François Hollande à Matignon

Le 27 mars 2011

Petit exercice de politique-fiction: si la gauche gagnait en 2012, que ferait-elle? Ou pas? Le défi lancé par la revue Commentaire donne des résultats inattendus, où l'imagination n'est pas si éloignée que cela des calculs politiques.

La revue Commentaire a lancé une enquête auprès de quelques “observateurs attentifs de la vie politique”, enquête intitulée :

“Que fera la gauche en 2012 ?”

Parmi toutes les contributions publiées dans le numéro 133 de la revue, OWNI en a sélectionné deux, celle du journaliste Alain Duhamel et celle du politologue Dominique Reynié. Tous les deux ont répondu à la question suivante :

Pourriez-vous procéder à une expérience mentale ? Supposons que les élections législatives de 2012 soient remportées par le Parti socialiste et ses alliés. Compte tenu de ce que sera, en 2012, la situation de la France et de l’Europe, et compte tenu de l’orientation probable de cet éventuel gouvernement : quelles sont, à vos yeux, les principales lignes du programme qu’il devrait ou pourrait mettre en oeuvre pour la législature 2012-2017, ou les principales décisions qu’il devrait ou pourrait prendre ?

Comme l’écrit malicieusement le directeur de Commentaire, Jean-Claude Casanova, en préambule à ce dossier spécial gauche :

“Les opinions, les préférences, les prévisions des auteurs diffèrent. Nos lecteurs, nous l’espérons, apprécieront cette diversité. Ils admettront aussi que nous avons choisi cette hypothèse sans nous poser la question de savoir s’il fallait ou non la souhaiter. C’est une probabilité : espérée par certains, redoutée par d’autres, indifférente à plusieurs. Mais la réflexion politique consiste souvent à prévoir les conséquences possibles d’un événement probable et à tirer les leçons de ces éventualités. Réflexion utile car elle modère les passions des acteurs, les craintes ou les illusions des spectateurs.

Nos lecteurs trouveront ainsi dans ces pages une analyse de la situation présente et future de la France. De là, ils réfléchiront aux politiques, celles que l’on souhaite et celles que l’on redoute. Nos lecteurs pourront ainsi suggérer aux électeurs et aux élus que la politique n’est jamais rien d’autre que l’art du possible.”

OWNI remercie Commentaire et son équipe de partager ce délicieux moment de politique-fiction.

Hollande à Matignon, par Alain Duhamel

En entrant à l’Hôtel de Matignon, François Hollande savait que la tâche serait rude. L’annonce de la victoire, plus étroite que prévue, de Dominique Strauss-Kahn à l’élection présidentielle n’avait certes pas affolé les marchés. Le renom et l’expérience du nouveau chef de l’État avaient compensé les craintes nées du projet officiel du PS. Le refus catégorique du PC de participer au gouvernement malgré ou à cause du beau score réalisé par Jean-Luc Mélenchon avait rassuré. L’échec cinglant de la candidate d’Europe Écologie et le désastre législatif qui avait suivi avaient réduit au symbolique les attributions ministérielles des Verts. Pascal Lamy s’était installé Quai de Bercy à la satisfaction générale (sauf celle de la gauche radicale, bien entendu). Jérôme Cahuzac était ministre délégué au Budget, chargé de veiller à ce que les engagements sociaux de la campagne soient compatibles avec la rigueur, un exercice acrobatique, mais ce chirurgien passait pour avoir la main sûre. La partie serait délicate mais jouable.

Dès le lendemain de son intronisation, Dominique Strauss-Kahn avait rencontré Angela Merkel à Berlin. L’annonce d’une absolue identité de vue sur les questions monétaires et en particulier sur la gestion des dettes souveraines avait soulagé les marchés. L’engagement de réduire les déficits publics à 5 % fin 2012, 4 % fin 2013 et 3 % fin 2014 n’était pas chimérique. D’ailleurs, la Commission de Bruxelles avait à peine protesté contre ce nouveau retard français, car elle avait craint bien pire durant la campagne. François Hollande et Pascal Lamy avaient déjà annoncé la tenue d’une conférence de presse commune en septembre prochain. Un emprunt obligatoire considérable était prévu. On parlait de 50 milliards d’euros dont la moitié serait consacrée au remboursement anticipé de la dette publique, l’autre moitié à des investissements exceptionnels au bénéfice de la recherche, de l’enseignement supérieur et des technologies de pointe. Une tranche supplémentaire de 4 points de l’impôt sur le revenu était considérée comme inévitable. Dans le secteur public, les salaires les plus élevés étaient plafonnés à vingt fois le salaire minimum. Dans le secteur privé, les divers avantages des dirigeants allaient être sauvagement sabrés. En revanche, les primes de fin d’année au bénéfice des revenus modestes seraient doublées et le salaire minimum relevé de 3 %, ce que la CGT jugeait très insuffisant. Sud-Solidaires annonçait une grève des transports pour les vacances de Noël mais, devant le tollé général, Jean-Marc Ayrault, ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Solidarité, n’était pas très inquiet. En somme, en un semestre, le gouvernement de François Hollande avait su concilier les symboles du changement et les contraintes du budget. À Bruxelles, Martine Aubry, qui avait remplacé Herman Van Rompuy (redevenu Premier ministre de son pays en catastrophe) à la présidence du Conseil européen, veillait discrètement au grain.

Tout allait se jouer, bien entendu, l’année suivante, au milieu de 2013. La chute brutale du dollar après le bras de fer perdu face à une Chine qui avait diminué de moitié ses achats de bons du Trésor américains faisait craindre un nouveau ralentissement de la croissance. Les prêts bonifiés proposés aux PME pour qu’elles investissent davantage ne remportaient qu’un maigre succès. Il se murmurait que le Président Strauss-Kahn songeait à ouvrir le capital des dernières entreprises publiques à hauteur de 49 % et que Pékin s’intéressait furieusement au secteur nucléaire. Les grands projets de construction de logements sociaux étaient suspendus à la participation des Émirats : l’État offrait ses terrains, garantissait le recouvrement des loyers. Encore fallait-il que les émirs s’engagent. La réduction brutale des programmes d’armement, la vente symbolique du Charles-de-Gaulle au Brésil n’avaient pu se faire qu’à condition que les économies réalisées soient intégralement consacrées au remboursement d’une fraction de la dette, la nouvelle obsession nationale. Le grand thème présidentiel, « une mondialisation à l’échelle humaine », peinait à s’imposer.

La deuxième étape du gouvernement serait la plus risquée. Sous l’œil des agences de notation, le budget 2014 serait le test : il fallait à la fois tenir sur le front de la croissance et sur celui des déficits. Seule vraie bonne nouvelle : la proposition de Jacques Delors de lancer un grand programme d’investissement européen financé par la création d’obligations communautaires faisait son chemin bien plus vite que prévu. Berlin et Bruxelles avaient dit oui. La BCE jouait le jeu. À Londres, le gouvernement conservateur de David Cameron, aux abois, semblait même se rallier.

Pour la première fois, il se chuchotait que Soros jouait l’euro.

Crédits photo CC FlickR par Parti socialiste

Article disponible dans le numéro 133 de la revue Commentaire

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