OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Copier, couper, coudre: un procédé bientôt démodé aux États-Unis? http://owni.fr/2010/09/30/copier-couper-coudre-un-procede-bientot-demode-aux-etats-unis/ http://owni.fr/2010/09/30/copier-couper-coudre-un-procede-bientot-demode-aux-etats-unis/#comments Thu, 30 Sep 2010 06:30:47 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=29804

Un sénateur américain, Charles Schumer, a introduit en août dernier une proposition de loi devant le Sénat américain, l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act (IDPPPA), qui donnerait aux produits de la mode la protection du copyright, le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. À ce jour, ni les vêtements, ni les accessoires de mode ne sont protégés par le copyright, même s’ils bénéficient de quelques protections légales.

Les produits de la mode ne sont guère protégés par le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. Les créateurs de mode utilisent parfois le droit des marques des États-Unis, trademark law, pour protéger leurs créations. Ce droit reconnait un droit de protection de la trade dress, c’est-à-dire le packaging ou le design du produit. Les juges requièrent néanmoins que soit prouvée l’existence d’un secondary meaning : il faut que, dans l’esprit du public, le design du produit identifie la source du produit, c’est-à-dire la marque de la robe ou bien du sac. Marc Jacob a ainsi poursuivi en justice Christian Audigier au début de cette année, en invoquant la contrefaçon de la trade dress d’un de ses sacs par un sac de son concurrent.

Le droit des brevets, patent law, peut protéger en théorie les produits de la mode, mais la barre est haute à franchir, car seules les inventions peuvent être protégées par ce droit. On n’invente pas le fait de placer un col rond à paillettes sur un pull bleu, mais on peut inventer un procédé de coupe révolutionnaire, ou le tissu permettant de passer à travers les murailles. À noter, les motifs des tissus sont protégés par le copyright.

Quelles sont les créations protégées par le copyright ?

Le droit fédéral du copyright, codifié par le Titre 17 du Code des États-Unis, l’U.S. Copyright Act, protège les œuvres originales fixées dans une forme d’expression tangible (tangible form of expression). Une œuvre est considérée originale si elle est le fruit d’un minimum de créativité (modicum of creativity). En revanche, les œuvres utiles ne sont pas protégées puisque, au contraire du droit français, les États-Unis ne reconnaissent pas la théorie de l’unité de l’art, selon laquelle les œuvres sont protégées quel que soit leur mérite artistique, et ce même si elles ont un caractère utilitaire. Or les produits de la mode, vêtements et accessoires, ont une utilité certaine, que ce soit pour aider à la régulation de notre température interne ou la protection de notre pudeur.

Pas de protection par le copyright des créations utilitaires

Le Copyright Act définit un article utilitaire comme « un objet ayant une fonction intrinsèque utilitaire qui n’est pas seulement de dépeindre l’aspect de l’article ou de transmettre des informations». Plus simplement, la fonction utilitaire ne doit pas être exclusivement esthétique ou informationnelle. Certains aspects purement esthétiques de l’article peuvent néanmoins être protégés par le copyright. Une boucle de ceinture et un masque de carnaval se sont ainsi vu reconnaitre la protection du copyright. Les juges ont reconnu dans ces deux cas que le dessin, le design, de l’article était indépendant de sa fonction utilitaire, car il pouvait être identifié séparément, ou bien exister séparément de l’aspect utilitaire de l’article. Cette théorie a pour effet de permettre la protection par le copyright de la forme originale d’un nœud cousu sur la robe, mais non de la robe elle-même. Less is (not) more.

Une exception : la protection des coques de bateau par le copyright

Le copyright protège néanmoins depuis 1998 la coque des bateaux, œuvre utilitaire s’il en est ! Le Vessel Hull Design Protection Act a introduit dans le Copyright Act un chapitre 13, qui reconnait au styliste (designer) ou tout autre propriétaire d’un dessin original (original design) d’une coque de bateau, dont l’originalité rend l’article utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public, le droit de voir ce dessin original protégé durant dix années par le copyright. La protection n’est pas automatique, et le dessin original doit être enregistré auprès de l’U.S. Copyright Office dans les deux ans suivant leur première publication. Le Copyright Office considère d’ailleurs que la protection des coques des bateaux par le droit est un droit sui generis, un droit indépendant distinct du copyright.
Il suffirait de modifier quelque peu le chapitre 13 pour reconnaitre le droit à être protégé par le copyright à tous les dessins originaux pour peu qu’ils rendent un objet utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public. Cette définition englobe certainement les vêtements et accessoires de mode.

Une première atteinte en 2006 de protéger les produits de la mode par le copyright

Charles Schumer avait déjà introduit devant le Sénat en 2007 le Design Piracy Prohibition Act (DPPA), introduit dès 2006 devant la Chambre des représentants. Le DPPA proposait d’amender le chapitre 13 afin de protéger les produits de la mode durant trois années, à condition toutefois de les enregistrer auprès de l’U.S. Copyright Office dans les trois mois suivant leur première publication.
Le DPPA ne fût pas voté, en particulier parce que cette proposition de loi n’avait pas le soutien de l’ensemble des professionnels de la mode. Si le Council of Fashion Designers of America (CFDA) soutenait la proposition de loi, en revanche l’American Apparel and Footwear Association (AAFA) était contre, par crainte que cette loi incite des procès frivoles : « Tu m’as copié ! Non, c’est toi qui m’as copié ! » L’IDPPA a, en revanche, le soutien de l’AAFA et du CFDA.

