Les Anonymous dévoilent Ennahdha
En deux semaines, des Anonymous, avec lesquels OWNI s'est entretenu, ont installé sur des serveurs plus de 3 000 mails de dirigeants du parti islamiste tunisien Ennahda, actuellement au pouvoir. Dont certains se révèlent embarrassants pour le gouvernement. Un email dévoilé hier envisageait des manoeuvres en vue d'intégrer la charia au droit tunisien, en dépit des déclarations officielles. D'autres évoquent des opérations financières douteuses.
Depuis le début du mois d’avril, des milliers d’emails de dirigeants du parti Ennahdha, au pouvoir en Tunisie, sont piratés et diffusés par les Anonymous. Hier, une nouvelle vague de fuites contenait des documents potentiellement embarrassants pour les dirigeants d’Ennahdha. Ces courriels proviennent du ministre de la l’Agriculture, Mohamed ben Salem.
On peut y lire en particulier un procès-verbal du bureau exécutif d’Ennahdha daté du 19 mars dernier (en arabe). Le document indique que les membres du bureau ont évoqué l’idée d’une opération de déstabilisation contre les institutions internationales qui participent au soutien financier de la Tunisie – soit le FMI, l’Union européenne et la BCE – avant de se rétracter.
Lors de cette même réunion, il a également été question de trouver des solutions pour intégrer des éléments de charia dans le droit tunisien. Même si publiquement le parti Ennahdha revendique la culture musulmane mais se défend de vouloir faire appliquer la charia.
Cette découverte en accompagne des dizaines d’autres. Jusqu’ici, 3 500 documents appartenant notamment au Premier ministre Hamadi Jebali ont été mis en ligne sur des serveurs des Anonymous. Dans ces listes de courriels, il est aussi question de fraudes électorales, de censure ou d’opérations financières.
Ennahdha, majoritaire à l’assemblée constituante, et le gouvernement démentent mordicus la véracité d’une partie des documents. De son coté Anonymous, assure de leur authenticité et promet de nouvelles révélations sur les coulisses du pouvoir de ces deux dernières années.
En octobre 2011, neuf mois après le départ de Ben Ali, qui profite désormais de sa retraite de dictateur dans une salle de sport en Arabie Saoudite, les premières élections libres ont eu lieu en Tunisie. Celles-ci ont pour but la création d’une Assemblée constituante qui devra rédiger la prochaine loi fondamentale du pays. Après décompte, les membres du parti islamiste Ennahdha sortent très largement vainqueurs du scrutin et raflent 89 sièges sur les 217 que compte la nouvelle Assemblée.
Un rapport de l’organisme supervisant l’élection aurait même été déposé pour annuler les votes du bureau de Bruxelles Nord pour cause d’irrégularités.
La légitimité de la première force politique du pays est, potentiellement, sujette à caution si les documents s’avéraient authentiques. D’autant que le nouveau gouvernement ne semble pas avoir souhaité partager le pouvoir. C’est tout du moins ce qu’explique un des membres d’Anonymous Tunisia avec lequel OWNI s’est entretenu :
Nous avons attaqué Hamadi Jebali parce qu’il est le symbole d’un gouvernement qui fait marche arrière sur les libertés, pas parce qu’il fait parti d’Ennahdha. Le gouvernement est responsable d’actes d’agressions commis contre des manifestants chômeurs et du lancement d’une cellule de sécurité pour censurer et contrôler Internet. Le fait d’être élu par le peuple n’est pas une raison pour s’en prendre à nos libertés.
D’ailleurs, dans les mails publiés, un document atteste de l’exclusivité du pouvoir voulue par des responsables du parti islamiste. Celui-ci évoquait la possible suppression par la télévision nationale du terme “transitoire” pour qualifier le gouvernement en place.
Majoritaire à l’Assemblée constituante, Ennahdha a officiellement envisagé jusqu’à la fin mars, d’intégrer la loi islamique dans la nouvelle constitution du pays. Ennahdha, encore, discutait en interne de la nécessité de garantir la non-indépendance de la Banque centrale tunisienne et déplorait dans un autre document “la pression européenne et française pour accélérer le processus démocratique”.
Mais la ligne politique adoptée par le gouvernement transitoire n’est pas l’unique élément abordé dans ces courriels. Des affaires financières, plus troubles, semblent y apparaître. Comme ce courrier envoyé sur la boîte mail du parti Ennahdha et contenant les coordonnées bancaires de Kamal Ben Amara, un élu Ennahdha à l’Assemblée constituante, titulaire d’un compte à la Qatar international islamic bank. Avant de s’engager en politique il aurait travaillé chez Qatar Petroleum, la compagnie pétrolières nationale du riche État du Qatar, comme le montre un ancien répertoire du groupe. Et dans l’actuel gouvernement ben Amara a été nommé vice-président à la Commission de l’énergie.
À ce titre, il fait partie des membres du gouvernement habilités à négocier, entre autres, les investissements dans la raffinerie de Skhira, la plus grande de Tunisie, avec une production estimée à 120 000 barils par jour. Coût de construction : 1,4 milliard d’euros. Un appel d’offres remporté par Qatar Petroleum qui pourra l’exploiter en partie pour les deux décennies à venir.
En outre, dans les coordonnées bancaires envoyées par mail à Ennahdha, figure un “Swift Code” utilisé pour les virements internationaux. Le problème étant de savoir dans quel sens les virements bancaires ont été effectués. De Kamal Ben Amara vers Ennahda ou du parti vers Ben Amara, pour les besoins de sa campagne électorale par exemple.
Devant les nombreuses interrogations que posent ces documents, aussi bien dans leurs contenus que sur leur authenticité, Anonymous invite les internautes qui le peuvent à vérifier sans tarder:
Les emails comme les SMS et les moyens de communication électroniques sont devenus des pièces justificatives devant les tribunaux. Les en-têtes des emails confirment les sources et les trajets des courriels via leur identifiant unique. S’ils étaient falsifiés, tout le monde le remarquerait et surtout les spécialistes en informatique. J’invite tous ceux qui doutent à vérifier.
Début avril, le gouvernement tunisien a annoncé qu’il maintenait en activité l’Agence tunisienne d’Internet pour lutter contre la cybercriminalité. Sous la dictature, l’agence gérait la censure sur Internet pour le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), l’ancien parti de Ben Ali. Dans le principe de “sécurisation du web”, Anonymous voit un retour masqué de la censure. Incompatible, selon le collectif, avec la garantie des libertés individuelles :
Ceux qui gèrent le pays sont ceux qui doivent assumer. Mais si le Gouvernement change de ligne de conduite, surtout concernant la censure du net, Anonymous fera un pas en arrière.
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