Au coeur du site des hackers

Le 9 novembre 2011

Hackerspaces.org recense les lieux physiques où se rencontrent de plus en plus les adeptes de la bidouille. Esther Schneeweisz, alias Astera, fait partie des fondateurs. Portrait berlinois d'une jeune femme emblématique de la dernière génération de hackers.

Astera Schneeweisz à Berlin, novembre 2011 - (cc) Ophelia Noor

Elle incarne cette nouvelle génération de hackers, ces adeptes de la bidouille : le nez dans la machine mais aussi dans les objets, habitué des hackerspaces, des lieux de rencontre physique. Esther Schneeweisz, alias Astera, aime tellement les hackerspaces qu’elle fait partie de la petite bande aux contours flous qui a monté et prend soin de hackerspaces.org [en], un site qui liste les hackerspaces du monde entier, entre autres. Et bien sûr, elle en visite beaucoup.

Cette adepte de la ligne de commande1, originaire d’Autriche, vit à Berlin, où nous l’avons rencontré. De ces jeunes gens qui font la richesse de la scène underground berlinoise. À Paris, son allure intriguerait, à Berlin c’est la norme, ou presque : mince corps couvert de tatouages – des souvenirs liés à des expériences difficiles – coupe de cheveux improbable – un mix brun-blond décoloré, qui commence en raton-laveur et finit en une abondante masse de cheveux – accent américain impeccable après plusieurs mois passés aux États-Unis. Et une énergie entretenue à coup de divers produits caféinés, comme le Club-Mate, la boisson préféré des hackers ou encore le Premium-Cola, une version du cola allemand Afri-Cola.

Astera a fait ses premiers pas dans le milieu en 2008 en Autriche, au Metalab [en], grâce à une bonne dose de sérendipité2) relationnelle.

J’y ai été en quelque sorte trainée par un ami que je connaissais depuis quatre heures, que j’avais rencontré via d’autres amis que je connaissais depuis quelques jours. J’en avais entendu parler et j’avais déjà essayé d’y passer et d’y jeter un œil de l’extérieur. Quand j’y suis allée avec cet ami, il n’y avait personne, c’était au milieu de la nuit. Le fait qu’ils aient tant de machine posées-là, et il m’a expliqué que c’était à chacun d’apprendre à chacun comment les faire marcher. C’était intriguant. Donc je suis revenue, et revenue, et revenue…

10% de femmes

Elle fait partie des 10% de femmes qui peuplent un univers encore très masculin. Sans ressentir le besoin de s’affilier à Haecksen3 [de], un sous-groupe du Chaos Computer Club, le plus grand club de hackers d’Europe, qui regroupe des femmes. Les genres, elle s’en contrefiche comme de sa première ligne de code.

Astera donne libre cours à sa soif d’apprentissage des différents langages de programmation, ravie de constater qu’il y a toujours quelqu’un pour répondre à ses questions, le fameux partage des connaissances, central dans l’éthique hacker. Hackerspaces.org viendra dans la foulée, parfaite illustration de la do-ocracy chère aux hackers (valoriser l’action plutôt que les propos). Fausse sèche et vraie timide planquée derrière des lunettes de myope, Astera évoque les origines du projet :

« Personne ne sait plus vraiment qui a eu l’idée. C’est mystérieux, vous allez à un événement comme le Camp4 ou le Congress5 et les gens vous parlent et les idées surgissent à partir de rien. Ensuite l’idée était restée dans un placard un an environ, je pense. Puis au Metalab, une nuit, quelqu’un m’a dit qu’il avait loué le nom de domaine hackerspaces.org, et j’ai pensé, “c’est génial nous devons le faire.”

Hacker vaillant, rien d'impossible. Astera à Berlin en novembre 2011 (cc) Ophelia Noor pour Owni

J’ai suggéré que nous louions aussi .com et .net aussi et nous avons commencé sur un nouveau serveur dédié, d’abord avec un wiki et les mailings list, durant l’été 2008, je crois. Le blog est arrivé un an après. Le wiki a commencé avec dix personnes impliquées dedans. Il y avait 60 hackerspaces sur la liste, comme nous n’avions pas beaucoup d’informations dessus, nous leur avons envoyé des mails. »

Trois ans après, ils sont plus de 900 hackerspaces enregistrés, 400 personnes en moyenne actives sur le site, qui mettent à jour la page de leur profil et de leur hackerspace et plusieurs mailing lists. Le site est arrivé au bon moment : en 2007, lors du Chaos Communication Congress, une conférence [en] intitulée « Construire un hackerspace » a suscité bien des envies qui se sont concrétisées dans les années qui ont suivi.

Astera insiste sur l’aspect collectif de l’aventure :

Le wiki, les mailing list, le blog, IRC6, etc, vivent essentiellement grâce à un cœur d’usagers vraiment actifs, qui tous contribuent aux contenus et aux idées partagées sur le site. Et je leur en suis particulièrement reconnaissante.