Ce que propose l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act de 2010

L’IDPPPA propose également d’amender le chapitre 13 du Copyright Act, mais élimine l’obligation d’enregistrement auprès du Copyright Office. En outre, la loi ne protègerait que les modèles originaux. Pour être original, un modèle devra inclure des éléments originaux, ou bien une manière originale de placer des éléments, qu’ils soient originaux ou non, dans l’apparence générale du modèle. Le modèle devra être le résultat de l’effort créatif du designer et devra « fournir une variation non négligeable et non utilitaire par rapport aux conceptions antérieures pour le même type d’articles » (« provide a unique, distinguishable, non-trivial and non-utilitarian variation over prior designs for similar types of articles »). En d’autres termes, une simple variation sur un thème ne sera pas protégée.
Un styliste ou un couturier souhaitant poursuivre en justice un copieur pour contrefaçon devra prouver que son modèle est protégé par le copyright et que le défendeur au procès a copié son modèle. L’IDPPA définit une copie comme un modèle « substantiellement identique dans son apparence visuelle globale aux éléments d’origine d’un dessin ou modèle protégé ». Le plaignant devra en outre prouver que le dessin ou le modèle protégé, ou bien une image de celui-ci, était disponible dans un ou plusieurs endroits, de telle manière, et pour une durée telle, que l’on peut raisonnablement déduire de l’ensemble des faits et des circonstances que le contrefacteur l’a vu ou en a eu connaissance.
L’IDPPPA contient une exception pour les couturiers et couturières à domicile : il leur sera possible de reproduire à un seul exemplaire un modèle original pour leur usage personnel, ou l’usage personnel d’un membre proche de la famille. De plus, les modèles créés avant la promulgation de la loi feront partie du domaine public.

Est-ce une bonne idée de protéger les créations de la mode par le copyright ?

Les opposants au projet de loi argumentent que protéger les créations de la mode aurait des conséquences négatives pour l’industrie de la mode. Selon eux, pouvoir copier librement serait au contraire bénéfique pour cette industrie. Deux auteurs, les professeurs de droit Kal Raustiala et Christopher Sprigman, sont opposés à la proposition de loi. Ils avaient soutenu dans un article publié en 2006 qu’il existe un piracy paradox : l’industrie de la mode profite paradoxalement du copiage effréné des créations de modes grâce à l’absence de protection de ses créations par le copyright. Le cycle des produits de la mode est court, et la copie encourage le renouvellement nécessaire aux couturiers et aux créateurs, qui présentent au moins deux collections par saison. Les clients suivent : adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. Nous n’avons plus rien à nous mettre à chaque début de saison, et l’industrie de la mode en bénéficie.
À suivre cet automne, pour apprendre si la proposition de loi est votée par le Congrès américain.

Images CC Flickr hexodus…, flatworldsedge et charliestyr

À lire aussi : “Copyright : on aurait beaucoup à apprendre de la mode”

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La cagoule et les lunettes noires privées de voie publique cet hiver ? http://owni.fr/2010/09/06/la-cagoule-et-les-lunettes-noires-privee-de-voie-publique-cet-hiver/ http://owni.fr/2010/09/06/la-cagoule-et-les-lunettes-noires-privee-de-voie-publique-cet-hiver/#comments Mon, 06 Sep 2010 07:31:22 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=26761

Terroriste tyrolienne.

C’est peut-être l’été, mais moi, j’ai la flemme. Alors quand j’apprends que Facebook se
décarcasse pour que je ne perde plus de temps à taguer les photos de mes copains, moi je dis merci Facebook !

Et comment procède Facebook ? Eh bien, grâce à la reconnaissance faciale, la reconnaissance des visages quoi ! Je lis sur leur blog que je pourrais bientôt « ajouter des tags juste par quelques clics directement depuis ma page, et depuis d’autres sections du site, en utilisant la même technologie de reconnaissance des visages que les appareils photo ont utilisé depuis des années ». C’est vrai, certains modèles d’appareil photo numérique ont des systèmes de reconnaissance faciale, et focalisent automatiquement sur les visages. Pratique !

Moi, j’aime pas trop que mes copains me taguent, c’est vrai quoi, c’est toujours mon mauvais profil, ou bien je suis toute décoiffée. Alors j’ai dit à Facebook, moi, on ne me tague pas comme ça. Mes paramètres de confidentialité, comme ils disent, sont très stricts !

Vaux mieux, vu que chez Orange UK, ils ont eu l’idée de tenter de devenir champion du monde de la photo la plus taguée sur Facebook. Ils ont mis en ligne une photo de la foule assistant au match de foot Angleterre contre Slovénie du 23 juin dernier, ou plutôt, une photo composée de plusieurs photos, comme ça tous les spectateurs sont photographiés. Tu vois des potes sur la photo d’Orange ? Tu les tagues sur Facebook ! Ils appellent ça le GlastoTag.

Mais bon, on ne peut jamais se marrer sans que les avocats s’en mêlent. Ceux qui bossent pour Orange UK leur ont dit : dites bien aux personnes présentes lors du match qu’elles peuvent se couvrir la tête au moment de la photo ! Si tu n’avais pas compris les explications en anglais, et que tu apparais quand même sur la photo, tu vas sur le site de GlastoTag et tu leur demandes de t’ôter de la photo de groupe, ou de rendre ton visage flou. Mais attention ! Il faudra d’abord prouver ton identité à Glastotag et montrer ton permis de conduire ou ton passeport, comme à la police.

