Sous deux soleils exactement

Le 26 mars 2011

L'annonce de l'apparition d'un deuxième astre terrestre en 2012, en a enthousiasmé plus d'un. Du côté des astronomes en revanche, elle a été l'occasion de remettre les pendules à l'heure. Étude des conditions de possibilité d'un deuxième soleil.

Fin janvier dernier, un site australien promettait, à nous autres terriens, l’apparition d’un deuxième soleil.

La tristement célèbre super géante rouge de la nébuleuse d’Orion -Betelgeuse- est censée exploser et la supernova en résultant devrait être visible de la Terre avant 2012, et, quand elle le sera, tous nos rêves les plus fous hérités de Star Wars deviendront réalité

Pour les non initiés à la culture made in George Lucas, cela signifie en clair que nous pouvons nous attendre à un spectacle digne d’une scène fameuse d’un des épisodes de la trilogie, Star Wars, Episode IV: A New Hope: le lever non pas d’un, mais de deux soleils, sur la planète Tatooine. La promesse d’une matinée doublement enchantée.

Pour justifier son emphase -et sa geek attitude-, l’article s’appuie sur les analyse du Docteur Brad Carter, physicien à l’Université de Southern Queensland, qui avance que Betelgeuse est une “vieille étoile”, “à court de carburant en son centre”.

Située à près de 660 années-lumière de la Terre, elle est aussi massive que quinze Soleil: c’est l’une des plus grandes étoiles connues, mais aussi l’une des plus lumineuses -plus de 60 000 fois la lumière du soleil! C’est aussi une géante rouge, stade stellaire ultime avant explosion. Cette information, les astronomes la détiennent depuis longtemps. Rien de bien neuf sous le soleil, donc. Qu’en est-il alors de 2012 ?

En fait, pas grand chose. Le scientifique, figure d’autorité du papier, ne s’aventure pas un instant dans ces datations aux relents de fin du monde. Le journaliste lui-même précise que la prochaine apparition d’un deuxième astre terrestre comporte une “mauvaise nouvelle”:

Cela pourrait tout aussi bien se passer dans un million d’années.

Concession qui ne l’empêche pas de se raviser, en s’attardant sur l’invasion des “interwebs” par “des théories apocalyptiques qui expliquent que la supernova à venir est la confirmation des prédictions du calendrier Maya fixant l’Armageddon en 2012″. Rajoutant, en prime, une louchette étymologique du meilleur effet:

Le fait que le mot “Betelgeuse” soit associé au démon n’améliore en rien ces conspirations.

En effet, cela n’arrange rien. Si ce n’est le potentiel buzzistique du papier, repris aux quatre coins du monde. En France, on pouvait alors lire: “Deux soleils pour la Terre avant 2012?” , “Deux soleils, c’est pour ‘bientôt’”, et assimilés. La plupart rectifie d’ailleurs le tir, en expliquant qu’il est peu probable qu’on se dore la pilule sous deux soleils exactement en 2012.

Le papier initial en revanche, du fait de son approche ambiguë, ni vraiment pointue, ni vraiment LOL (et loin de nous l’idée de rejeter l’analyse des théories apocalyptiques), a fait l’objet d’un rectificatif trois jours après publication; le racoleur “Peut survenir en 2012″ du chapô faisant place à un timide “Cependant, personne ne peut le dire avec certitude.” S’appuyant sur les propos de Phil Plaint, auteur du blog américain Bad Astronomy, le site précise que rien ne permet d’affirmer que Betelgeuse explosera demain, en 2012, ou d’ici des milliers d’années, ajoutant également au passage qu’il était peu probable que celle-ci obtienne si facilement son statut de nouveau Phoebus:

Elle ressemblera davantage à une pleine lune qu’au second soleil de Tatooine.

Betelgeuse, un “grand-père de 75 ans”

Constat amer, que confirment la plupart des astronomes contactés par OWNI, certains allant jusqu’à refuser de commenter cet article “sans queue, ni tête, ni boussole”.

Non, Betelgeuse n’explosera pas le 24 décembre 2012 à 23h59, n’en déplaisent aux millénaristes cosmiques. Comme le précise Jean-Louis Monin, directeur de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble, parler d’une étoile comme celle-ci revient à évoquer “un grand-père de 75 ans: il est plus proche de la fin de sa vie que du début.” Impossible néanmoins de déterminer avec exactitude, dans des temps étalonnés sur des millions d’années, le moment de son explosion. Et non, elle n’embrasera pas le ciel: nous devrons nous contenter d’un petit point lumineux, explique encore le chercheur:

Vu qu’elle est loin, même quand elle explosera, elle ne sera jamais aussi grande dans le ciel que le soleil. Elle restera un point lumineux, pas “résolu”, comme les soleils de Georges Lucas qui occupent une certaine surface. Car plus l’objet est éloigné, plus la surface angulaire diminue: à un moment l’Å“il ne fait plus la différence entre un objet et un point.