Une autre tache sur la liste

La jeune femme fait partie des administrateurs qui s’occupent plus particulièrement du bébé. Astera prolonge la nuit son travail du jour puisqu’elle est administrateur système :

C’est juste une autre tache sur votre liste… Le gros du boulot, c’est le wiki.

Maintenir le site, cela veut dire se fader des spams, fastidieux mais facile. C’est aussi se poser la question de la définition d’un hackerspace :

« C’est un peu difficile. Cela commence avec ce que n’importe qui considèrerait comme un hackerspace. Il y a un certain nombre de spaces que je ne considèrerais pas comme des hackerspaces. Par exemple un dérivé d’une école, avec des cours, une valeur éducative. Mais certainement, ils payent le loyer avec les subventions de l’État ou de la ville et sont payés pour le travail qu’ils font dans cet espace. Ce qui n’est pas vraiment quelque chose de courant dans les hackerspaces. Et sans doutes, ils l’utilisent aussi comme des bureaux, des espaces de co-working. C’est gênant si vous visitez une ville avec dix espaces listés et huit sont en fait des espaces de co-working. »

Bien qu’Astera, en tant qu’administratrice, ait les droits pour effacer les pages, elle laisse faire, pour éviter les discussions enflammées. Seules les pages spam passent sous sa coupe, car elles ont l’avantage de ne pas troller pour manifester leur mécontentement. Un bénéfice du doute qu’elle semble appliquer à elle-même, en dépit de son CV. Un vrai hacker ne se définit pas comme tel, c’est un titre honorifique que les autres vous attribue. Alors à la question « Te considères-tu comme une hacker ? », elle répond, le nez dans sa soupe thaï : « Je ne sais pas. » Elle minimise ses projets, comme ses bidouilles sur des voitures téléguidées qu’elle a équipées de caméras Wi-Fi :

C’était vraiment des hacks faciles, plus du code que du hack. Et puis j’ai construit quelques objets trouvés sur d’autres blogs, en changeant juste des morceaux pour les rendre plus profonds.

Son copain Joern, mutique et étique échalas à l’air épuisé, pose la bonne question :

Il y a quelques personnes vraiment remarquables qui méritent ce terme de hacker, mais pour les autres, cela dépend de votre définition du mot. Quelle est la vôtre ?

On se met d’accord sur une définition large : quelqu’un qui fait un usage créatif de la technologie et qui détourne les objets de leur finalité première et permet d’affirmer que tout se hacke. Une définition dans laquelle se reconnait la dernière génération des hackers, où le DIY (le Do-It-Yourself) est à l’honneur, avec ou sans l’ordinateur, qui hacke aussi le hardware, les objets physiques. Une diversité dont rend compte son autre gros projet, initié avec son ami Bre Pettis, de MakerBot Industry [en], fabricant d’imprimantes 3D open source, l’ebook gratuit Hackerspaces the beginning. Une plongée passionnante dans l’histoire de ces lieux qui poussent comme des champignons depuis quelques années.

Lancer son propre hackerspace ? Trop de travail…

La suite logique devrait être la création d’un hackerspace, une copine lui parlait d’ailleurs récemment d’en monter un avec un laboratoire de biohacking. Pourtant, elle s’arrête là : trop de travail en plus, en particulier depuis qu’elle n’est plus freelance et fait ses 40 heures hebdomadaires dans une société. C-Base, le mythique hackerspace continuera de recevoir sa visite.

La politique non plus ne la tente pas, même si le succès surprise du Parti Pirate au parlement de Berlin en septembre la réjouit :

Je connais mieux le Parti Pirate autrichien que le PP allemand, mais j’ai essayé de les aider dans leurs opérations. En particulier parce qu’un ami très proche à l’époque, qui était aussi membre du Metalab, avait fondé le PP autrichien. Nous en avons beaucoup parlé. Après la mort de cet ami, je n’en ai pas beaucoup entendu parler. Cependant, ils n’ont jamais été aussi importants qu’en Allemagne, c’est incroyable. Je vais suivre comment ils gèrent le fait d’être vraiment des hommes politiques. C’est très excitant.


Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor CC [by-nc-nd]

  1. outil utilisé par les codeurs permettant d’exécuter des programmes à l’aide du clavier plutôt qu’avec un affichage graphique et d’une souris []
  2. Fait de réaliser une découverte inattendue grâce au hasard et à l’intelligence1, au cours d’une recherche dirigée initialement vers un objet différent de cette découverte (Wikipedia []
  3. jeu de mot sur hacker et Heksen, « sorcière » en allemand. []
  4. le Chaos Communication Camp, rassemblement quadriannuel de hackers organisé par le Chaos Computer Club. []
  5. congrès annuel du Chaos Computer Club, qui se tient à Berlin []
  6. système de chat []

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