Identifier grâce au téléphone portable

Remarque, bientôt ça sera même plus la peine de prouver ton identité, parce qu’on pourra rechercher automatiquement ton visage sur Google. Grâce aux « lunettes » (« Goggles ») de l’app Google, ton téléphone, déjà si intelligent, pourra se transformer en moteur de recherche. Tu prends ma photo, et
Goggles me cherche (et me trouve !) sur Internet, mon blog, etc. Bon d’accord j’exagère un peu, ça marche pas encore trop bien pour les visages, mais c’est possible, et ça viendra. Les téléphones sous Android ont aussi leur app équivalente, Recognizr :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et comment je ferai moi quand on me reconnaîtra automatiquement sur Google ? Je
sais, c’est étonnant, mais j’aime bien demeurer anonyme des fois. J’aurai encore droit aux lunettes noires et au chapeau à larges bords ? Pour le moment du moins, on a échappé en France à la loi interdisant « l’ensemble des vêtements ou accessoires permettant de masquer l’identité d’une personne », ouf !

Bientôt interdit de dissimuler son visage en public ?

Mais ils n’ont pas l’air d’aimer ça en France, qu’on se couvre le visage en public. Tu n’auras peut-être bientôt plus le droit de dissimuler ton visage en public. C’est d’ailleurs déjà interdit depuis l’an dernier lors d’une « manifestation sur la voie publique », du moins « dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public », mais ce sera peut-être bientôt interdit dans tout l’espace public. Le député Jean-Paul Garraud a écrit dans son rapport devant l’Assemblée nationale sur le projet de loi présenté par le garde des Sceaux que dissimuler son visage « c’est (…) s’exclure du pacte social qui rend possible la vie en commun », rien que ça ! L’Assemblée nationale a adopté en juillet le projet de loi « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ». Selon son article premier « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage». Le Sénat examinera le texte à la rentrée.

Si la loi est promulguée, qu’est-ce qu’il se passera ? Tu pourras encore porter des lunettes noires et un foulard et faire ta Lady Gaga ? Tu seras tranquillou en terrasse à boire ta bière, un gros lourd te prendra en photo, et Google, enfin Goggles, lui dira tout sur toi. Qu’est-ce que tu feras si tu n’as même plus le droit de te couvrir le visage ? On a quand même droit à la vie privée en France non ? Oui, et on a même un droit sur notre l’image ! On n’a pas le droit de prendre ta photo sans ton consentement, si ça porte atteinte à ta vie privée, c’est même un délit ! D’accord, droit à l’image et tout, mais on ne va quand même pas poursuivre en justice tous les gros cons qui nous prennent en photo !

Un masque ok mais pendant le carnaval

Alors je fais quoi, pour mes lunettes noires, mon chapeau et mon foulard ? Pour le moment, le
Code pénal dit que « la dissimulation du visage [peut être] justifiée par un motif légitime » lors de manifestions. Ne pas vouloir être sur une photo, manifestations ou pas, c’est un motif
légitime ! Si la nouvelle loi est votée, on ne pourra dissimuler son visage que dans des cas bien précis. Selon son article premier, ça ne sera légal que si la « tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles ». C’est sympa, tu pourras quand même encore porter des cagoules en hiver, si tu as un rhume, ou un masque de carnaval, mais seulement si ta ville le fête traditionnellement ! Ben oui, sinon ça servirait à quoi toutes les caméras de surveillance ?

Moi, je vais demander à mon médecin si c’est possible de me déclarer allergique au soleil et fragile des bronches, comme ça, mes lunettes noires, mon chapeau et ma cagoule, ça sera pour raison de santé que je les porterai, pas pour attenter à l’ordre public français.

Image CC Flickr poppalina

À lire aussi : Christian Vanneste veut interdire les travestis

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Sous le vernis,|| la diffamation ? http://owni.fr/2010/05/26/sous-le-vernis-la-diffamation-unvarnished/ http://owni.fr/2010/05/26/sous-le-vernis-la-diffamation-unvarnished/#comments Wed, 26 May 2010 14:11:38 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=16621 Un site américain, Unvarnished.com, lancé en mars dernier en version bêta, permet à ses utilisateurs de créer un profil au nom d’une tierce personne, et d’offrir ensuite une appréciation, positive ou négative, des qualités professionnelles de celle-ci tout en demeurant anonyme. On peut ainsi « ôter le vernis » de l’individu de notre choix (« unvarnish »).

Ce site a été décrit comme un Yelp pour les individus. Le site américain Yelp, qui permet à tout un chacun de donner une note à des commerces, en particulier des restaurants, et de publier ses commentaires sur la qualité de leurs services, vient d’ailleurs de lancer son site français.

Cette analogie entre Unvarnished et Yelp est intéressante, car des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer, et si je n’aime pas le filet de perdreaux aux artichauts braisés de Chez Dédé, et que je m’empresse de partager mon avis sur Yelp, je peux arguer que je ne publie là que ma (très subjective) opinion. Pour (in)intéressante qu’elle soit, j’ai le droit de la publier et de m’exprimer librement, même de manière anonyme. Est-ce à dire que je peux ensuite publier sur Unvarnished mon opinion sur le serveur de Chez Dédé ? (un véritable mufle !)

Au contraire de Facebook ou de LinkedIn, les internautes ne contrôlent pas complètement leur profil sur Unvarnished. Un tiers peut créer un profil à notre nom, sans notre accord, et les commentaires, positifs ou négatifs, demeurent publiés, que nous le voulions ou non. Unvarnished s’est décrit ainsi sur le site Twitter : « LinkedIn est ce que vous dites à propos de vous-même. Unvarnished est ce que le monde entier dit à votre propos. Comme votre réputation fonctionne, hors-ligne. »

Est-ce qu’un commentaire négatif sur Unvarnished est une simple opinion, ou un propos diffamatoire ?

Merveilleuse liberté d’expression et ses limites

Il y a des limites à la liberté totale d’expression.

En France, le droit à la liberté d’expression est protégé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme, qui a valeur constitutionnelle en droit français, est similaire et prévoit également que le droit à la liberté d’expression puisse être restreint par la loi.

Le droit de la diffamation protège notre réputation

Le droit de la diffamation est d’une très grande importance sociale puisqu’il permet de protéger la réputation et l’honneur des personnes. En leur portant atteinte, on engage uniquement sa responsabilité civile aux États-Unis, mais on engage sa responsabilité pénale en France.

Selon l’article 29, alinéa 1 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, est diffamatoire « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Il existe deux moyens de défense : la bonne foi et l’exception de vérité.

La loi de 1881 a été remaniée plusieurs fois pour s’adapter aux nouveaux médias, entre autres par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique qui a introduit le droit de réponse en ligne.

Droit de réponse en ligne

Il existe un droit de réponse spécifique pour tous les services de communication en ligne. La demande de droit de réponse est adressée au directeur de la publication si l’auteur des propos diffamatoires est connu. Selon l’article 6 IV de la loi du 21 juin 2004, si la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat « cette demande est adressée à l’hébergeur (…) qui la transmet sans délai au directeur de la publication, » et ce, sous 24 heures sous peine d’amende (décret du 24 octobre 2007).

Peut-on demeurer anonyme sur Internet ?

Demeurer anonyme est la norme sur Internet, et non l’exception. En effet, selon l’article L. 34-1 du Code des postes et des communications électroniques, « Les opérateurs de communications électroniques, et notamment les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne, effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic ».

Il existe deux exceptions à ce principe d’anonymat. Tout d’abord, les données peuvent être conservées à des fins de facturation, du moins jusqu’à la fin de la période au cours de laquelle la facture peut être légalement contestée. Ensuite, les opérateurs peuvent différer à rendre les données anonymes afin de permettre la poursuite d’infractions pénales, et ce pour une durée maximale d’un an. Cette exception s’étend également aux personnes offrant une communication en ligne au titre d’une activité professionnelle, qu’elle soit principale ou accessoire.

La diffamation est une infraction pénale, et l‘on peut ainsi obtenir de l’hébergeur l’identité de l’auteur des propos jugés diffamants. Encore faut-il le faire dans le délai très court de trois mois prévu par la loi du 29 juillet 1881. Ce délai commence à courir à compter du jour où le message diffamatoire a été rendu public. Il s’agit, pour les messages publiés sur Internet, de la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau.

C’est pourquoi il est judicieux de vérifier régulièrement les propos tenus sur nous sur Internet, en entrant notre nom sur un moteur de recherche, ce qui ne manquera pas, en outre, de chatouiller agréablement notre vanité.

Droit à l’oubli

Que faire si l’on a dépassé le délai de trois mois ?

On parle beaucoup de droit à l’oubli des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, un projet de loi récemment déposé propose de mettre en place un système permettant aux particuliers de demander aux sites Internet d’effacer « promptement » leurs informations personnelles mises en ligne. Il ne s’agit pas, comme en droit de la diffamation, de demander à ce que soient effacées des informations négatives relatives à une personne, mais d’effacer des informations personnelles afin de les empêcher de perdurer sur Internet.

En France, une consultation publique sur le droit à l’oubli numérique est actuellement proposée en ligne, et une majorité des internautes se déclare favorable à la mise en place d’un droit à l’oubli numérique.

Le droit à l’oubli pourrait-il devenir un droit à la censure ?

Quelles peuvent être les raisons de se déclarer défavorable à ce droit à l’oubli ? S’il devenait obligation légale à ce que nos données personnelles soient effacées d’un site Internet à notre demande, cet article, signé de mon nom, donnée personnelle s’il en est, ne saurait rester en ligne que du fait de ma volonté, et non de celle des administrateurs du site. Il me suffirait alors de les contacter pour que cet article soit effacé.

L’auteur d’une œuvre jouit certes d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire (article 121-4 du Code de la propriété intellectuelle), mais il ne peut l’exercer qu’à charge d’indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. Plutôt que d’exercer ce droit, coûteux et qui peut être soumis au contrôle du juge, il suffirait aux auteurs d’invoquer leur droit à l’oubli.

De plus, les personnes citées dans l’article ou le commentaire pourraient exiger leur retrait, alors même qu’aucun propos diffamatoire n’ait été tenu à leur égard. Au contraire du droit de la diffamation, pouvoir prouver la véracité de l’information publiée, ou la bonne foi de son auteur, ne permettrait pas d’en empêcher le retrait.

Difficile choix

Qui l’emportera, notre attachement à la liberté d’expression, ou bien notre désir légitime de conserver sans tache notre e-réputation ? Quels commentaires à notre propos choisirons-nous de supprimer ? Notre choix dépendra sans doute du degré de virulence des attaques : être critiqué parce que nous faisons le pire café de tout le bureau est moins outrageant que de voir mis en question son honnêteté.

Images CC Flickr Hekate-moon et Anonymous9000

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Mes amis sur Facebook n’ont pas (encore) toutes leurs dents http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/ http://owni.fr/2010/04/29/mes-amis-sur-facebook-n%e2%80%99ont-pas-encore-toutes-leurs-dents/#comments Thu, 29 Apr 2010 18:25:07 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=13998 De plus en plus de parents créent une page Facebook ou Twitter au nom de leur enfant, parfois dès la naissance, et même quelquefois bien avant. Certains parents justifient cette pratique par la nécessité de fournir régulièrement aux grands parents de nouvelles photos du bambin sans devoir pour ce, horreur, accepter parents ou beaux-parents comme amis sur les réseaux sociaux.

