Hacker en sous-sol

Le 30 octobre 2010

Rencontres en sous-sol au Plastic Hacker Space Festival qui se tient ce week-end à Vitry-sur-Seine. Ici le Do It Yourself, que ce soit pour faire un sex toy ou des objets en 3D.

La rue Léon-Geffroy de Vitry-sur-Seine est une longue voie quasi droite typique de nos ZA – zones d’activités-. Le beau soleil d’automne peine à faire oublier la tristesse qui s’en dégage. Sanofi-Aventis ou bien encore Véolia y ont des locaux. Entrée sous vidéosurveillance. Des bâtiments industriels, parfois désaffectés et/ou taggués côtoient des grandes surfaces, là un hypermarché, ici du bricolage. “La fête des envies” clame un panneau Leroy-Merlin. Plus loin, une publicité pour une cuisine intégrée à l’impeccable lisseur.

C’est dans ce paysage emblématique de notre société de consommation moderne que se tient ce week-end le troisième Plastic Hacker Space Festival, PHSF pour les habitués. Un événement qui décline durant deux jours et demi le hacking dans différents domaines, comme un pied de nez à notre frénésie d’achat. Point de locaux rutilants mais le sous-sol d’un bâtiment désaffecté et réinvestit par le /tmp/lab, le premier hackerspace parisien qui organise l’événement.

Assise sur un matelas à même le sol, Laura dynamite avec humour l’image de la ménagère. Admettons que la ménagère, entre une quiche et une lessive, ait une soudaine pulsion. Et bien elle n’aura qu’à l’assouvir à l’aide du sex toy bidouillé par Laura. La jeune fille, étudiante aux beaux-arts de Toulouse et qui a rejoint le Tetalab, un hackerspace basé à Toulouse sur les bons conseils d’un professeur, est partie d’un constat simple : le silicone sert autant à fabriquer de coûteux sex-toy que des accessoires de cuisine et tous deux utilisent les mêmes couleurs. Remplacez les Å“ufs par un vibreur récupéré sur une manette, le lait par du fil conducteur doublé de coton et zou vous avez un sex toy prêt à dégainer. “All the ways to realize all your phantasms…”, n’est-ce pas le slogan du PHSF ? Laura, qui s’est déjà fait remarqué pour un -faux- projet de baisodrome public sur le modèle du Velib qui lui a valu un procès de la mairie, a poussé le détournement jusqu’à proposer des sex toys en forme de préparation culinaire : d’une bande de plaque pour cuisson découpée sur la longueur et pliée en triangle, elle fait un samoussa coquin. Et franchement, enroulé comme un bout de ruban, qui se douterait de son utilisation ? Pas belle-maman le dimanche quand elle vient causer à sa bru. Un gant Mappa peut tout aussi bien faire l’affaire. S’inscrivant dans la tradition féministe, Laura y ajoute sa touche de hacking humoristique. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais pour moi, mais ça ferait un cadeau d’anniversaire sympa pour une copine. Pour l’heure, ces jouets ne sont malheureusement que des prototypes.

À l’autre bout du sous-sol, Guiral s’active avec une poignée de participants pour installer un réseau de WiFi mailé. En clair, au lieu d’être obligé de passer par le nÅ“ud central d’une box, avec ce que cela implique de limites, on accroît la capacité du réseau en installant des relais. Esprit hacker oblige, les relais en question sont des routeurs WiFi Fonera détournés de leur usage initial. Bref, le moyen idéal pour “développer à moindre coût une infrastructure en partageant les connections”, explique Guiral. On décrit souvent le hacker comme un être solitaire mais ce jeune cadre dans l’industrie nucléaire souligne le plaisir qu’il a eu à se retrouver au /tmp/lab pour y rencontrer des personnes partageant comme lui le même goût pour la résolution en commun de problème, les échanges et l’apprentissage dans les deux sens, tu m’aides sur ce point, je te renvoie la balle sur celui-là, les amitiés nouées. Et preuve s’il en est, il est revenu pour le festival de Normandie, où il travaille maintenant.

Au centre de la pièce et de ces workshops, la RepRap est reine. Cette imprimante 3D assistée par ordinateur, low cost et open source, qui fleurit dans les fab/lab et autres usinettes, est autoréplicante, c’est-à-dire qu’elle peut se fabriquer elle-même, entre autres, à partir de plastique ABS. À l’aide d’une perceuse, Sigolène est ainsi en train de finir les pièces d’une nouvelle machine. Il faut aussi les ébavurer à l’aide d’un cutter très fin. Elle est venue ici pour apprendre à en faire une et monter ensuite son projet de design, des prothèses de corps avec de l’électronique. En face d’elle, Cécile prépare d’autres pièces, récupérées cette fois-ci, la RepRap ne fabrique pas encore d’objets en métal… Cette artiste numérique a une autre visée : fabriquer des mini-sculptures en numérique 3D qu’elle fera muter ensuite en objet matériel et ainsi de suite, chaque passage provoquant des déformations sur les figurines. “Une réflexion sur la frontière entre analogique et numérique : la bascule de l’un à l’autre n’est pas transparente”, explique-t-elle. Une réflexion qui fait écho à ce que certains présentent parfois comme la prochaine révolution, l’Internet des objets.

Si dans ce royaume du DIY (Do It Yourself), la société de consommation en prend indirectement pour son grade, on ne vit pas non plus que d’amour et d’eau fraîche. Le MakerBot, une imprimante issue de la reprap, sans l’aspect autoreplicant, nourrit quelques personnes : “Il a dû s’en vendre 2.000″, avance John, cofondateur de Hackable device, une société de distribution spécialisée, on s’en doute dans le matériel pour hacker. “Assez pour vivre et faire les cons avec ça”, précise-t-il tout en surveillant la fabrication d’un buste de Beethoven. Parce que ce ne serait pas trop hacker de se faire un paquet de blé et de finir triste à mourir. Ou alors c’est qu’on vire Steve Jobs et qu’on n’est plus un hacker.

Plus ou moins prégnant selon les projets, le politique pointe le bout de son nez. Stop ACTA, logiciels libres…, les capots des ordinateurs sont bien souvent envahis d’autocollants dénotant un engagement pour certaines valeurs. Au détour d’une conversation, le discours se fait plus fort. Enseignant en physique-chimie à la retraite, Gérard aime l’idée de “transformer la société par la technique, seul ou en communauté. On sort du système industriel en reprenant la maîtrise des outils de production.” Un fort parfum marxiste… Sans aller forcément jusque-là, l’inventivité des hackers est une invitation à tourner sept fois son tournevis dans sa poche avant d’acheter un nouvel objet prêt à l’emploi.

Crédits photo flick’r CC : kryptyk, Davide Restivo, °°°paula°°°

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés