade Runner. Mêlant donc déploiement transmedia, contenu généré par l’utilisateur (la réalisation des séquences émanant des suggestions proposées par les créateurs en herbe et internautes contributeurs en ligne), financement par les marques (par le biais d’un habile prototype placement) tout cela cautionné par une figure du cinéma mondialement reconnue en la personne de Ridley Scott ! Et sous licence Creative Commons !

Cet ambitieux projet associant transmedia storytelling, branded-content et remix-culture a été abandonné récemment, faute de financements. Etait-il trop tôt pour ce genre d’initiative ?

Continuons en tout cas à suivre de près ces formes naissantes, à observer avec patiente leur intégration au paysage audiovisuel et à évaluer les opportunités professionnelles et modèles économiques qui leur sont liées… Une certitude demeure : le métier de conteur d’histoire à encore de beaux jours devant lui.

Billet publié initialement sur socialmediaclub.fr

Photo Tell Your Story CC by-sa wadem

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Titre original :

Au Social Media Club, les nouveaux métiers du journalisme

Un débat public organisé par le Social Media Club sur les nouveaux métiers du journalisme en ligne s’est déroulée le 17 février 2010, à La Cantine, à Paris. Animé par Julien Jacob, il a suivi le format classique du Social Media Club France, à savoir une prise de parole d’environ 15 minutes pour chaque intervenant suivie d’une série de questions/réponses. Résumé de chaque intervention rédigé par le Social Media Club.

Le journalisme crowdsourceur

Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste pour le webzine Ouvertures, a évoqué pour nous l’expérience qu’il a menée avec le site Agoravox.

L’objectif général de sa démarche était de tenir compte de la participation du public dans l’élaboration de l’information. Cet objectif s’est traduit par la tenue d’une série d’ « enquêtes participatives », menées à l’aide de la communauté d’internautes voulant bien témoigner et contribuer à une réflexion autour d’une thématique bien précise.

Jean-Luc a évoqué la première de ces enquêtes (été 2007), qui fût sans conteste la plus enrichissante, concernant un sujet d’actualité déjà assez largement traité et qui faisait à l’époque déjà polémique sur le site : l’obligation vaccinale. Rebondissant sur un fait d’actualité (en mars 2007 une loi est passée qui durcissait les sanctions contre les réfractaires vaccinaux), il a tout d’abord écrit un premier article commentant ce projet de loi en invitant les internautes à réagir : ce durcissement était-il selon eux justifiée ?

Les commentaires n’ont pas tardé à affluer (600 contributions à date) et l’enquête fait aujourd’hui pas moins de 70 pages, épais dossier librement accessible sur le site d’Agoravox qui a donné lieu à presque 70 000 téléchargements !

La vraie richesse de cette démarche, selon Jean-Luc Martin-Lagardette, a été la réelle diversité des sources et des angles. Sur internet, les contributeurs étant tous sur un pied d’égalité, la distanciation se trouve en effet maximisée entre le journaliste et ses sources, le professionnel s’en tenant à l’information brute, au contenu, sans a priori sur celui-ci.

On peut donc entrevoir avec ce type de démarche une certaine « neutralisation » de l’avis du journaliste qui, face au grand nombre de contributions et d’avis contradictoires, a plutôt un travail de synthèse à effectuer.

Bien sûr, au fur et à mesure de la remontée des informations, Jean-Luc a mené un vrai travail d’investigation en procédant à des vérifications, à des interviews de personnes compétentes (scientifiques, responsables administratifs, associatifs), comme cela se fait dans toute enquête journalistique.

Mais le journaliste a tenu à souligner à quel point sa démarche se différenciait d’une investigation classique, la singularité de cette enquête résidant dans sa longue durée (3 mois) et dans l’utilisation de la puissance de l’outil internet en matière de mobilisation des sources.

Jean-Luc nous a en outre fait part de son regret à propos du faible relais opéré par les médias traditionnels concernant les résultats de son enquête, écho qui aurait pu permettre de lancer un réel débat sur la scène publique, d’avoir un véritable impact politique.

Enfin, il a souligné le fait qu’il lui a manqué un réel outil de gestion des contributions (documents, mails, commentaires…) pour faire face à leur nombre important et à leur diversité.

Le journalisme de données

Augustin Scalbert a pris la parole à ce sujet. Journaliste pour Rue89, il a pris ici la parole en tant qu’acteur de la campagne Libertés d’informer lancée entre autre avec ses confrères Luc Hermann et Paul Moreira. Cette campagne vise à promouvoir le vote d’une loi en faveur d’un accès plus libre à l’information en France. Concrètement, le collectif milite pour offrir aux citoyens un mécanisme de contre-pouvoir par le biais d’un accès libre aux données administratives, dans une logique de transparence.