Autre phénomène, certains parents utilisent la photo de l’un de leurs enfants pour avatar. Les parents, titulaires de l’autorité parentale, ont-ils un droit absolu de publier l’image de leur enfant mineur?

Le Children Online Privacy Protection Act

S’il n’est pas interdit selon les Conditions Générales d’Utilisation de Facebook d’utiliser comme avatar une image autre que notre propre photographie, il est en revanche interdit d’utiliser Facebook si l’on a moins de 13 ans, et le site ferme systématiquement les pages des bébés créées par leurs parents.

Le choix de l’âge de 13 ans comme âge limite n’est pas anodin pour cette compagnie soumise au droit des États-Unis. En effet une loi fédérale, le Children Online Privacy Protection Act (COPPA) exige que les créateurs de sites Internet collectant les informations personnelles d’enfants âgés de moins de 13 ans aient une politique de confidentialité adaptée, et obtiennent un consentement parental préalable et vérifiable.

En outre, le parent doit pouvoir refuser que ces informations soient divulguées à des tiers, et une option opt-out doit lui être proposée. Le parent peut même effacer les données personnelles de l’enfant ainsi collectées. Un site Internet qui ne respecterait pas les dispositions de cette loi encourt des peines d’amende jusqu’à 400 000 dollars.

L’autorité parentale

Le consentement des parents permet la collecte des données personnelles des enfants de moins de treize ans aux États-Unis. En France, l’article 371-1 du Code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant », et elle doit être exercée dans le respect dû à la personne de l’enfant. Décider de publier la photographie de son enfant sur Internet, et d’ouvrir ainsi le traditionnel album de famille aux internautes, respecte-t-il la personne de l’enfant ?

Le droit à l’image

Chacun a droit au respect à sa vie privée selon l’article 9 du Code civil, et chacun a un droit sur sa propre image. Il s’agit d’un droit de la personnalité, c’est-à-dire d’un droit extra-patrimonial qui s’apparente à un droit de l’homme. Les parents sont les gardiens de ce droit de l’enfant, et ils doivent donner leur autorisation expresse pour que l’image de leur enfant soit utilisée par des tiers.

Ils peuvent ainsi s’opposer à la publication sur un site de réseau social d’une photographie de leur enfant mineur, même par une grand-mère, un oncle, ou un ami proche de la famille. De plus, selon la Cour de Cassation, le parent dont l’autorité parentale a été méconnue par la publication de l’image de son enfant mineur éprouve, du fait de l’atteinte à ses prérogatives, un préjudice personnel dont il peut obtenir indemnisation.

L’enfant mineur a-t-il le droit de prendre des décisions concernant son droit à l’image?

L’enfant mineur a-t-il des droits sur son image avant sa majorité ?Seul un parent peut autoriser la publication de son image. En 1972, la Cour de Cassation n’avait pas été convaincu par le moyen invoqué par une maison d’édition, qui avait publié des photographies d’un mineur illustrant sa liaison avec un de ses professeurs, selon lequel « les pouvoirs de l’administrateur légal ne sauraient aller jusqu’à déposséder le mineur de sa propre histoire, sous peine de le priver de toute individualité et de lui ôter la qualité même de personne humaine ».

Selon la Cour de Cassation « la divulgation de faits relatifs à la vie privée d’un mineur [est] soumise à l’autorisation de la personne ayant autorité sur lui ». Le mineur n’a pas le droit de prendre des décisions quant à la divulgation ou non d’informations appartenant à sa vie privée. Cette jurisprudence est toujours en vigueur après près de quarante ans.

Réponses possibles du législateur

Plutôt qu’aux parents, est-ce au législateur de protéger le droit l’image des mineurs? Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias, avait déclaré il y a un an que

« la protection de la vie privée doit être une priorité pour les fournisseurs et pour les utilisateurs des sites de socialisation. Il me paraît essentiel que les profils des mineurs (…) soient privés par défaut et inaccessibles aux moteurs de recherche ».

Si la France se dotait d’une loi obligeant les sites de réseaux sociaux à rendre inaccessibles par défaut les profils des mineurs, la publication des images des mineurs ne se ferait alors que dans le cadre, non du cercle de famille, mais des « amis » du réseau social, et la décision de permettre ou non à un tiers d’accéder à un profil appartiendrait toujours aux parents, qui contrôleraient ainsi le champ de diffusion des photographies.

Vers une gestion personnelle du mineur de son droit à l’image?

Pourrait-on envisager que le mineur ait bientôt le droit de gérer sa propre image? Dans un avis de février 2010 sur l’actuelle proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, la Sénatrice Catherine Morin-Desailly proposa d’adapter le Children Online Privacy Protection Act en droit français, mais en étendant les droits du mineur de plus de treize ans afin qu’ils puissent faire jouer « directement et personnellement le droit d’opposition ou de rectification des données publiées qui les concernent ».

Il est vrai que cette proposition de loi prévoit que les élèves soient informés des risques liés à l’utilisation d’Internet au regard de la protection des données personnelles et du droit à la vie privée. Mieux informés, les mineurs pourraient gérer efficacement l’utilisation de leur image sur Internet. Ils pourraient alors demander à leurs parents de supprimer leurs photographies publiés sur les réseaux sociaux.

On revient d’ailleurs désormais sur l’idée reçue que « les jeunes ne se soucient pas de leur vie privée », et plusieurs études parues récemment aux États-Unis tendent à prouver le contraire.

La proposition de loi ne sera peut-être jamais adoptée, mais, une fois majeur, l’enfant a plein contrôle sur son image. Mais Internet a beaucoup de mémoire, à tel point que le gouvernement français s’interroge actuellement sur la nécessité d’un droit à l’oubli.

Un droit à l’oubli de nos photographies?

