OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Des bactéries qui ne perdent pas le Nord http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/ http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/#comments Mon, 28 Feb 2011 16:24:51 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=34162 Mon histoire commence au milieu des années 70 avec un jeune étudiant en thèse, Richard Blakemore, qui étudiait des populations de bactéries que l’on trouve dans les boues et sédiments au fond des océans, des lacs ou des marais. Ayant placé un échantillon sous le microscope, Blakemore observa que certaines bactéries, motiles (se déplaçant grâce à leur flagelle), se déplaçaient toutes dans la même direction. Ceci n’a en soi rien d’inhabituel ; dans une goutte de liquide montée entre lame et lamelle, il existe souvent des flux causés par l’évaporation, la capillarité… De même, le chimiotactisme (ndlr : mouvement orienté vers ou à l’opposé d’une substance chimique), courant chez les bactéries, leur permet de s’orienter en fonction d’un gradient de concentration.

La grande inspiration de Blakemore, peut-être intrigué par la constance du mouvement, fut de répéter l’observation en différents endroits ou en changeant l’orientation du microscope, et les bactéries continuaient de nager dans la même direction, non par rapport à la lame, mais par rapport au laboratoire! Ayant écarté l’hypothèse d’une orientation par la lumière, Blakemore suspecta puis démontra à l’aide d’un aimant que le mouvement de ces bactéries était orienté par les champs magnétiques, même faibles . Cette découverte étaient complètement inattendue, ainsi que l’écrit Blakemore lui-même : I wish to emphasize that this was a completely unexpected finding. Voilà un bel exemple de sérendipité!

Si une illustration plus moderne du phénomène vous intéresse, la vidéo ci-dessous montre une suspension de ces bactéries « magnétotactiques » (MTB en anglais) dont le mouvement est influencé par l’application d’un champ magnétique (la direction est donnée par la boussole en haut à gauche de l’écran).

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Il existe donc des bactéries « magnétotactiques » dotées de la faculté de sentir les champs magnétiques, et au premier chef le champ magnétique terrestre. Comment est-ce possible?

Les vrais inventeurs de la boussole

Il faut noter que ces bactéries sont souvent rétives aux techniques de culture traditionnelles (un peu comme les pandas qui ont du mal à se reproduire en captivité, mais en plus petit), ce qui ne facilite pas leur étude d’un point de vue moléculaire. En revanche, leur intéressante propriété magnétotactique permet d’enrichir facilement des échantillons, par exemple en les attirant vers le fond d’un tube au moyen d’un aimant, puis en retirant le surnageant. Les préparations obtenues, relativement denses en bactéries, se prêtent bien à l’observation microscopique.

Après en avoir isolé suffisamment, Blakemore observa ainsi que ses bactéries magnétotactiques renfermaient des particules de fer entourées d’une membrane, alignées les unes à la suite des autres ; ces organites furent bientôt baptisés « magnétosomes », car ils sont effectivement à l’origine des propriétés magnétotactiques des bactéries. Par un mécanisme soigneusement régulé, les MTB prélèvent dans leur milieu des ions fer Fe3+ (soit une forme très oxydée du fer), qu’elles réduisent pour former de la magnétite Fe3O4 ou dans certains cas de la gréigite Fe3S4 (le soufre jouant un rôle analogue à celui de l’oxygène). Ces minéraux se comportent comme des aimants, et donc les magnétosomes comme l’aiguille d’une boussole, orientant la bactérie le long des lignes de champ magnétique. Le flagelle placé à un pôle lui confère sa mobilité et fait le reste.

Les bactéries ont donc une propriété étonnante, celle d’avoir inventé et utilisé la boussole quelques millions d’années avant les Chinois.

Comme dirait un physicien, les bactéries magnétotactiques se déplacent le long des lignes de champ magnétique, que l’on peut matérialiser au moyen d’un aimant et de limaille de fer :

Or, pour une bactérie le champ magnétique le plus significatif est le champ terrestre, équivalent à celui généré par un dipôle orienté Nord-Sud (surprise!) qui se situerait au centre de la Terre. Les lignes de champ se dessinent donc ainsi autour du globe :

Partir vers les pôles pour aller en profondeur

Et c’est là que réside l’astuce, que vous avez peut-être déjà devinée en voyant le barreau aimanté et la limaille de fer : lorsque l’on est dans l’hémisphère Nord, suivre une ligne de champ vers le Nord ce n’est pas seulement aller vers le Nord, c’est aussi… descendre ! L’intérêt des MTB serait-il de changer d’altitude plutôt que d’aller vers un des pôles ?