Augustin a souligné le fait que la France est un des pays occidentaux les moins transparents en matière de mise à disposition de documents administratifs. Aux Etats-Unis, le Freedom of Information Act datant de 1966 garantit cette transparence. Le site Wiki Leaks s’est fait le spécialiste de la publication de données confidentielles outre atlantique, concernant la santé publique, le droit, ou les dépenses gouvernementales… C’est à lui que l’on doit par exemple la récente révélation du traité international ACTA qui fait craindre un filtrage généralisé du net sans passer par une autorité judiciaire.

En France, une loi de 1978 a bien donné naissance à la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) mais celle-ci ne disposant pas d’un pouvoir d’injonction voit la moitié de ses demandes d’accès à des données sensibles tout bonnement refusée. Augustin donne comme exemples l’affaire Borel (décès suspect d’un magistrat à Djibouti), la violente répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 ou encore les retombées de la catastrophe de Tchernobyl en France comme autant de dossiers aux nombreuses zones d’ombre qu’un libre accès aux documents officiels aurait pu permettre d’éclaircir.

La CADA reste donc utile, pouvant constituer une menace en cas d’une réelle pression citoyenne sur l’administration, mais demeure un outil trop restrictif et finalement peu utilisé.

La pétition lancée par Libertés d’informer regroupe à ce jour 6000 signatures et ne dispose malheureusement que de trop faibles relais politiques. La classe dirigeante ne semble pas réaliser que rétablir un lien de confiance avec ses citoyens passe par le soutien de ce genre d’initiative.

Finalement, ce dont le mouvement Liberté d’informer est le symptôme, c’est que les journalistes et de façon plus générale les citoyens ont soif d’information brute, de données librement accessibles et exploitables, pertinentes et incontestables…

En effet, pour paraphraser Nicolas Vanbremeersch, « dans un monde d’hyper commentaires, on ne peut qu’espérer que les médiateurs de l’information s’emparent des données » pour nous fournir de l’information effective pertinente et ainsi à nouveau exercer leur rôle de contre-pouvoir.

Le journalisme coproducteur

Pierre Haski, cofondateur du site Rue89, est venu nous parler de son expérience d’un nouveau journalisme en ligne.

Il a  abordé le modèle du site en matière de production de l’information. Au départ, Rue89 reposait sur l’idée de « l’info à 3 voix », soit l’association de contributions émanant de journalistes, d’experts et d’internautes produisant de l’information séparément mais en un espace commun.

Cette méthodologie n’a pas été suivie dans les faits, le système ayant vite démontré ses limites du fait du manque de crédibilité des contributeurs amateurs et donc de la nécessité d’une validation journalistique des contenus produits.

Le modèle actuel équivaut donc plutôt à une « mise en musique » des différentes contributions, à un travail commun de production d’information.

Cette coproduction de l’information se matérialise de différentes manières. Par exemple, le site a mis en place un comité de rédaction participatif qui voit les 15 journalistes professionnels connectés en live à une centaine de chatteurs proposant des pistes de réflexion et apportant leur feedback aux idées émises par les journalistes.

Pour couvrir l’évènement au plus près et réagir rapidement aux faits d’actualité, Rue89 bénéficie des nombreux témoignages et remontées d’informations émanant d’internautes (live blogging, système d » « alertes ») et peut ainsi exploiter cette information brute afin de fournir du contenu de qualité sur son site.

Ce travail main dans la main avec la communauté des internautes permet à Rue89 de couvrir un évènement avec une rapidité jusqu’ici jamais atteinte : le site a par exemple été le premier à prendre la mesure de la grève en Guadeloupe. La presse n’en parlait pas, mais Rue89 recevait des messages indiquant des problèmes : ils ont alors mobilisé par email les habitants de l’île figurant dans leur base de données en demandant des témoignages, précieuses sources d’informations à partir desquelles les journalistes du site ont pu rédiger un article fourni sur les évènements.

Pour reprendre l’idée de Jeff Jarvis, à l’heure d’internet, l’information et donc les articles ne sont plus des produits finis mais ce sont des process en perpétuelle évolution. Sur le site, l’auteur d’un article se charge de la modération des commentaires, répond aux remarques émises et met en avant les contributions intéressantes dans une démarche de perpétuel enrichissement de la réflexion. Il arrive de ce fait que sur la base des commentaires, un second article soit rédigé pour affiner l’analyse première.

Là où les sites des journaux traditionnels se contentent d’externaliser le traitement des commentaires à des sociétés tierces, Rue89 effectue donc pour sa part un aller-retour permanent entre fondamentaux du journalisme et gestion du participatif, instaurant ainsi un vrai rapport avec le lecteur.