Il n’existe pas actuellement en droit français de droit à l’oubli pour des faits relatifs à la vie privée licitement révélés au public. Il existe néanmoins un droit à l’oubli de nos données à caractère personnel. Si elles sont conservées sous une forme permettant l’identification de la personne, elles ne peuvent être conservées pendant une durée excédant la durée nécessaire à la finalité du traitement de données (article 6 de la loi « Informatique et Libertés »). En outre, l’article 38 de la loi donne à toute personne le droit de s’opposer à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement.

Dès l’âge de 18 ans, l’enfant pourra interdire à ses parents de publier sa photo sur Internet, au risque de se voir, sinon déshérité, du moins banni de leur compte Facebook

Merci à Sabine Blanc qui m’a donné l’idée de ce billet !

> Illustration CC par Leonidas Tsementzis sur Flickr

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Paie ton RT: la banque des gazouillis http://owni.fr/2010/03/31/paie-ton-rt-la-banque-des-gazouillis/ http://owni.fr/2010/03/31/paie-ton-rt-la-banque-des-gazouillis/#comments Wed, 31 Mar 2010 16:00:57 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=11267 Image CC Flickr Ivan Walsh

Image CC Flickr Ivan Walsh

Que vaut votre réputation sur les réseaux sociaux ? Plusieurs sites permettent de la monétiser, comme Whuffie ou TwitBank, qui mesurent la valeur en monnaie virtuelle.

Cher Lecteur,

Merci de lire mon article. Vous pouvez me rendre plus riche. Si, après avoir lu ma prose, vous désirez suivre, presque journellement, le flot de mes pensées, suivez moi sur Twitter, retweetez mes tweets, et contribuez ainsi à ma santé financière.

Les banquiers de la réputation

C’est ce que propose une jeune pousse, Whuffie, un site à but non lucratif qui se propose d’être la banque qui monnaye et échange un bien de plus en plus précieux, notre influence sur les sites de réseaux sociaux. Grâce à un algorithme, Whuffie mesure notre influence sur le réseau Twitter, en attendant de le faire pour d’autres sites, dont Facebook. Il est intéressant de noter que, comme toute monnaie, le whuffie peut être échangé ou donné.

Le terme whuffie a été inventé par Cory Doctorow, qui décrit dans son roman de science-fiction Down and Out in the Magic Kingdom, traduit en français sous le titre Dans la dèche au royaume enchanté, un monde où la monnaie est basée sur la valeur de la réputation. Il y est possible de connaitre rapidement le nombre de whuffies au capital de toute personne rencontrée en utilisant une commande ping. Le nombre de whuffies de notre interlocuteur s’affiche alors sur un HUD (Head Up Display), un affichage tête haute, terme emprunté à l’univers du jeu vidéo qui permet au joueur de connaitre son statut.

Selon Jules, le héros du livre de Cory Doctorow, le whuffie « a recréé la véritable valeur de l’argent » car cette unité mesure « votre capital personnel avec vos amis et vos voisins » et vous permet ainsi « d’évaluer au mieux votre succès ». Nos amis, nos voisins ? Il s’agit bien de notre réseau, dont la valeur même dépend du nombre de connections.

L’idée d’une monnaie basée sur la réputation est reprise en France par la TwitBank, qui utilise la « monnaie de remerciement » exploracoeur. Ouvrir un compte à la TwitBank permet de faire des transferts d’exploracoeurs par le biais de Twitter, et d’en recevoir.

Les autres monnaies virtuelles

L’idée d’une monnaie créée par le biais d’un site Internet n’est pas nouvelle. Le site Second Life a sa propre monnaie, le Linden dollar, que les avatars utilisent pour acheter ce dont ils ont besoin, ou envie, dans ce monde virtuel. Second Life a son propre marché d’échange, le site Lindex, qui permet de convertir des Linden dollars en dollars américains, selon un taux de change fluctuant.

Comment calculer la valeur d’une réputation ?

Second Life fonctionne selon une économie de marché traditionnelle, où le prix d’un bien est en rapport avec la demande, mais le whuffie et l’exploracoeur sont des monnaies basées sur la réputation d’une personne sur les réseaux sociaux, et fluctuent en raison de la confiance accordée ou non à cette personne.

Première difficulté : comment évaluer la valeur de notre influence sur les sites de réseaux sociaux ? Au nombre d’amis et d’internautes qui nous suivent ? Apparemment, ce n’est pas si simple : une étude publiée récemment par des chercheurs internationaux démontre que le nombre de personnes suivant nos tweets n’est pas un indice de mesure fiable de l’influence. Il est vrai que l’on peut suivre quelqu’un, mais ne pas lire ses tweets. A cet égard, le nombre de fois que les tweets sont retweetés est un indicateur de valeur bien plus fiable.

Le site Tweetlevel propose aux utilisateurs de Twitter de calculer leur influence en leur donnant un score. Pour ce, le site détermine trois facteurs différents. Tout d’abord, il calcule l’influence, mesurée par le nombre de retweets. Ensuite, vient la popularité, calculée en fonction du nombre de personnes suivant le compte. Enfin, l’engagement personnel, plus ou moins élevé selon que la personne participe aux débats et aux conversations, et ne se contente pas de publier ses tweets.

La banque Whuffie utilise un système similaire afin de calculer la valeur de la réputation. Whuffie prend en compte quatre facteurs : le nombre de fois où la personne est retweetée, le nombre de fois où la personne retweete les messages des autres, si la personne est suivie par une personne elle-même très influente, c’est-à-dire très riche en whuffies, et enfin si les messages de la personne qui sont retweetés contiennent ou non un lien. Les messages sans lien ont plus de valeur que les messages contenant un lien, car ils sont souvent entièrement le fruit de leur auteur.

