OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le (faux) procès du microcrédit qui masque ses (vraies) réussites http://owni.fr/2011/04/15/le-faux-proces-du-microcredit-qui-masque-ses-vraies-reussites/ http://owni.fr/2011/04/15/le-faux-proces-du-microcredit-qui-masque-ses-vraies-reussites/#comments Fri, 15 Apr 2011 08:30:04 +0000 Arnaud Poissonnier (Youphil) http://owni.fr/?p=56856 Depuis quelques semaines, la microfinance occupe à nouveau les devants de la scène. L’éviction du Professeur Yunus de la tête de la Grameen Bank et plus largement les messages très négatifs véhiculés sur ce secteur menacent une fois de plus ce bel outil de développement. La microfinance est-elle réellement menacée ou condamnée comme l’annoncent certains ? Retour sur les derniers événements.

Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix 2006, a donc été évincé, mardi 1er mars, de la direction générale de la Grameen Bank, qu’il a fondée et qu’il dirige depuis 1983. La Haute Cour de Dacca a entériné une décision prise la semaine précédente par la Banque centrale du pays, et contestée par le professeur devant la Cour Suprême du Bangladesh.

Que reproche la Banque centrale à Muhammad Yunus ? De s’être maintenu depuis 2000 à la direction de la Grameen Bank au-delà de la limite légale de 60 ans, avec l’accord de son conseil d’administration, y compris des trois représentants de l’Etat, sans que cette décision ait été formellement validée par la Banque centrale. Un limogeage… avec dix ans de retard! Cette éviction ne fait donc que confirmer l’atmosphère de règlement de compte politique qui règne sur cette affaire.

Une bataille de pouvoir à la Grameen Bank… prétexte d’une polémique sur la microfinance

Depuis l’annonce de son renvoi, le prix Nobel de la paix a contre-attaqué en dénonçant « une situation tout à fait absurde » indiquant que « le gouvernement veut aujourd’hui prendre le contrôle du conseil d’administration de la Grameen Bank pour qu’elle soit complètement à sa disposition ».

L’enjeu de cette bataille politique? L’indépendance de la Grameen Bank, que le gouvernement du Bangladesh assimile à une entité du secteur public alors que plus de 95% de son capital est détenu par les quelque 8 millions de femmes pauvres emprunteuses et que l’Etat ne détient que 25% des sièges à son conseil d’administration.

Les mouvements et déclarations de soutien à Yunus se multiplient de par le monde: les femmes bénéficiaires du microcrédit et actionnaires de la Grameen Bank, l’ensemble des acteurs du secteur mais aussi des personnalités comme Hilary Clinton, Maria Nowak, présidente de l’Adie, Martin Hirsch, Michel Camdessus, etc. Les Français sont d’ailleurs invités à venir manifester leur soutien au prix Nobel ce mercredi 16 mars au Trocadéro.

Quelques semaines après le scandale de SKS en Inde (à ce sujet vous pouvez lire mon article sur les dérives de la microfinance indienne), cette affaire fait ressurgir les polémiques liées à la microfinance, aujourd’hui triste marronnier médiatique, comme en témoigne ce sujet consacré au à la microfinance indienne diffusé au JT de 20H00, le 9 mars sur TF1.

Après avoir été encensée, peut être avec excès, la microfinance devient une abomination qui asservirait les pauvres, au lieu de contribuer à leur rendre dignité et de mettre à leur disposition des moyens d’entreprendre. Il n’est plus question que de méthodes de recouvrement inacceptables, d’introduction en bourse, de taux usuraires, de surendettement, voire de suicides…

Mais les dérives et les conséquences d’une partie de la microfinance trop mercantile, dont les médias font désormais leurs choux gras, ne sont pas représentatives de l’ensemble des acteurs de la microfinance.

C’est dans ce contexte que de très dangereux raccourcis médiatiques ne cessent de se multiplier; le limogeage du professeur Yunus est présenté comme une conséquence de la crise du secteur alors qu’il ne s’agit que d’un règlement de compte politique, les 15.000 suicides de fermiers dans la région de l’Andhra Pradesh sont mis en relation avec le surendettement, dont le microcrédit porterait la responsabilité, alors qu’il y avait malheureusement tout autant de suicides ruraux quand le microcrédit n’existait pas sur place, la microfinance est présentée comme « une poule aux œufs d’or » alors que 80% des 10.000 Institutions de microfinance (IMF) dans le monde sont en perte,  la microfinance conduirait à l’appauvrissement de 75% de ses bénéficiaires alors qu’aucun spécialiste sérieux du secteur n’a jamais défendu une telle affirmation.

Les taux à 26% (taux moyen dans le monde et en baisse constante) qui ne seraient qu’usure alors que les vrais usuriers du coin dont personne ne parle facturent sans scrupules 300%, eux! Et pourquoi les JT ne font-ils pas de reportages sur ces « Loan Sharks » ? (surnom local des usuriers)? Sans doute parce qu’ils ne feront pas la Une, comme Muhammad Yunus !

La face cachée du microcrédit ? Celle des petites institutions efficaces

Présentées comme des généralités sorties de leur contexte, ces “news” sont bien souvent de pures contre-vérités, divulguées par certains par méconnaissance du secteur ou par esprit de racolage…
Isabelle Guérin, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement qui fût l’une des premières à dénoncer les dérives du secteur, analyse pour le journal La Croix:

Certains disent qu’il y a trop d’argent dans le secteur. Il n’y en a pas trop, mais il est concentré dans des institutions très médiatisées, alors que des établissements plus modestes œuvrent véritablement pour le bien être des gens. A côté de la microfinance commerciale et ses dérives, existent des acteurs, à l’expertise remarquable, qui sont actuellement délaissés.

Que l’on ne se méprenne pas, le propos n’est pas ici d’éluder ou de nier les débats et les questions qui dérangent, et il est bon que les médias sensibilisent les acteurs du secteur et le public sur ces dérives. Le fait que l’on parle à nouveau d’impact social plus que de retour sur investissement en est une conséquence et c’est une bonne nouvelle.

Nous nous sommes d’ailleurs fait à plusieurs reprises l’écho de ces débats dans ces mêmes colonnes. Il est par contre extrêmement dangereux que certains de ces medias présentent ces dérives comme si elles étaient inhérentes à la microfinance elle-même.

Il en va de même de certains apprentis sorciers d’Etat qui, par pure démagogie, tentent de reprendre la main pour tout régenter. Ils mettent bien souvent – mais en ont-ils conscience – gravement en danger l’ensemble du secteur lui faisant courir un risque systémique d’assèchement de ses ressources. Faut-il rappeler que 160 millions de personnes par le monde vivent du développement de leur activité d’autosubsistance elle-même financée par le microcrédit?

Nos visites régulières sur le terrain confortent les informations qui nous remontent de tous les spécialistes du secteur; il est une grande majorité de pays et de zones où les bénéficiaires de microcrédit ne sont nullement concernés par ces dérives, mais ceux-là ne semblent pas avoir les faveurs des médias. C’est bien triste.

Il est donc plus que jamais essentiel que la communauté des acteurs de la microfinance se mobilise pour défendre sans relâche la microfinance sociale et le microcrédit responsable tout en poussant à son amendement dans les zones troublées. Le microcrédit reste sans conteste et quoi qu’on en dise, l’un des plus beaux outils d’expression de la dignité humaine.

Billet publié initialement sur Youphil sous le titre Qui veut la peau du microcrédit ?

Photo FlickR CC World Economic Forum ; Sumayia Ahmed ; McKay Savage.

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