On commence à le subodorer si l’on observe que dans l’hémisphère Nord les MTB « cherchent » le Nord (leur objectif final n’est donc pas de suivre une ligne de champ), et surtout en considérant leur métabolisme. En effet, les MTB sont pour la plupart des organismes anaérobies ou microaérophiles, c’est-à-dire qu’elles ont besoin au maximum d’un peu d’oxygène pour vivre. Au passage, c’est un mode de vie qui cadre bien avec la capacité à minéraliser du fer dissous, car en général corrélé avec un environnement réducteur. Or, ces bactéries aquatiques ne trouvent ces conditions qu’en s’enfonçant dans le sédiment du fond de l’eau, et pour cela, il leur suffit de suivre leur boussole! Cette hypothèse a été rapidement corroborée par la découverte de bactéries cherchant le Sud dans l’hémisphère Sud , donc cherchant elles aussi à descendre.

Des bactéries magnétotactiques à deux sens

Il faut tout de même introduire une nuance importante. En effet, j’ai un peu simplifié les choses : il existe des MTB « à deux sens » qui ne se contentent pas d’aller vers le Nord ou le Sud, mais qui changent brusquement de direction. Il semble donc que le magnétotactisme soit couplé à l’aérotactisme (réponse à la variation de la concentration d’oxygène), ou à d’autres tactismes qui intéressent la bactérie. Ainsi, l’exploration de l’espace par les bactéries est restreinte à une dimension (car les bactéries restent le long des lignes de champ magnétique), et le second tactisme intervient pour stimuler ou ralentir le mouvement selon les conditions locales, en général la concentration en oxygène.  La « polarité » des ces MTB versatiles est donc donnée par la direction qu’elles prennent lorsque la concentration en oxygène est trop élevée pour leur métabolisme.

Des mystères troublant demeurent néanmoins. En particulier, je me demande comment font les MTB qui se divisent pour savoir de quel côté de la boussole elles doivent assembler leur flagelle. J’ai deux hypothèses simples qui évitent de faire appel à une régulation magnétique de l’assemblage des protéines : (1) le flagelle est assemblé en fonction d’informations héritées de la division, comme « nouveau pôle » et « pas de flagelle dans la cellule », donc au bon endroit mais indépendamment des magnétosomes, ou (2) le flagelle est assemblé indifféremment au Nord ou au Sud de la bactérie, ce qui amène 50% de la population à se suicider après un fol envol vers la surface dans un feu d’artifice d’oxygène. Ne resterait alors que la population « bien orientée » !

Plus troublant encore, des chercheurs ont récemment identifié une bactérie habitant un lac salé de l’hémisphère Nord et nageant frénétiquement vers le Sud alors qu’elle était soumise à des concentrations d’oxygène élevées . C’est l’inverse de ce que l’on pouvait attendre, compte tenu de l’ensemble des observations précédentes et de la jolie théorie exposée ci-dessus, au point que l’article a été publié dans Science… Apparemment, cette anomalie serait lié à l’habitat très spécifique, un lac salé dont les eaux sont très stratifiées pendant une partie de l’année, ce qui change les gradients d’oxygène, de potentiel d’oxydo-réduction… ce qui amène les auteurs à conclure que de nouveaux modèles doivent être construits pour expliquer le comportement de ces étranges bactéries, et en particulier qu’il conviendrait désormais de les étudier dans des conditions plus naturelles que celles couramment utilisées au laboratoire .

Article initialement publié en 2 parties (1 et 2) sur le Bacterioblog

Photo FlickR CC : daynoir

]]>
http://owni.fr/2011/02/28/des-bacteries-qui-ne-perdent-pas-le-nord/feed/ 1
L’utriculaire: Plante carnivore à Grande Vitesse http://owni.fr/2011/02/18/lurticulaire-plante-a-grande-vitesse/ http://owni.fr/2011/02/18/lurticulaire-plante-a-grande-vitesse/#comments Fri, 18 Feb 2011 16:04:10 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=34122 Elle hante les marais, c’est une carnivore impitoyable, mortelle, d’une rapidité fulgurante… mais c’est une plante aquatique! Des chercheurs sont parvenus à décrypter son fonctionnement, expliqué dans un article en accès libre, et dans une vidéo postée sur Youtube, que je vous propose ci-dessous.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’utriculaire, plante carnivore connue depuis Darwin, effectue les mouvements les plus rapides du règne végétal, pourtant caractérisé par son immobilité. Mais comment fait-elle?