Pourquoi ne pas vendre notre réputation ?

Est-il possible de vendre notre réputation ? Nous avons vu que l’économie des mondes virtuels et l’économie du monde réel peuvent être liées, un phénomène désigné en anglais par le terme « real money trading » ou RMT. Il est possible de vendre des biens virtuels, ou même un compte joueur, à un acheteur nouveau venu qui souhaite partir d’un bon pied en bénéficiant des points accumulés par un joueur plus expérimenté, si le site le permet toutefois. Par exemple, les joueurs de World of Warcraft ne peuvent transférer leur compte, et passer outre à cette interdiction entraîne l’exclusion du site.

Nous utilisons souvent notre véritable nom sur les réseaux sociaux, et Facebook interdit même à ses usagers d’utiliser un pseudonyme ou un avatar. Cela rend ces comptes difficiles à vendre. Un site américain, tweetervalue.com, propose néanmoins de calculer la valeur en dollars de notre compte Twitter. Plutôt que d’acheter le compte et de l’utiliser à notre place, on peut imaginer utiliser ce chiffre pour négocier la valeur de nos tweets, et accepter de promouvoir différents produits auprès des personnes qui nous suivent. En ce cas, la Federal Trade Commission, une agence fédérale américaine, considère qu’il s’agit d’un endossement publicitaire qui doit être publiquement révélé.

En droit français, seules les « choses qui sont dans le commerce » peuvent être l’objet d’une convention (article 1128 du Code civil). Les droits de la personne sont incessibles : l’honneur et la réputation sont des biens hors commerce.

La valeur de notre réputation est-elle imposable ?

Qu’elle soit considérée comme une monnaie d’échange ou un bien que l’on peut vendre, est-ce les gouvernements appliqueront bientôt un impôt sur la valeur de notre réputation ?

Selon le Code des impôts américain, est passible d’impôt tout revenu, quel que soit son origine. Julian Dibbel, spécialiste des mondes virtuels, avait gagné d’importantes sommes dans le monde réel en vendant des biens virtuels sur le site eBay, pratique désormais limitée. M. Dibbel tenta de déclarer ces revenus à l’administration fiscale, qui lui suggéra de déclarer ses revenus en tant que revenus de troc. Les utilisateurs de Second Life résidant dans l’Union européenne doivent déjà s’acquitter de la T.V.A. sur certaines transactions, tel l’achat de terrains.

En France, l’article 1 A du Code Général des Impôts inclut dans le calcul de l’impôt sur le revenu les « plus-values de cession à titre onéreux de biens ou de droits de toute nature ». Il peut s’agir de biens corporels comme de biens incorporels, tels les produits de la propriété industrielle et de la propriété intellectuelle. Le législateur pourrait à long terme choisir de considérer la réputation comme un bien immatériel, peut-être similaire au know-how, ou à une marque, ce qui nous permettrait à la fois de protéger la marque « Moi » et de profiter financièrement de notre micro-branding.

Quoiqu’il en soit, ne pas payer l’impôt sur notre réputation et sur les revenus qu’elle pourrait engendrer aura un impact négatif sur nos whuffies et nos exploracoeurs. Profitons encore pour quelque temps du caractère non imposable de notre réputation…

> Illustration par mallix sur Flickr

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Géolocalisation, réseaux sociaux et droit http://owni.fr/2010/03/23/on-ne-saurait-etre-a-la-fois-au-four-et-au-moulin/ http://owni.fr/2010/03/23/on-ne-saurait-etre-a-la-fois-au-four-et-au-moulin/#comments Tue, 23 Mar 2010 09:18:57 +0000 Marie-Andrée Weiss http://owni.fr/?p=10654 Les internautes ont récemment fait les gorges chaudes d’un site américain, Please Rob Me, qui informait ses visiteurs lorsqu’un utilisateur du site Foursquare venait de quitter sa maison, et que celle-ci était désormais vide et prête à être cambriolée. Le véritable but des créateurs de Foursquare, comme indiqué sur le site, n’était pourtant pas d’inciter les internautes à un comportement délictueux, mais bien de les avertir des risques pris en publiant sur Internet leur localisation géographique. Le site est désormais désactivé, et ses créateurs souhaitent qu’une organisation reprenne le flambeau afin d’éduquer les internautes sur le danger de publier trop d’informations personnelles sur Internet.

Cambriolage : un risque réel

Ce risque est bien réel : de jeunes Californiens ont pu cambrioler l’an dernier les villas de plusieurs célébrités (entre autres Paris Hilton et Orlando Bloom) en regroupant des données trouvées sur divers sites Internet. Des sites consacrés aux potins les avertissaient que telle célébrité se trouvait ce soir-là hors de sa maison, tandis que d’autres sites leur permettaient de localiser la maison de la vedette en goguette.

Point n’est besoin d’être une célébrité afin que les internautes puissent connaître notre localisation géographique. Le site Foursquare permet aux utilisateurs d’un téléphone mobile « intelligent » d’installer un programme leur permettant d’informer leurs contacts du lieu où ils se trouvent, s’ils se trouvent dans les villes couvertes par ce service. Les utilisateurs d’un simple téléphone mobile peuvent envoyer un message texto à cette fin. Il est en outre possible de relayer cette information sur le site de réseau social et de micro-blogging Twitter et sur Facebook. Selon une étude de l’Université Carnegie Mellon de 2009, 72,4% des personnes interrogées connaissent les services permettant de partager leur localisation géographique avec des tiers. Beaucoup reconnaissent leur intérêt afin de pouvoir localiser une personne en danger ou un enfant, mais craignent qu’ils puissent favoriser les cambriolages ou les agressions.

