La neutralité déchire l’Europe

Le 21 octobre 2011

Le Parlement européen appelle la Commission à agir pour protéger la neutralité des réseaux. Une pression politique sur Neelie Kroes, commissaire en charge du numérique, dont l'attentisme voire l'approche pro-opérateurs, est remise en cause.

La neutralité des réseaux est désormais au cÅ“ur d’un bras de fer entre la Commission et le Parlement européens. Les députés de la commission de l’industrie (ITRE) ont lancé les hostilités hier, en votant à l’unanimité en faveur d’une résolution prenant le contre-pied des positions de Neelie Kroes, commissaire en charge du numérique.

Injonction à agir

Le texte, dont la version définitive n’est toujours pas diffusée, invite la Commission européenne à agir rapidement en faveur de la protection de la neutralité, en déterminant “si des mesures de régulation supplémentaires sont nécessaires” (amendement de compromis 9). Cette évaluation devra se faire dans les six mois suivant la publication des résultats de l’étude du Berec, le régulateur des télécommunications européen, à qui Neelie Kroes a demandé d’examiner les conditions d’accès à Internet dans chacun des États membres, a encore indiqué le Parlement.

En clair, les députés européens, qui n’ont pas l’initiative législative, demandent à l’organe qui la détient, de légiférer. Et si cette injonction n’est pas valable dans l’immédiat, comme le déplore La Quadrature du Net, une association française qui milite en faveur des libertés numériques, elle reste une décision politique forte. Susceptible d’influencer la commissaire en charge du numérique : la résolution n’a aucune force obligatoire mais il paraît difficile, pour préserver la bonne entente institutionnelle, que la Commission ignore le Parlement, dont le vote en séance plénière est fixé fin novembre.

Rappeler à Neelie Kroes ses premiers engagements

“C’est une réaffirmation de la position du Parlement sur le sujet”, indique-t-on du côté du cabinet de la député européenne Catherine Trautmann, sensible à ces problématiques. “Depuis le Paquet Telecom [ndlr: transposé fin août dernier dans la loi française, et peu contraignant sur le sujet], on demande à la Commission un état des lieux sur la neutralité des réseaux. Sa communication sur le sujet a été extrêmement faible. Depuis le début de son mandat, l’approche de Neelie Kroes a un peu évolué. C’est une façon de lui rappeler ses premiers engagements”.

Fin 2009, en conclusion [PDF] du Paquet Telecom, la Commission européenne déclarait vouloir “maintenir le caractère ouvert et neutre de l’Internet, en tenant pleinement compte de la volonté des co-législateurs de consacrer désormais la neutralité de l’Internet et d’en faire un objectif politique et un principe réglementaire.”

Depuis lors, ses positions, traduites dans l’approche de sa vice-présidente Neelie Kroes, ont quelque peu varié. Soufflant d’abord le chaud et le froid, la commissaire a finalement adopté les éléments de langage des opérateurs (début octobre, ou bien encore en juillet dernier) : le terme “neutralité” a été remplacé par “l’ouverture”, la possibilité de “services gérés”, d’abord mise en doute par Neelie Kroes, a finalement été largement admise. Le tout en faveur d’une position “wait-and-see”, que certains parlementaires ont voulu bousculer.

“Le ton est plus politique, même s’il reste limité”

Les amendements adoptés lors du vote de la résolution réaffirment ainsi l’importance de la neutralité dans la création d’un “écosystème innovant”, “au service des citoyens européens et des entrepreneurs” (amendement 56) et appelle la Commission à “inviter les représentants de consommateurs et la société civile à participer activement et au même titre que les représentants de l’industrie dans les discussions concernant le futur d’Internet au sein de l’UE” (amendement 57). Le texte reconnait aussi plus explicitement l’existence d’atteintes à la neutralité (amendements de compromis 7 et 8) à la différence des dernières positions de la Commission, décrétant qu’il ne s’agissait que de craintes, et non de faits avérés.

“Les amendements adoptés hier étaient plutôt positifs, comparés au premier ‘draft’ [ndlr: papier préparatoire], qui avait la même approche attentiste que la Commission, se réjouit Félix Treguer de La Quadrature du Net.”Le ton est plus politique, même s’il reste limité”, poursuit-il, en référence à “quelques imprécisions” qui subsistent, notamment sur le mobile.

Un flou suffisamment important pour que la Commission déclare ne pas voir la “contradiction” entre la résolution du Parlement européen et sa propre position. Contacté par OWNI, le cabinet de Neelie Kroes fait valoir que les requêtes des députés correspondent “exactement à ce qu’est en train de faire la Commission”.


Illustrations CC FlickR erwan (cc-by-nc-sa) et Loguy.

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