Si elle avait eu la bonne idée d’être plus proche de nous, Betelgeuse aurait pu briguer le statut de deuxième soleil, ajoute Nicolas Prantzos, de l’Institut d’Astrophysique de Paris: “il faudrait qu’elle soit a deux années-lumière et non pas à 660, qui est sa distance réelle.”

Lot de consolation, les scientifiques s’accordent sur sa luminosité, qui devrait, selon toute probabilité, être supérieure à celle de la Lune. Encore faut-il qu’elle explose. La frustration est grande:  faut-il vraiment renoncer à un deuxième soleil?

Jupiter, wannabe a star

“Au sens de deux étoiles autour desquelles la Terre tourne, détaille Jean-Louis Monin, il est trop tard.” Par contre, “il est possible d’avoir deux sources de lumière différentes”.

Pas sûr néanmoins que celle-ci provienne de notre galaxie. Ou en tout cas, pas de si tôt. La dernière explosion observée dans cet entourage “date de 1664″, précise Nicolas Biver, astrophysicien au Lesia. “On n’aura pas de deuxième soleil ‘très proche’, poursuit-il. Si ça doit se faire, ça ne se fera pas comme ça, il faudra peut-être des millions d’années.”

Ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour notre planète, car si une supernova peut présider à l’apparition d’une nouvelle source lumineuse dans le ciel terrien, elle peut aussi être désastreuse: l’explosion d’une étoile est l’un des événements les plus violents de l’univers. Pour que notre bonne vieille Terre se voit menacée, il faudrait que l’astre mourant “se situe à une centaine d’années-lumière”, précise Nicolas Biver. Or “celles qu’on observe sont situées à plusieurs milliers d’années-lumière”. Vous pouvez dormir tranquilles.

Si une nouvelle aube n’est pas pour demain, le système solaire nous réserve tout de même d’autres surprises; la première étant un soleil contrarié, en la figure de Jupiter. Si la géante avait été dix fois plus massive -une broutille en la matière-, elle aurait fait une jolie carrière d’étoile. A en croire Jean-Louis Monin:

Si Jupiter s’allumait aujourd’hui, il n’y aurait plus de nuit. Il brillerait certes moins que le soleil et ne serait pas aussi étendu.

Un auteur, et non des moindres, s’est d’ailleurs inspiré de l’état quasi-stellaire de Jupiter: Arthur C. Clarke, dans la suite de 2001, Odyssée de l’Espace, remarque encore le chercheur:

Dans 2010, Odyssée 2, les humains repartent vers Jupiter et les extraterrestres à l’origine des monolithes en placent plusieurs sur Jupiter, pour créer une étoile. La matière est alors suffisamment dense pour déclencher des réactions nucléaires.

Et comme les mystères de l’univers sont infinis, et notre cher astre taquin, il existerait une autre surprise, véritable easter egg stellaire: un soleil caché. “Nemesis”, du nom de la déesse de la vengeance. Selon certains astronomes, cet astre, probablement une naine brune, “compagnon” du soleil, serait en effet responsable de la chute d’astéroïdes toutes les 26 millions d’années, ce qui expliquerait notamment l’extinction des dinosaures, il y a 65 millions d’années, à la fin du Crétacé. Richard A. Muller, à qui l’on doit notamment la paternité de la théorie en 1984, explique [ENG]:

Avec une excentricité orbitale de 0,5, elle passerait suffisamment près du nuage de comètes d’Oort pour provoquer une chute cométaire une fois par orbite. De telles averses périodiques pourraient entraîner des extinctions périodiques de la vie sur Terre, ainsi qu’augmenter périodiquement le taux de cratères sur la Lune.

Le chercheur américain estime que la découverte de Nemesis, entravée par “quelques problèmes de téléscope” devrait être imminente, notamment grâce aux travaux du LSST (Large Synoptic Survey Telescope).

La quête de Nemesis remporte une adhésion mitigée au sein de la communauté scientifique. Du côté des astrophysiciens interrogés, si l’on concède que de nombreux corps stellaires marchent en couple, on constate que le compagnon du soleil n’a, lui, toujours pas été observé. Difficile de croire, dans ces conditions, en son existence. “Il y a 65 millions d’années, pourquoi pas, mais aujourd’hui, cela paraît difficile à concevoir”, commente Nicolas Prantzos. “C’est un peu une légende, ajoute Jean-Louis Monin. Un peu comme les dragons sur Terre.”


Illustrations: Pranav, Nasa, Wikimedia Commons (ESO) Nasa

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