Le succès de Foursquare a inspiré Twitter

Le succès de Foursquare a, semble-t-il, inspiré Twitter qui permet depuis peu à ses usagers d’indiquer leur location géographique. Ceux-ci peuvent choisir l’option opt-out afin de décliner cette option, ce qui est particulièrement heureux car la caractéristique principale du site est son caractère public. Ses utilisateurs peuvent choisir de protéger leurs tweets afin que seules les personnes par eux autorisées puissent les lire. La plupart des utilisateurs de Tweeter choisissent toutefois de laisser leurs tweets publics : tout un chacun peut les lire, et, au contraire de Facebook, chacun peut suivre qui lui plait sans avoir à recevoir l’autorisation de l’auteur des messages. En outre, on peut rechercher librement les messages publiés sur Twitter grâce à un simple moteur de recherche.

Le service offert par Foursquare est disponible pour les Parisiens depuis peu, et le New York Times a annoncé le 9 mars que Facebook, site disponible en France, prévoit de permettre à ses utilisateurs dès le mois d’avril d’informer leurs amis de leur location géographique.

Quelles conséquences au regard de la loi française ?

Quelles pourraient être les conséquences de l’utilisation de ces services de géolocalisation au regard de la loi française ?

Tout d’abord, quelles pourraient être les implications de la géolocalisation sur la vie privée ? Le droit français n’a jusqu’à ce jour traité que des implications de la géolocalisation sur la vie privée du point de vue du droit social. Une recommandation de la CNIL en date du 16 mars 2006 précise dans quelles conditions les employeurs peuvent utiliser un dispositif de géolocalisation. Le responsable du traitement doit en particulier prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir l’accès à ces données par des employés non autorisés.

Qu’adviendrait-il si un employeur utilisait les données de géolocalisation qu’un employé poste volontairement sur un site de réseau social afin de surveiller celui-ci ? Il s’agirait sans nul doute d’une collecte de données à caractère personnel, et l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise bien qu’il y a traitement « quel que soit le procédé utilisé ». L’article 6-1° de la loi de 1978 dispose que les données doivent être collectées de manière loyale et licite. Est-ce loyal et licite d’utiliser des données librement mise en ligne par un internaute ? Certes non, puisque l’internaute ne consent pas à ce que ses données de géolocalisation fassent l’objet d’un traitement.

Le droit européen s’est également intéressé aux données de localisation : selon l’article 2 de la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, constituent des données de localisation « toutes les données traitées dans un réseau de communications électroniques indiquant la position géographique de l’équipement terminal d’un utilisateur d’un service de communications électroniques accessible au public ». Cette définition inclut les systèmes GPS et les téléphones portables, qui informent automatiquement le réseau électronique de la position géographique de leur utilisateur, et, semble-t-il, inclut également l’hypothèse où le sujet informe de lui-même le réseau de communications électroniques de sa position géographique.

Le Groupe de Travail dit « de l’article 29 » a bien noté dans son avis 5/2009 que les réseaux sociaux sont des services de la société de l’information, tels que définis par l’article 1er, alinéa 2 de la Directive 98/34/CE modifiée par la Directive 98/48/CE, c’est-à-dire « tout service presté normalement contre la rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services », bien que les utilisateurs des réseaux sociaux n’ont pas à rémunérer ces sites. En outre, les dispositions de la Directive 95/46/CE sur la protection des données s’appliquent « dans la plupart des cas », selon le Groupe de Travail, aux fournisseurs de réseaux sociaux, et ce même si leur siège se situe en dehors de l’EEE. Ils sont ainsi considérés comme responsable du traitement de ces données.

Un réseau social géolocalisé peut-il engager sa responsabilité pénale ?

Est-ce qu’un site de réseau social publiant la position géographique de ses utilisateurs pourrait engager sa responsabilité pénale ? Un internaute se fait cambrioler après avoir publié sa position géographique, et est même blessé au cours du cambriolage : peut-il s’agir d’une mise en danger de la vie d’autrui, délit prévu à l’article 223-1 du Code pénal ? Il faudrait prouver la violation d’une obligation de prudence, ce qui équivaudrait à soutenir que la publication d’une adresse est de nature à mettre en danger la vie d’autrui, et l’avocat choisissant cette voie n’aurait pas grande chance de succès.

Quelles pourraient être les réponses du droit de la responsabilité délictuelle ? Chacun est responsable du dommage causé par sa négligence ou son imprudence selon l’article 1383 du Code civil. La publication d’informations relatives à la géolocalisation pourrait-elle être considérée comme une faute par le juge ? Il faudrait établir un lien de causalité entre la publication de la géolocalisation de l’internaute et le dommage.

Et les assureurs ?

Qu’en-il du point de vue du droit des assurances de la responsabilité de l’utilisateur d’un réseau social qui aurait régulièrement publié sa position géographique ? Selon l’article L113-2 2° du Code des assurances, l’assuré doit « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Si l’assureur découvre que l’assuré a régulièrement publié sa position géographique sur divers réseaux sociaux sans l’en avertir, pourrait-il invoquer la négligence de l’assuré cambriolé ?

Beaucoup de questions, et les réponses ne peuvent être encore que des pistes de réflexion, en attendant la première affaire où un tribunal aura à juger des conséquences légales de ce nouvel engouement des utilisateurs de réseaux sociaux, publier leur position dans le monde réel sur Internet.

Billet initialement publié sur Legalbiznext, sous le titre “On ne saurait être à la fois au four et au moulin : géolocalisation, réseaux sociaux et droit”

Photo CC Flickr spanaut

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