L’eau est progressivement expulsée des capsules grâce à des glandes dédiées, créant ainsi une dépression en leur centre. Lorsqu’une malheureuse victime frôle les poils sensitifs qui bordent ce piège, celui-ci s’ouvre, aspirant un certain volume d’eau à proximité… avec son contenu, malgré ses protestations évidentes.

Il semble que la mécanique du phénomène n’était pas si évidente que cela, au point que les scientifiques ont eu recours à une caméra ultra-rapide pour la décrypter, et même ralenti 240 fois, il faut suivre attentivement le mouvement! Le déploiement du piège dure ainsi 500 millionièmes de seconde, et le fluide environnant subit une accélération maximale de 600 g pour une vitesse de pointe de 1,5 m/s. Je suppose que la capture est suivie de la sécrétion d’enzymes qui transforment la proie en une bouillie peu ragoûtante mais assimilable par la plante. Cerise sur le plancton, les pièges inactifs depuis plusieurs heures se déclenchent spontanément, engendrant ainsi des perturbations qui peuvent rapprocher de la nourriture, animale ou végétale, ce qui en fait en réalité une plante omnivore!

Pièges d'une Utricularia aurea

Au-delà de la performance physique de l’utriculaire, j’étais étonné de trouver des plantes carnivores dans un milieu a priori bourré de matière organique, les eaux stagnantes. Je suppose que comme dans les tourbières qui abritent les droséras, les protéines sont une denrée rare par rapport aux débris végétaux. Dernière considération évolutive pour vous rassurer, intuitivement je ne pense pas qu’un tel système soit possible à l’échelle du mètre (en particulier l’eau ne « paraît » pas aussi visqueuse, l’ouverture de la trappe devrait être bien plus rapide, etc.), celle qui commencerait à devenir dangereuse pour les humains… en tous cas ce qui aiment se baigner dans les marais.

>> Article initialement publié surle Bactérioblog

>> Photo CC FlickR : Tim Waters et CC-by Wikimedia Commons Michal Rubeš

]]>
http://owni.fr/2011/02/18/lurticulaire-plante-a-grande-vitesse/feed/ 3
La bactérie incorporant de l’arsenic, une nouvelle forme de vie? http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/ http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/#comments Sat, 04 Dec 2010 14:12:11 +0000 Benjamin http://owni.fr/?p=33558 Titre original : Une bactérie remplace le phosphore par l’arsenic

Vous avez certainement eu vent d’une découverte récemment publiée dans Science, ayant trait aux bactéries et à l’évolution, que je me devais donc de relater dans ces pages, ainsi que le traitement étonnant qui en a été fait. Mais venons-en au fait : des chercheurs de la NASA ont identifié une bactérie capable d’incorporer de l’arsenic (As) à ses propres biomolécules en lieu et place du phosphore (P), dont il est chimiquement proche (ce qui explique au passage sa toxicité). L’étonnant n’est pas tant que la bactérie résiste à ce poison notoire, mais plutôt qu’elle arrive à se passer du phosphore, qui fait partie des quelques éléments majoritaires de la matière vivante, avec le carbone (C), l’oxygène (O), l’azote (N), le soufre (S) et l’hydrogène (H).

En effet, le phosphore est un composant essentiel des nucléotides, donc de l’ADN, de l’ARN et des petites molécules qui permettent les transferts d’énergie dans la cellule. Il participe également à la régulation de l’activité des protéines, sous forme de groupements phosphates qui se greffent sur ces dernières. Son effet sur la mémoire est plus discutable.

Comment mettre en évidence une propriété aussi fondamentale et inattendue que la substitution du phosphore par l’arsenic? Les chercheurs ont isolé des bactéries tirées des sédiments d’un lac salé, particulièrement riches en arsenic, pour les cultiver sur un milieu ne contenant que de l’arsenic et pas de phosphore, sélectionnant ainsi la propriété de substitution. Bravo! En bactériologie, quand on cherche, on trouve! La bactérie ainsi identifiée parvient à remplacer -presque totalement- le phosphore par l’arsenic dans son ADN ou dans ses protéines. Le changement de régime n’est pas sans conséquence pour la bactérie, qui devient un peu malade, grossit et se multiplie moins vite…