Le journalisme témoignage d’actualité

Philippe Checinski nous a présenté le site dont il est l’un des fondateurs : CitizenSide.

Il nous a tout d’abord rappelé que 20 000 photos sont envoyées chaque jour sur Facebook et 24h de vidéos chaque minute sur Youtube. L’idée du site est donc partie de ce constat que les internautes sont de plus en plus enclins à poster du contenu en ligne.

Le site se veut donc être une plateforme assurant l’intermédiation entre amateurs et professionnels de l’information. Le service repose sur la mise à disposition de contenu UGC aux médias qui peuvent venir piocher parmi les photos et vidéos d’actualité postées par les internautes. CitizenSide se charge de fixer le prix et de négocier la vente aux médias intéressés.

600 à 1200 photos/vidéos sont reçues chaque jour par le site. Avant toute mise en ligne, l’équipe du site effectue donc un travail de vérification du contenu. C’est là son cœur de métier, nous affirme Philippe. Cette validation repose sur une identification claire de la source (sa fiabilité, ses antécédents) et sur une expertise technique du site.

L’équipe dispose en effet de puissants outils permettant d’extraire des métadonnées de toute photo ou vidéo postée. Ces données renseignent CitizenSide sur la qualité du contenu (photo retouchée ou issue de Facebook, lieu de capture par géolocalisation…) et permettent de valider ou non une contribution.

Le site s’appuie donc sur la volonté des gens de participer à l’actualité et oeuvre ainsi à la crédibilisation du document amateur, trop souvent considéré comme peu fiable.

Le business model de CitizenSide reposait tout d’abord sur le prélèvement d’une commission sur les transactions effectuées sur le site, mais Philippe a aussi évoqué le développement d’une marque blanche vendue aux médias, avec mise à disposition de la technologie et du back-office du site. Le gratuit 20 minutes, BFM TV ou Voici comptent déjà parmi les clients.

Le cofondateur du site nous a également annoncé le lancement imminent de la plateforme EditorSide qui regroupera en un espace unique l’ensemble des contenus disponibles sur CitizenSide mais aussi sur les sites partenaires disposant de la technologie du site.

Enfin, Philippe Checinski a abordé les perspectives offertes par le développement d’applications mobiles et l’usage des techniques de géolocalisation qui en découle. On pourrait imaginer à l’avenir un système d’injonction à la contribution de « city-reporters » (aller prendre une photo ou capturer une séquence vidéo), sorte d’appel à témoins en temps réel, en fonction du lieu où se trouve chacun et des évènements qui s’y déroulent.

Le journalisme en réseau

Alexandre Piquard, journaliste sur LePost, est venu clore cette session par son témoignage.

Il nous a présenté le modèle du site, à la fois hébergeur et éditeur de contenu.

LePost rassemble en effet à la fois des contributions d’internautes (40 000 membres), des posts de blogueurs invités (30 experts) et des articles émanant de la rédaction (6 journalistes spécialisés). Chaque jour, une centaine d’articles passe en Une du site, issus de ces trois sources, et 6000 commentaires sont postés. D’où la notion de « journalisme en réseau », concept basé sur l’idée d’écosystème médiatique où différents acteurs enrichissent une même plateforme par des informations complémentaires.

La gestion de ce flux incessant d’informations est opérée par l’équipe de rédaction. Différents labels existent pour qualifier l’information et ainsi mettre en avant telle ou telle contribution. Le label « info brute » correspond aux apports des internautes non encore validés par les professionnels. Ce type d’information ne peut se retrouver en Une, au contraire des articles « info vérifiée » qui jouissent d’une visibilité accrue, au même titre que les articles des journalistes et blogueurs (« info rédaction » et « info invités »).

Faire du journalisme en réseau c’est aussi ne pas hésiter à se projeter hors de sa plateforme, insiste Alexandre. LePost se veut ainsi ouvert au microblogging produit sur les réseaux sociaux et relaie ponctuellement des « live twits » sur sa Une, en témoigne la récente couverture des débats sur la Loppsi à l’Assemblée. En outre, le site n’hésite pas à relayer du contenu issu d’autres médias et à renvoyer vers leurs sites en mettant en pratique le « journalisme de liens » cher à l’Américain Scott Karp.

Retrouvez l’actualité du Social Media Club France sur son blog : http://www.socialmediaclub.fr
Et rejoignez la communauté sur Viadeo pour échanger avec les membres autour de nos problématiques.

> Article initialement publié sur Rue89

> Illustration par Doing Media Studies sur Flickr

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