Mais tout de même, il s’agit d’une souplesse métabolique inédite, qui n’est probablement pas un accident, cette bactérie vivant dans un milieu riche en arsenic. Ces travaux soulèvent d’intéressantes perspectives en évolution (comment fonctionnaient les premiers métabolismes? comment un système aussi flexible a-t-il évolué?), mais aussi dans l’étude de la biodiversité : pour identifier de nouveaux organismes invisibles à l’oeil nu, on a recours à des techniques comme la PCR, qui présupposent un certain type de biologie (avec, au hasard, un ADN basé sur du phosphore). Désormais, lorsque l’on étudiera des environnement très originaux, on utilisera peut-être des techniques plus fastidieuses mais moins biaisées. Pour finir, la publication elle-même est assez courte, et je gage que les auteurs travaillent sur les mécanismes moléculaires et sur la séquence du génome, qui devrait leur valoir un ou deux Nature/Science de plus. Fait étrange, l’article ne contient pas une ligne sur les considérations exobiologiques qui ont fait bruisser Internet…

Mono Lake, Californie, où la NASA a découvert cette bactérie

La NASA a apparemment fait une certaine publicité à cette découverte (doux euphémisme), générant une certaine attente du public quant à la possibilité d’une vie sur d’autres planètes, ainsi que le soulignent mes camarades d’En Quête de Sciences. Pendant ce temps, sur le webcomic xkcd, on s’interroge au sujet des conséquences de cette attente sur la conférence de presse.

Pour ma part, j’aimerais que l’on abandonne cette perspective exobiologique, pour une simple raison : si l’on espère vraiment trouver une forme de vie extra-terrestre, il faudra faire des efforts d’imagination considérables, et ne pas avoir de préjugés comme « houla! ne cherchons pas sur cette planète, il n’y a pas de phosphore, que de l’arsenic! Pas de vie possible ici, en plus, c’est un poison bien connu! ». Les gars! Vous avez construit des fusées pour emmener l’homme sur la Lune et le ramener vivant, le tout à une époque préhistorique! Pas besoin d’une bactérie bien terrestre (qui préfère quand même le phosphore) pour chercher d’autres formes de vie sur d’autres planètes!

Ce n’est pas non plus la première fois que l’on spécule sur la substitution des éléments fondamentaux de la vie : je me rappelle d’un Science & Vie Junior de ma jeunesse (donc au siècle dernier) où il était question  d’une hypothétique forme de vie extraterrestre, , et dont la biochimie ne serait pas basée sur le carbone, mais sur le silicium, un élément aux propriétés voisines…. le tout accompagné d’une vue d’artiste de l’organisme en question, vaguement anguleux et insectoïde.

Laissez-moi vous faire part de quelques titres arrivés dans mon agrégateur de flux RSS :  »La vie comme nous ne la connaissions pas » (un titre facile à recycler),  »Une bactérie ouvre la voie à une cuisine alternative de la vie » (pourquoi pas),  »La Nasa laisse espérer une rencontre d’un nouveau type » (racoleur mais étrangement exact),  »Une forme de vie fondée sur l’arsenic » (un tout petit peu exagéré),  »Découverte d’une bactérie qui se nourrit d’arsenic » (pourquoi pas, mais le thème de la nourriture n’est pas des plus heureux). En particulier, la conclusion sur le site de France 24 fait un peu sourire :

Cette découverte permet d’établir une fois pour toutes que des formes de vie peuvent exister dans des environnements impropres à la survie de l’humanité. Cette bactérie constituerait la première preuve d’une forme de vie différente de la nôtre – une sorte d’évolution parallèle.

Pour en finir avec les variations sur le thème « une autre forme de vie », je rappelle tout de même qu’il s’agit d’une bactérie, faisant partie d’un phylum bien identifié (les gamma-Protéobactéries! le même qu’Escherichia coliwake up!), qu’elle est basée sur de l’ADN et des protéines, donc qu’elle fait partie de la grande famille du vivant que nous connaissons bien et qui descend probablement d’un unique ancêtre. Quant aux implications pour la recherche de la vie dans des milieux jugés inhospitaliers par pur anthropomorphisme, je ne vois rien de neuf depuis la découverte de l’anaérobiose, soit la vie en l’absence d’oxygène gazeux (1860?). Il existe bien des bactéries qui respirent l’arsenic! Bref, j’en ai r-As la casquette, et je ne veux même pas aller voir ce que ça donne sur Twitter.

Dans le fond, je dois être un rabat-joie ; quand il y a trop de buzz autour d’une publication (et souvent avant celle-ci), j’ai tendance à la trouver moins excitante! J’ai pas déjà écrit un truc sur les chercheurs qui en font trop?

Bonus : La vidéo faite par Science de la présentation de la découverte :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

>> Article initialement publié sur le Bacterioblog

>> Photos FlickR CC : NASA Goddard Photo and Video et NASA

]]>
http://owni.fr/2010/12/04/une-nouvelle-forme-de-vie-la-bacterie-incorporant-de-l%e2%80%99arsenic/feed/ 3